Chapitre 16 : Yohan
Un peu plus loin, nous pénétrons dans le Cubana Café et je comprends aussitôt la réaction de Julio. Le grand et beau barman nous salue d'un clin d’œil qui éclipserait presque son sourire charmeur. Sa peau dorée lui procure une aura exotique, envoutante, tandis que son débardeur en résille noir et sa petite chemise blanche ne cachent rien de sa musculature colossale. Je suis en extase devant ses bras puissants qui font quasiment mon tour de taille. De plus, je ne peux m'empêcher de remarquer ses jambes et ses fesses délicieusement mises en valeur dans un jeans tellement serré qu’on le croirait sur le point de rompre. « Il en a de la chance, ce futal ! »
— Ben dis donc…
La bouche ouverte, je sens poindre un filet de bave à la commissure de mes lèvres lorsque Julio me donne un coup de coude dans les côtes. Je pique un phare et me gratte la nuque en rigolant niaisement.
— Installez-vous, les jeunes, j’arrive tout de suite, lance le géant de braises.
Il me donne une petite tape amicale sur l’épaule et je me décompose. Lucia et Mickaël éclatent de rire face à la mine déconfite de Julio. Je me confonds en excuses et il m’envoie un « comment t’en vouloir » par SMS. Je l’embrasse sur la joue et nous prenons place.
Nous passons commande et Lucia, Julio et moi ne pouvons nous empêcher de minauder comme des jouvencelles lorsque le barman nous apporte nos boissons. Cet homme est sexy à se damner.
Au tour de Mickaël de donner un coup de coude à sa belle, nous faisant éclater de rire, Julio et moi. Nous parvenons à retrouver nos esprits et entamons une discussion lorsque Lucia pointe quelque chose dans mon dos.
— Désolé d'avoir à vous dire ça, les gars, mais je crois que le mec de notre beau barman vient d’entrer, annonce-t-elle avec déception.
Je me retourne et reconnais aussitôt l’homme de ce matin. Celui du Trocadéro.
— Qu’est-ce qui te fait dire ça, ma chérie ? demande Mickaël.
Au même moment, le barman saisit le menton du mystérieux inconnu et l’embrasse avec tendresse devant tout le monde. Une drôle de sensation me taraude soudain et je l'impute à la vision de ces deux hommes vraisemblablement amoureux.
— Ils sont mignons, tous les deux, ajoute Lucia. Deux mecs aussi beaux… quel gâchis, soupire-t-elle avec la bouche en coin.
Mickaël lui donne un nouveau coup de coude, elle plisse les yeux et lui envoie un baiser avec les mains.
— C’est le gars qui m’a aidé quand je suis tombé ce matin !
Mon ton est bien trop enjoué.
— Il a une de ces classes ! Tu le connais ? me demande Lucia.
— Oh, non… il était juste… là…
Pourquoi suis-je aussi gêné tout à coup ?
— Tu devrais le remercier, ajoute Mickaël. Offre-lui un verre !
Julio me lance un regard désapprobateur mêlé d’inquiétude. Je passe ma main sur sa joue et il se radoucit. Sans m’en rendre vraiment compte, je suis déjà debout et pose ma main sur l’épaule du bel inconnu.
Il se retourne et son délicieux sourire enjôleur se fige.
— Salut… tu te souviens de moi ?
Il entrouvre la bouche, mais aucun son ne sort. Ses magnifiques yeux bleus me transpercent pour la deuxième fois de la journée. Une bouffée de chaleur m'envahit.
— Je voulais juste te remercier de m’avoir aidé ce matin…
Je ne sais pas d'où me vient le courage de l'aborder de la sorte, comme si mon instinct m'intimait d'une forme d'urgence vitale. Je le sens troublé.
— Pas de problème...
Malgré son air surpris, la tonalité de sa voix au timbre assuré et masculin m'arrache un petit hoquet de plaisir, comme s'il venait de m'ôter mes vêtements pour me faire l'amour.
« N'aie pas l'air bizarre ! N'aie pas l'air bizarre ! »
— Moi, c’est Yohan… et toi ?
Son regard tremble. Il semble hésiter.
— Steeve…
Je déglutis. Sentant mon pouls s'accélérer face aux images inappropriées qui m'assaillent, je laisse glisser ma main de son épaule sur son bras pour paraître nonchalant. La fermeté de sa musculature m'électrise encore davantage et une décharge me pique les doigts lorsque j'effleure sa main. Pourquoi me fait-il autant d'effet ? Je ne le connais pas et pourtant, mon corps est en alerte, réclame sa présence.
Il se relève maladroitement de son tabouret. Son parfum, sa prestance, sa stature, et le fait qu'il soit plus grand que moi me donnent l'impression qu'il me domine, dans tous les sens du terme.
— Je… j’suis enchanté de te connaitre, Yohan...
L'entendre prononcer mon prénom me fait monter le rouge aux joues tandis qu'un sourire timide étire mes lèvres. Il est irrésistible.
— C’est ton copain ? demandé-je en désignant de la tête le dieu mythologique qui s'affaire derrière le bar.
