Chapitre 15 : Yohan

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Après être parvenu à camoufler mon émoi à Mickaël et Lucia, nous prenons notre déjeuner en racontant chacun notre tour des anecdotes personnelles. J’apprends que les parents de Lucia et Julio sont arrivés en France quand ils étaient encore enfants. Tous deux ont grandi dans une famille aimante, mais bercée par la religion et les traditions napolitaines. Des conditions qui ont malheureusement toujours pesé sur Julio, en plus de son handicap. Ne voulant pas se montrer présomptueuse sur le vécu personnel de son frère, Lucia ne m’en dit pas plus. Mais je comprends que le pauvre est passé par de nombreuses épreuves et je ne peux m’empêcher de m’en vouloir davantage pour ma maladresse.

Quant à lui, Mickaël et franco-japonais par sa mère. Ses parents se sont rencontrés lors d’un voyage d’affaires à Tokyo. Tous deux travaillaient dans le milieu de la production musicale. D’après ce qu’il en dit, cette vie à cent à l’heure, toujours sur la route, sans attaches, n’était pas compatible avec la vie de famille. C’est tout naturellement qu’ils se sont installés à Paris quand sa mère est tombée enceinte de lui.

Ce dramaturge né n’hésite pas à nous faire des imitations très poussées qui nous permettent de mieux cerner les tempéraments originaux de ses « géniteurs », comme ils les nomment en rigolant. Sa mère était une pianiste hors pair et son père un saxophoniste de talent. Un duo soudé par l'amour qui lui a permis de découvrir les bienfaits de la musique dès son plus jeune âge.

— Tu pouvais débarquer à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit que ça chantait dans les couloirs, j’vous jure ! Mes parents avaient des tas d’amis et chaque repas finissait en concert privé.

Une étincelle de fierté brille dans ses yeux humides. Il est touchant.

— Pis un matin, ils m’ont déposé à l’école et ne sont jamais revenus me chercher…

Son ton change du tout au tout, sa voix se brise. Lucia se colle à lui et pose sa tête sur son épaule.

— L’accident con, un mec bourré en sens inverse sur le périph…

Il cherche à retrouver contenance sans y parvenir, une larme roule sur joue et il renifle. Mes yeux s’embrument de le voir si vulnérable.

Je ne connais Mickaël, Lucia et Julio que depuis quelques jours et j’ai pourtant l’impression de toujours les avoir connus. Jamais je n’ai ressenti ça pour aucun de mes amis et, malgré la tristesse qu’insinue l’histoire de Mickaël, je me sens chanceux d’avoir auprès de moi ces trois âmes si différentes. Lucia pose sa main sur sa joue et l’embrasse tendrement.

— On pourrait aller les voir cet après-midi ? propose-t-elle en lui souriant.

— C’est vrai que ça fait un moment que je suis pas passé, reprend Mickaël. Tu sais que t’es une vraie déesse, toi ?

Il dépose un baiser sur ses lèvres qu'elle retient pour l’embrasser plus avidement.

J'aperçois soudain Julio qui nous cherche du regard. Je me lève et me précipite vers lui. J'attrape ses mains et plonge mon regard désolé dans le sien.

— Je suis tellement désolé… je sais pas ce qui m’a pris…

Il pose son majeur sur ma bouche et me prend délicatement dans ses bras. Aucun mot n’est nécessaire pour comprendre qu’il me pardonne. Je suis soulagé.

Peu avant dix-sept heures, nous nous retrouvons tous les quatre devant les grilles du cimetière Montparnasse. Mickaël s’est arrêté chez un fleuriste pour acheter deux roses, une rouge et une blanche.

— Le rouge pour la passion et le blanc pour la sérénité, explique-t-il.

Il prend une grande inspiration avant de s’engouffrer dans le dédale de stèles et de pierres tombales, nous lui emboitons le pas. Le soleil brille encore à l’horizon, le temps s’est montré clément, je me sens serein. D'autant que Julio n’a pas lâché ma main depuis notre départ de l’université. Je flotte sur un nuage.

Au détour d’une allée, Mickaël et Lucia s’immobilisent face à une tombe de marbre noir gravé d’un saxophone et d’un piano dorés. Je remarque les photos jaunies par le temps et la date, neuf ans plus tôt à quelques mois près.

Julio passe sa main dans mon dos et pose sa tête sur mon épaule, tandis que Lucia fait de même avec son cher et tendre. Malgré la solennité de cet instant de recueillement, je ne peux m’empêcher de sourire. Un silence apaisant suspend le moment dans l'air.

— Wesh, les darons ! Comment ça va ? lâche soudain Mickaël en remuant les bras comme un rappeur.

Nous éclatons de rire et une vieille dame nous lance aussitôt un regard assassin. Nous pouffons plus discrètement en regagnant l’entrée.

— On va boire un verre ? propose Mickaël. Y a un bar sympa pas très loin et Julio adore y aller.

Son regard coquin et sa grimace amusée annoncent la couleur. Julio met ses bras en croix devant lui avant d’échanger quelques mots en langage des signes avec sa sœur.

— Oh oui ! Le Cubana Café, voir le crush de Julio, le taquine Lucia.

Ses yeux écarquillés et son visage cramoisi m’indiquent qu’il est terriblement gêné. Me sentant d’humeur à finir cette journée en beauté, je hausse les épaules et rattrape Lucia et Mickaël qui s’éloignent déjà. Julio ne tarde pas nous rejoindre et m’attrape la main avec force. Il est adorable quand il est en pétard.

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