Chapitre 26 : Steeve
Je passe les portes de l’hôpital et fonce en direction de l’accueil. Mes yeux rougis par les larmes et ma voix désespérée donnent un mouvement de recul à la secrétaire.
— Steeve Charrier, je viens pour Lindsey Beaulieu !
Mon cœur est sur le point de sauter de ma poitrine.
— Je suis désolée pour votre amie, monsieur Charrier…
« Accouche, bordel de merde ! »
— Ils viennent de la transférer à la morgue…
Mes yeux se glacent, mon sang se fige. J’éclate en sanglots, explose en hurlant de toutes mes forces. Mes jambes se dérobent, mes bras ne me tiennent plus, je tombe au sol, implorant que ce ne soit pas vrai.
Un médecin se précipite à mes côtés en même temps que la secrétaire. Ils m’aident à me relever et m’assois sur un fauteuil de l’entrée.
— Nous sommes désolés, monsieur Charrier…
Les mots résonnent dans ma tête, se perdent dans le flot de pensées qui m’assaillent. Je tremble, incapable de prononcer un mot, j’ai l’impression qu’on m’arrache le cœur.
« D’abord Éric et maintenant Lindsey ? Pourquoi ? »
—
Après d’interminables minutes, je parviens à me ressaisir. Je renifle et hoquète, fouille dans ma poche à la recherche d’un mouchoir et me rends compte que j’ai oublié mon téléphone chez moi dans la précipitation. Je soupire et les mots semblent à nouveau vouloir s’assembler dans ma bouche.
— Que s’est-il passé ?
Le médecin pose sa main sur mon épaule et m’offre un regard désolé.
— Elle s’est fait renverser par un chauffard en sortant de la gare.
— Mais… que faisait-elle à Paris ? Elle était censée être en formation à Lyon ?
— Je suis désolé, je ne sais pas…
Je soupire d’incompréhension.
— Vous sentez-vous prêt ?
— Pour quoi faire ?
— Nous avons besoin que vous identifiiez son…
— Son corps ?
Le médecin se racle la gorge et acquiesce.
— Selon son employeur, vous étiez la personne à contacter en cas d’urgence. Nous avons prévenu sa famille, mais comme ils sont à Bordeaux…
Je sens poindre un autre sanglot. Je ne savais même pas qu’elle m’avait désigné comme référent en cas d’urgence. L’attention me touche et me dévaste. Je prends une grande inspiration et me relève péniblement.
— Emmenez-moi auprès d’elle.
Le médecin m’invite à la suivre et nous montons dans l’ascenseur. Dans les haut-parleurs, je reconnais la chanson - Vole - de Céline Dion. Mon cœur se serre.
Vole, vole, petite sœur
Vole mon ange, ma douleur
Quitte ton corps et nous laisse
Qu'enfin ta souffrance cesse
Va rejoindre l'autre rive
Celle des fleurs et des rires
Celle que tu voulais tant
Ta vie d'enfant
Mes yeux s’embrument à nouveau, ma gorge se crispe. Je n’ai pas entendu cette chanson depuis ce terrible matin. Celui où Éric m’a quitté.
Vole, vole, mon amour
Puisque le nôtre est trop lourd
Puisque rien ne te soulage
Vole à ton dernier voyage
Lâche tes heures épuisées
Vole, tu l'as pas volé
Deviens souffle, sois colombe
Pour t'envoler
« Pourquoi faut-il que je souffre pour comprendre… »
Les portes s’ouvrent et un courant d’air glacé me transperce aussitôt. Nous avançons dans un dédale de couloirs carrelé, froid, terne. Le médecin s’approche d’une double porte blanche et la pousse. Je l’aperçois, allongée sur une table en métal, éclairée par un néon gelé.
Mon estomac se vrille, mon cœur bat à tout rompre, mais j’avance et découvre son visage tuméfié. Sa peau est d’une pâleur à faire peur et ses cheveux sont plaqués sur son crâne. Mécaniquement, sans émotion, je parviens stoïquement à prononcer un faible « c’est bien elle ». Le médecin me fait un geste de la tête avant de quitter la pièce.
Je suis incapable de bouger. Je reste bêtement là à la regarder, comme si d’une seconde à l’autre, elle allait se relever et me prendre dans ses bras.
— Pourquoi est-ce que tu m’abandonnes ?
Ma voix résonne dans la grande pièce et je prends conscience de la débilité de mon acte. Je pose une main sur son front, sa froideur me donne un frisson. À mesure que je me penche pour lui donner un dernier baiser, mes larmes tombent sur son visage comme une pluie de désespoir mêlée d’incompréhension. Je ferme les yeux et l’embrasse. Mais je ne peux faire semblant plus longtemps et m’effondre dans ses bras, le corps parcouru de hoquets de tristesse. Je hurle.
« Pourquoi ? »
—
Après avoir signé une série de documents et récupéré ses effets personnels, je monte dans un taxi pour rentrer chez moi. L’épuisement à pris le pas sur la tristesse et j’ai du mal à garder les yeux ouverts.
Lorsque le chauffeur arrête la voiture devant mon immeuble, j’aperçois Tane assis sur les marches. Une montée d’adrénaline me pousse à sauter par la portière et je trébuche, manquant de m’étaler sur le trottoir. Tane se relève et m’observe, intrigué par ma réaction. Je cours dans sa direction tandis que des larmes coulent dans mon cou, lui saute dans les bras, sanglote.
— Je suis tellement désolé… j’ai eu si peur que tu m’abandonnes…
Je sens son étreinte se resserrer, m’envelopper d’une bulle protectrice. Je lève les yeux, il pleure aussi.
— Moi aussi, je suis désolé…
Entendre le son de sa voix me remplit le cœur. Je me dresse sur la pointe des pieds et l’embrasse. Sa main passe dans ma nuque, il me retient.
« Ne me laisse plus jamais… »
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