Chapitre 20 : Steeve
— Steeve ? Réveille-toi, mon amour.
J’ouvre les yeux pour découvrir le regard attendri de Tane qui me sourit.
— Tu as bien dormi ?
— Je… n’en suis pas sûr…
La pièce qui nous entoure est plongée dans une clarté aveuglante, irréelle.
Tane se relève dans le plus simple appareil. Il se retourne vers moi et s’approche. Brusquement, il force son sexe dans ma bouche. Je suis paralysé. Impossible de bouger.
— Puisque tu ne veux pas me dire que tu m’aimes, je vais te baiser la bouche jusqu’à ce que tu t’étouffes ! crache-t-il en serrant les dents de colère.
Ses va et vient se fond de plus en plus rapide et profond, à tel point que j’hoquète, sur le point de rendre. Un coup trop loin et je manque de m’étouffer dans ma propre salive, mais il continue de plus belle.
— C’est bien fait pour toi, p’tit pd !
Je lève tant bien que mal le regard et aperçois mon frère qui se masturbe en observant la scène avec un rictus malfaisant. Les larmes me montent aux yeux.
— Ton frère serait capable de la prendre en entier !
Mes parents se dressent au pied de mon lit, le regard dégouté. Mon frère s’approche tout en continuant de se tripoter.
— Hein papa, c’est moi qui suce le mieux ? lui demande-t-il en triturant sa ridiculement petite bite dégueulasse qui peine à bander.
« Pitié ! Que se passe-t-il ? Laissez-moi tranquille ! »
Je suis muet, figé, immobilisé par une force invisible. Tane me libère de son étreinte et s’approche de Ludo qui le gobe aussitôt, enfonçant son sexe jusqu’à sa pomme d’Adam avec un râle de plaisir malsain. Ses bruits de bouche dégoutants résonnent autour de nous jusqu’au moment ou Tane exulte en jouissant dans sa bouche.
Puis, brusquement, le néant m’entoure, m’aspire. Je sens le monde se dérober. Je tombe inexorablement dans un trou sans fond dans lequel résonnent les échos de leurs rires moqueurs…
—
Je me redresse brusquement dans mon lit et me penche sur le côté pour vomir à plusieurs reprises. Mon estomac est pris de terribles nausées.
Je regarde autour de moi, mais il n’y a personne dans la chambre d’hôpital.
Je me rallonge et cherche à reprendre mon souffle en concentrant mon regard sur les dalles perforées du plafond. Ma respiration ralentit et je m’apaise. La pression retombe, ce n’était qu’un cauchemar.
Je presse le bouton d’appel que l’on m’a glissé entre les doigts et une infirmière arrive peu après.
— Comment vous sentez-vous ?
— J’ai de terribles nausées…
J’indique de la tête le côté du lit maculé de gerbe. L’infirmière jette un coup d’œil et une grimace de dégout lui déforme le visage.
— Ne vous en faites pas pour ça, nous allons nous en charger.
— Qu’est-ce qui m’est arrivé ?
— On vous a amené ici en hypothermie et…
— Qui m’a amené ?
L’infirmière hésite. Son regard se fait soudain fuyant.
— Un grand et charmant monsieur vous à porté à bout de bras jusqu’à trouver quelqu’un pour vous emmener ici, mais vos parents l’ont…
La porte s’ouvre brusquement, interrompant les explications de la jeune femme. Père et mère pénètrent dans la pièce et me toisent depuis l’autre bout du lit.
— Tu es enfin réveillé ! crache mon père avec exaspération. Tu ne resteras pas une minute de plus à Paris ! Tu rentres avec nous !
— Il n’est pas en état de partir pour le…
— Fermez-la et allez chercher un médecin ! coupe-t-il en gesticulant tel un pantin désarticulé devant la pauvre infirmière.
Malgré son esclandre, je ne vois que mère. Elle reste là, les mains serrées, les yeux vides.
