Chapitre 17 : Steeve
J’entrouvre les yeux dans un soupire relaxé. Je suis nu dans le lit de Tane, mais il n’est pas à mes côtés. Le réveil indique deux heures vingt-trois du matin et je remarque que plusieurs bougies illuminent la pièce d’une lumière douce et chaleureuse. Je me sens si bien que j’ai l’impression d’avoir dormi plusieurs jours, un sommeil sans rêves apaisant, revigorant.
Je me relève et attrape un plaid posé sur sa commode que j’enroule sur mes épaules. Dans l'autre pièce, quelques bougies sont aussi allumées tandis que la chanson – Papillon – de Céline Dion se promène délicatement dans l’air.
Tombent les feuilles
Aux jours, plus courts
Qui retiennent
Mon corps et ma voix
Je voulais vous dire
Que je vous aime
Le beau Tane se tiens à la fenêtre du salon, des volutes de fumée virevoltent par intermittence et emplissent la pièce d’une délicieuse odeur de tabac. Je m’approche et l’enveloppe contre moi dans le plaid. Il tourne la tête et me sourit.
— Comment va ma belle au bois dormant ?
— Je me suis rarement senti aussi bien.
Je saisis délicatement son poignet et approche sa cigarette de ma bouche. « Dieu que c’est bon ! ».
Souvent
Quand mes yeux s'éclairent
Longtemps
Sur vos promesses blanches
Sans y voir le piège
Qui danse
— Tane ?
— Oui ?
— Je… je voulais te dire que…
Les mots sont là, sur le bout de ma langue, mais impossible de les faire sortir.
— Merci…
Il écrase le mégot dans un petit pot en terre cuite déjà bien plein et passe ses bras autour de moi. Sa chaleur est si réconfortante, il dégage une telle force tranquille que je voudrais ne plus jamais le quitter, tant je me sens protégé.
Papillon éphémère
Aux ailes de verre
Prisonnière du fil de vos secrets
— Je sais que tu ne fonctionnes pas comme ça, Steeve. Mais je dois être honnête… autant pour toi que pour moi.
Papillon qui espère
Juste un peu de lumière
Pour sécher ses couleurs
Au feu de vos désirs
Il hésite, frissonne, soupire, puis attrape mon menton et plonge son regard dans le mien.
— Je n’ai pas ressenti ça pour quelqu’un depuis longtemps…
Ses yeux se remplissent de larmes, les miens aussi. Je sais ce qui est en train de se passer. J’en ai envie, mais j’ai peur. La chanson se termine et un silence irréel s’impose, nous laissant pantois sous les rayons de la lune qui nous observe. Je suis tétanisé par les sentiments qui m’assaillent. Je n’arrive pas à articuler, à dire ce que j’ai sur le cœur. Il est si beau, fragile et attendrissant et moi, je me contente de profiter de sa chair généreuse…
— Tane, je…
« Vas-y ! Tu ne peux pas le laisser comme ça ! Arrête de te conduire comme un connard et sois honnête ! »
La voix de ma conscience résonne dans ma tête. Mon cœur bat à tout rompre, j’ai l’impression qu’il va sauter hors de ma poitrine. Il fait un froid mordant et je suis pourtant en feu. Mes pensées s’embrouillent. Tane, Yohan, Karim, Kevin et tous les autres… Éric ? Son visage s’impose brusquement.
— J’suis désolé…
Je glisse rapidement hors de ses bras et cours dans la chambre. Je ramasse tant bien que mal mes affaires et fonce vers la porte d’entrée. Il ne bouge pas, ne me regarde pas.
« Tu peux pas le laisser comme ça ! T’es vraiment qu’un fils de pute ! T’as pas le droit de lui faire ça ! »
La voix dans ma tête se fait violente. Je passe amèrement la porte et descends les marches quatre à quatre. Je me retrouve dans la rue, nu comme un ver. Le froid m’assaille, me mord la peau, je ne sens déjà plus mes orteils, mais je ne peux pas m’arrêter pour me rhabiller. Mon visage s’inonde de larmes qui ruissèlent dans mon cou. Dans la précipitation, je trébuche sur le bord du trottoir et m’étale sur le bitume froid de la route, nu jusqu’au cœur.
Je reste allongé là plusieurs minutes avant de reprendre suffisamment mes esprits pour me relever. Abandonnant mes vêtements, je me dirige vers un banc et m’y laisse tomber. Je n’ai plus la force de marcher. J’ai l’impression que mon corps tout entier rejette ma réaction, me punit.
La lune scintille dans le ciel parsemé de fins nuages, elle me toise, me juge de ses grands yeux noirs. Autour de moi, la ville est sereine et j’ai pourtant l’impression de l’entendre hurler, elle m’invective, me met en garde. La pénombre s’approche, m’enveloppe d’une glaçante couverture de ténèbres.
« Tu ne pourras pas passer toute ta vie à fuir l’amour ! »
Mon corps s’engourdit. Je ne sens plus mes membres. Mes yeux se ferment. Je ne peux pas les retenir…
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