— Euh… ouais… enfin, si on veut…
Son affirmation me pince le cœur. Je change de sujet.
— C’est un sacré colosse !
Il faut absolument que je me détende, je n'ai pas envie que l'un ou l'autre pense que je suis un briseur de couple. Je soupire intérieurement en observant le barman. Comment rester indifférent face à un être aussi parfaitement dessiné ?
— Il est super sympa, en tout cas !
« N'en rajoute pas, putain ! ». Je me crispe.
— Ouais… il est… super…
— T’as pas l’air sûr de toi.
Je hoche la tête en espérant que mon sourire un tantinet moqueur le déridera, mais il rougit. Il n'en est que plus beau !
Le barman nous rejoint et passe sensuellement un bras sur ses épaules. Ils forment vraiment un beau couple.
— Alors, Steeve. Tu m’avais caché que tu connaissais ce charmant jeune homme, lance-t-il de sa voix suave et amicale.
Sa remarque me flatte, je m'empourpre de plus belle, incapable de me tenir droit, une vraie midinette. Je sens mon smartphone vibrer dans ma poche.
— Je dois y aller ! lance soudain Steeve avant de se précipiter vers la porte.
Je n'ai pas le temps d'objecter qu'il est déjà sorti. Le barman s'élance aussitôt à sa poursuite.
« Qu'est-ce que j'ai fait ? »
Je suis surpris et déçu à la fois, j'espérais de tout cœur apprendre à mieux le connaitre. Mon cœur se serre à l'idée qu'il puisse ne pas m'apprécier, un sentiment qui me semble étrange face à ce parfait inconnu. Un frisson me parcourt soudain la nuque et je prends conscience du regard désapprobateur de Julio dans mon dos. Je me retourne le plus naturellement possible et sors mon smartphone de ma poche. « Vous voulez une chambre ? », m'a envoyé Julio. Il ne va pas me faire une scène de jalousie alors qu'on se connait à peine ?
— Qu'est-ce qui s'est passé ? me demande Lucia.
— Bah, je sais pas trop... il était bizarre et il s'est barré d'un coup...
Les yeux de Julio me donnent un nouveau frisson.
— C'est bon, j'ai rien fait de mal ! Je voulais juste le remercier !
Je me rends compte trop tard de l'agressivité de mon ton. Mickaël et Lucia se figent tandis que Julio se lève, vraisemblablement énervé et quitte le bar. Je n'ai même pas envie de le suivre. Son attitude m'a gonflée. « Qu'est-ce qui m'arrive ? »
Devant mon manque de réaction, Lucia saute de la banquette et court rejoindre son frère. Je lis la détresse sur le visage de Mickaël, partagé entre son devoir de petit ami et celui de pote.
— OK ! C'était quoi ça ? me demande-t-il en repoussant ses longs cheveux en arrière.
Son regard ferme et compatissant m'intime d'approfondir. C'est peut-être le moment de me montrer honnête ? Mais lui aussi, je le connais à peine...
— Je… j'sais pas trop… j'suis un peu perdu…
— Essaye d'être un peu plus précis, mon pote.
Ce "mon pote" me va droit au cœur et me détend légèrement. Au même moment, le barman repasse précipitamment la porte et récupère son blouson derrière le bar avant de faire un signe à son collègue. Il me lance un regard inquiet, puis repart aussi vite qu'il était revenu. « J'espère que tout va bien… »
Mickaël me donne un coup de pied sous la table.
— J'sais pas ce qui m'arrive… ce mec, Steeve… il me fait un effet de malade…
—Tu veux dire, sexuellement ?
Je déglutis.
— Nan ! Enfin… oui, un peu, mais c'est plus profond que ça.
Mickaël se recule dans la banquette et me lance un sourire en haussant les sourcils.
— T'es amoureux ?
J'écarquille les yeux de surprise, le dévisageant comme s'il était un extraterrestre.
« Merde... je crois qu'il a mis le doigt sur quelque chose... »
— Ça va pas ? Je le connais même pas ! Et pis… Julio ?
Il hausse les épaules, une moue désolée sur le visage.
— Ta réaction en dit long.
Il me trouble encore plus. Je ne sais plus que penser de tout ça.
— Le cœur a ses raisons, mon pote.
Il se lève et vient s'asseoir à côté de moi avant de me prendre dans ses bras. Malgré ma surprise face à cette embrassade, je le serre à mon tour. « Il a vraiment un don. »
— Tu sais, y a des rencontres banales, ordinaires, qui passent dans ta vie sans te bousculer. Pis y a celles qui te touchent, qui t'interpellent, te chamboulent… ça s'explique pas…
Cette affirmation et son ton étrangement sérieux me font monter les larmes aux yeux, tandis qu'une sensation de soulagement m'envahit.
— J'sais pas si c'est de l'amour. J'ai connu que deux garçons en plus de Julio. Mais ce qui me traverse quand je suis en face de ce mec c'est… intense…
— Il te plait au moins ?
Sa question me gêne. J'esquisse un sourire timide et il pose sa main sur mon épaule. Ses yeux compatissants me rassurent.
— C'est le plus beau mec que j'ai jamais rencontré…
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