— Dire que ce malabar basané voulait nous faire croire que tu étais pédéraste ! Il croit peut-être que nous sommes dupes, mais nous savons pertinemment que c’est lui qui t’a molesté pour te dépouiller !
Mes yeux s’écarquillent. Une vive douleur me retourne aussitôt les tripes.
« Ne me dites pas que… »
— De qui parles-tu ?
Mon père se tourne vers moi, effaré par mon ton incisif.
— Nous avons appelé la police et ils se sont chargés de lui, c’est moi qui…
— Je t’ai demandé, de qui parles-tu ?
J’ai hurlé et tapé si fort du poing que mon cathéter s’est décroché de la poche de liquide qui se déverse à présent sur le sol. Un médecin entre subitement, accompagné de la jeune infirmière. Il s’approche et commence à me tripoter dans tous les sens. Je bous de rage.
— Foutez-moi la paix ! Bordel de merde !
Voilà un accès de rage dont je ne suis pas fier.
— Je ne le répèterai pas une troisième fois, Francis…
— Comment oses-tu m’appeler ?
— Je t’ai posé une question !
Mon invective virulente le fait reculer en titubant.
— Je… je ne te permets pas de… de me parler sur ce ton, enfin… je… je… bredouille-t-il.
Mes yeux me brulent, je ne parviens plus à les fermer. Une rage sanguinaire me vrille les neurones et même si la réponse à ma question est plus qu’évidente, j’ai besoin de l’entendre.
— Il parle du jeune homme qui vous a amené ici, intervient l’infirmière en baissant les yeux.
« Tane…»
Je sens mon cœur se briser dans ma poitrine. Mon regard s’embrume. Mes émotions s’emmêlent. Je me relève machinalement de mon lit et le médecin tente de me barrer la route. Je le repousse et lui lance un regard meurtrier. Il se recule.
Je me plante devant père et l’attrape par le col.
— Tu as fait enfermer la seule personne qui m’ait montré de l’affection depuis la mort d’Éric ?
Ses yeux se plissent, la peur fait place à de l’incompréhension.
— Tu veux dire que… toi et Éric ? Tu es pédéraste ?
— Oui, Francis ! J’suis aussi pd que Ludo n’a jamais cessé de le clamer. Durant toute ma jeunesse, tu n’as pas cessé de me critiquer, de me mettre plus bas que terre, malgré tous les efforts que je fournissais pour réussir ce que j’entreprenais !
Je le lâche, il tombe sur les fesses, je me retourne vers mère.
— Et toi, Valérie… un geste affectueux de temps en temps, était-ce trop demandé ? Tous les deux, vous avez toujours traité Ludovic comme s’il était un miracle de la nature, la réincarnation du Messi…
Elle déglutit, le visage empourpré, incapable de me regarder dans les yeux.
— Où étiez-vous quand lui et ses amis se moquaient de moi et me violentaient ? Quand ils m’ont enfermé toute une journée dans un casier du collège, me laissant pleurer toutes les larmes de mon corps pendant des heures ? Quand j’ai été puni pour avoir abimé la voiture du proviseur, ou pour ce fameux feu de poubelles dans la cour, alors que vous saviez pertinemment que c’était lui ? Hein !!
Les larmes me brulent, j’ai l’impression d’avoir de l’acide dans les yeux et sur le visage. Je sens que ma tête va exploser.
— Et où étiez-vous quand Éric est mort ? Quand je pleurais jour et nuit l’amour de ma vie ? Je me recul d’un pas et secoue la tête. J’ai fait tout ce que je pouvais… j’ai espéré… attendu votre amour pendant si longtemps… vous n’êtes que des monstres d’ignorance ! Des trous du cul arrogants et suffisants !
La gifle part, probablement plus rapidement que de raison. Mère se fige, le regard dur, les lèvres tremblantes. Je pose ma main sur ma joue endolorie et éclate de rire.
