Chapitre 28 : Yohan
Je me recul et me fige, aussi effaré que gêné par sa réaction. Ses yeux s’écarquillent, il semble autant surpris que moi.
— Je peux savoir ce qui vient de se passer ?
Le ton de ma voix et si froid que je peux presque voir des volutes de fumée gelée virevolter devant mes yeux. Mon cœur se serre.
— Je… désolé…
— Attends, je t’embrasse, tu me repousses et tout ce que tu trouves à dire c’est « désolé » ?
Même mes oreilles ont du mal à en croire leurs yeux. Je sens remonter l’énervement de mon altercation avec Julio, Lucia et Mickaël. Au même moment, mon téléphone vibre. C’est justement Mickaël, mais je rejette son appel avant de mettre mon téléphone en mode avion pour ne plus être dérangé.
— Alors quoi, Steeve ? T’as perdu ta langue ?
Mon ton agacé le surprend, je le lis sur son visage qui se referme brusquement.
— Je ne peux pas t’embrasser…
— Ah ouais ? T’as pourtant eu aucun mal à me baiser ce matin !
La rage et l’impatience prennent le pas sur ma timidité, je me sens sur le point d’exploser.
— C’est quoi ton problème, Steeve ?
Il déglutit avec difficulté, son regard fuit le mien, on dirait un petit garçon que l’on gronde, je m’en veux, me radoucit.
— Excuse-moi, j’suis pas dans mon assiette avec tout ce qui s’est passé…
— Non, c’est pas toi… pour être honnête, je crois que ce qui me plaisait chez toi, c’était ta ressemblance avec Éric. Mais j’ai compris que tu n’étais pas lui… je pourrais m’en vouloir toute ma vie que ça ne changera rien… il ne reviendra pas…
— Qu’est-ce qui lui est arrivé ?
Ses yeux se remplissent de larmes, il soupire et se mord la lèvre inférieure. Le voir dans cet état me fend le cœur.
— Un accident de scooter… il roulait beaucoup trop vite et sans casque… il est mort sur le coup…
Il se prend brusquement le visage dans les mains et éclate en sanglots. Je sens monter les larmes à mon tour, pose une main sur son épaule et l’attire vers moi. Il m’entoure de ses bras, me serre en laissant éclater sa tristesse, humidifiant mon sweat-shirt au passage.
— Ce connard en voulait toujours plus ! Il ne vivait que de sensations fortes et d’excitation, c’était son carburant…
Il relâche son étreinte et se recul dans le canapé en se frottant les yeux.
— Quand je t’ai vu pour la première fois, j’ai été subjugué par votre ressemblance, par tes yeux magnifiques qui me donnaient l’impression de le voir. Mais ce n’était que le fruit de mon imagination, la vision de que mon âme torturée par sa disparition projetait pour me rassurer.
Il se mord les lèvres et baisse la tête.
— Je suis désolé, Yohan, c’est son reflet que j’ai aimé en toi…
Mes yeux ne veulent pas croire ce que j’entends, je me braque aussitôt.
— Tu veux dire que… ce qu’on a fait ce matin, tu pensais le faire avec… lui ? Que ça n’a… aucune autre importance à tes yeux ?
Il hoche timidement la tête, mon sang ne fait qu’un tour, je ricane nerveusement.
— Woaw ! Karim et Kevin avaient raison à ton sujet !
Il fronce les sourcils, interloqué.
— T’es vraiment qu’un connard, Steeve !
— Quoi ? Non, tu ne comprends pas, j'ai besoin de toi…
— J’veux plus jamais te revoir !
Je me lève brusquement et me précipite vers la sortie, mais lorsqu’il se relève pour me rattraper, il titube et tombe à plat ventre. Mon cœur se serre, les larmes montent, mais ma rancœur est plus forte. Je quitte son appartement et cours à l’extérieur sans me retourner.
Dans la rue, j’avance sans savoir où aller. La rage et la déception guident mes pas à un rythme effréné, je suis essoufflé, mais impossible de m’arrêter. Un gars trifouillant son smartphone me bouscule, je le regarde méchamment et le repousse.
— Lâche ton putain de portable et regarde où tu marches, fils de pute !
Il se redresse et s’avance vers moi, l’air mauvais.
— C’est moi que tu traites de fils de pute ?
Son poing part et atterrit dans ma mâchoire. Je m’étale au sol, sonné. Il enchaine un coup de pied direct à l’estomac, une giclée de sang est projetée hors de ma bouche endolorie, ma vision est brouillée par la douleur. Un autre coup dans le ventre, je me roule en boule. Il crache plusieurs insultent que je n’entends pas vraiment et s’éloigne, mes oreilles sifflent.
Je parviens péniblement à me relever, le visage et le ventre en feu. J’attrape mon portable et retire le mode avion, trente-deux notifications d’appels en absence, toutes de Mickaël, mais je ne m’y attarde pas.
— Allo, Karim ?
— Yohan ? Est-ce que ça va ? T’as une voix bizarre.
— Non, ça va pas… j’ai grave merdé…
— OK, dis-moi où tu es et je passe te chercher !
— Euh… je sais pas…
— Envoie-moi ta position !
— OK…
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