— Une autre preuve, s’il en fallait, de votre mépris à mon égard, murmuré-je en secouant la tête. Je ne veux plus jamais vous revoir…
Je prononce ces mots dans un souffle et pourtant, je vois que mes paroles la transpercent en plein cœur. Ses yeux se remplissent de larme et elle tente de me caresser la joue avec une expression désolée. Je la repousse en hurlant de toutes mes forces.
— Vous avez chassé la seule personne pour qui j’avais de l’importance ! Je ne vous le pardonnerais jamais !
Je tourne la tête et aperçois mes affaires pliées sur une chaise voisine. Je me précipite pour les attraper avant de quitter la chambre. Personne ne s’élance à ma poursuite.
Dans les couloirs, j’enfile mes vêtements au pas de course, haletant, et le cœur battant à tout rompre. J’attrape mon téléphone, plus de batterie. « Fais chier ! »
Je m’immobilise en remarquant le cathéter dans ma poitrine. Je le retire délicatement, m’arrachant une grimace de douleur au passage, puis le jette au sol en reprenant ma route. Un filet de sang auréole ma chemise, mais je n’ai pas de temps d’y prêter attention. Mon cœur me hurle de retrouver Tane au plus vite.
J’arrive devant l’accueil des urgences et remarque que l’horloge indique sept heures vingt-huit. Je me précipite vers la jeune femme qui repose aussitôt son téléphone et voyant mon air affolé.
— Tout va bien, monsieur ?
— La police est venue chercher un homme, très grand, costaud, avec des tatouages et des origines polynésiennes, vous l’avez vu ?
— Oui, ils sont venus le chercher à cause du père d’un patient, il y a plusieurs heures et…
— Où l’ont-ils emmené ?
Elle me regarde avec des yeux de merlan frit. Je suis dans un état de nerf tel que je tape mécaniquement du poing sur le comptoir avant de réitérer ma question.
— Ils ont dit qu’ils étaient du commissariat du sixième arrondissement, rue Bonaparte…
Je me précipite aussitôt vers la porte coulissante et saute dans un taxi qui patientait au bord du trottoir.
—
Arrivé au commissariat, je fonce vers un policier qui regarde son ordinateur derrière son bureau.
— Est-ce que Tane est ici ?
« Doucement, tu es chez les flics ! »
— Du calme, monsieur, qu’est-ce que vous voulez ?
Je ne parviens pas à reprendre mon souffle, ma respiration saccadée ne me permet pas de m’exprimer aussi calmement que je le voudrais.
— Je cherche un ami, il s’appelle Tane. Quelqu’un l’a accusé à tort de…
— Ouais, le grand musclé avec les tatouages maoris ?
Une sensation de soulagement m’envahit et mes yeux s’embrument à nouveau.
— Oui, c’est bien lui ! Vous devez le laisser partir, il n’a absolument rien fait de…
— Il a été relâché il y deux heures environs.
Je reste plusieurs secondes à dévisager l’officier avant que mon cerveau ne traite correctement l’information. Je me retourne sans un mot et cours à l’extérieur pour héler un taxi le plus vite possible. Malheureusement, la ville est encore plus congestionnée par les bouchons du matin. Sans réfléchir, je saute du véhicule et m’élance à toute vitesse dans les rues bondées de badauds qui gagnent leur lieu de travail. Il m’est difficile de courir avec mes chaussures de villes, mais ma bonne condition physique me permet tout de même de rejoindre l’appartement de Tane en moins de temps qu’il ne faut pour le dire.
Je m’engouffre dans la petite cage d’escalier et montes les marches quatre à quatre avant de m’immobiliser devant sa porte. Je lève la main pour frapper et, brusquement, je prends peur de sa potentielle réaction. Le pauvre a été traité comme un criminel pour avoir voulu m’aider et je me suis enfui en éludant ses sentiments. La honte m’envahit. Je me retourne et quitte son immeuble, aussi perdu et déboussolé que plus tôt dans la matinée.
Annotations