Chapitre 7 : Steeve

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Sept heures trente. Le son strident de mon réveil m’arrache une grimace. Être obligé de se lever aussi tôt un dimanche, tout ça pour s’infliger quatre heures de trajet pour un repas familial déplaisant. J’en peste d’avance.

Je me lève et m’étire avant d’enfiler mon peignoir et de gagner la cuisine pour m’y préparer un café. La pâle lueur du jour naissant se diffuse péniblement entre les immeubles haussmanniens du boulevard. Je me réjouis d’avoir choisi un appartement au dernier étage, sous les toits. Les fenêtres sont plus petites, mais la vue en vaut la peine.

Le temps que la machine se mette en route et une délicieuse odeur de café fraichement moulu envahit la pièce. Je prends le temps de le déguster en regardant les nouvelles sur mon iPhone. La force et la chaleur du délicieux café noir bien serré m’apaisent, je soupire de plaisir.

Mon regard se perd un instant entre la porcelaine blanche et le sombre liquide. Je revois mon barman et son corps musclé, sexy, son énorme sexe veiné. « Je ne connais même pas son prénom...».

Je soupire, puis revient mon p’tit dominé du Trocadéro. Sa gueule soumise, son cul serré, mon sperme étalé sur son visage. Je bande. Mais je n’ai pas le temps de me satisfaire. Je chasse ces amants de mes pensées et déroule mon tapis de yoga sur le parquet du salon. Rien de tel pour bien commencer une journée qui s’annonce merdique.

Ma séance terminée, je file sous la douche. Il est déjà huit heures trente lorsque j’en sors. Je me sèche, remet mes lentilles de contact et passe à mon poignet la Breitling offerte par mes parents le jour où j’ai obtenu mon diplôme en finance, un bijoux que je déteste. J’enfile une chemise blanche et un pantalon à carreaux prince de Galles gris et noir en omettant le boxer, qui sait ce qu’il peut se passer, mieux vaut être prévoyant.

Je me chausse d’une paire de Richelieus Finsbury cognac, assortie à ma ceinture, et termine ma tenue avec un manteau trois quarts cintré en laine noire Bexley, que j’agrémente d’une écharpe en cachemire gris. Je m’admire plusieurs secondes dans le grand miroir de l’entrée, m’attardant sur les formes de mon corps que je trouve parfais, puis glisse mon portefeuille et mon téléphone dans la poche intérieure de ma veste avant de quitter mon appartement.

Au pied de l’immeuble, mon Uber est déjà là. Je grimpe à l’arrière de la Mercedes Bleu marine et salut mon chauffeur d’un mouvement de tête prétentieux. Il baragouine le bla bla commercial habituel avant d’enfin prendre la route, cette journée m’exaspère déjà au plus haut point. Arrivé à la gare du Nord, je lui glisse un billet de dix euros en guise de pourboire et m’empresse de quitter le véhicule pour ne pas m’infliger ses navrants remerciements. Le train est déjà là lorsque j’arrive sur le quai. « La SNCF en avance ? ». Je m'esclaffe intérieurement. Je monte dans un wagon et m’installe à une place double dans le sens inverse de la marche, il n’y a pas grand monde. Un jeune couple bruyant s’installe de l’autre côté de la cabine, je soupire. Le train quitte la gare.

Dix heures dix. Le train s’immobilise en gare de Saint-Just-en-Chaussée. Le couple descend et je retire mes écouteurs, soulagé de savoir que je ne vais pas avoir à supporter plus longtemps leur bécotage. Une charmante jeune femme prend leur place, elle me sourit. Je lui rends la pareille. Le train repart.

Au bout de quelques minutes, elle se lève et vient s’assoir à côté de moi.

— Désolé d'être aussi directe, mais vous êtes l’un des plus beaux et des plus élégants garçons qu’il m’ait été donné de voir, lance-t-elle avec un fort accent anglais.

— C’est le genre de compliments qui font toujours plaisir, réponds-je en esquissant un sourire en coin.

Elle rougit et je m’attarde sur son physique. Ses longs cheveux roux, épais et ondulés, en disent long sur ses origines, tout comme son regard vert intense. Elle porte un maquillage très léger, je distingue aisément ses taches de rousseur.

— Vous êtes Parisien ? demande-t-elle en hochant la tête.

Sa chevelure en cascade de cuivre retombe sur son épaule gauche.

— Je vis à Paris, mais je suis originaire de la région d’Amiens.

— C’est sympathique, j’habite Paris également, répond-elle dans un français hésitant. Peut-être pourrions-nous boire un café ensemble, à l’occasion ?

Elle me tend son smartphone pour que j'y entre mon numéro.

— Je suis désolé, vous êtes très charmante, mais je suis… gay…

Elle écarquille les yeux et son sourire se fane. Elle me fait de la peine.

— Mais nous pouvons sortir ensemble un de ces jours, en toute amitié ?

Elle pince les lèvres et plisse les yeux.

— Vous n’auriez pas un frère célibataire ?

J’éclate de rire.

— Malheureusement, il est déjà marié et pour être honnête, c’est un vrai connard.

Elle glousse d’un discret rire aigu puis me tend sa main gauche que je lui serre.

— Kyara.

— Enchanté. Steeve.

Nous passons les quarante minutes de trajet restantes à échanger des banalités. Originaire d’Irlande, Kyara a vingt-quatre ans et étudie l’histoire de l’art à l’université de la Sorbonne depuis deux ans. Elle m’explique être venue pour suivre son compagnon qui est finalement parti étudier dans un autre pays peu de temps après leur arrivée sur Paris. Avant que je ne descende du train, nous échangeons nos numéros et nous promettons de nous revoir très vite. La belle rousse me fait un dernier au revoir par la fenêtre tandis que le train repart déjà.

En quittant la gare, je me rends compte que notre conversation m’a fait oublier de réserver un VTC pour me rendre chez mes parents, à l’extérieur de la ville. Je m’assois sur un banc pour attendre mon chauffeur lorsqu’un imposant SUV noir s’arrête à ma hauteur.

— Salut, p’tit pd !

Je reconnais instantanément la voix cassante et désagréable de mon frère, Ludovic. Il descend de son char tel Ben-Hur devant les Romains, se pavanant comme un coq de basse-cour vulgaire, dans des vêtements de marques bien trop clinquantes, engoncé par son physique à la limite de l’obésité. Il m’enlace et l’odeur agressive de son eau de toilette musquée me vrille les narines. Je lui donne une tape dans le dos et le repousse le plus gentiment qu’il m’est possible.

— Qu’est-ce que tu fais là ?

— Papa m’a dit que tu arrivais par le train de dix heures cinquante. J’me suis dit que ce serait sympa de finir le trajet ensemble.

« Chic, en voilà une idée qu’elle est bonne… ». Je souffle intérieurement.

Ludo m’ouvre la portière du côté passager et je suis immédiatement surpris de ne pas y voir Linda, sa femme.

— Comment ça se fait que tu es tout seul ? demandé-je tandis qu’il démarre en faisant crisser les pneus de son Range Rover.

— On est en plein divorce, cette garce me trompe depuis des années.

Connaissant Linda, je doute fortement de cette affirmation, mais ne le laisse pas transparaître.

— Désolé pour toi, vieux.

Je ne le suis pas une seule seconde.

— J’ai jamais était aussi bien, t’inquiètes, ajoute-t-il en ricanant niaisement. Je me suis dégotté une p’tite jeune de vingt-deux ans avec qui on baise en permanence, c’est le panard intégral.

Là aussi, vu ce que me racontait Linda concernant ses problèmes d’érection, je doute.

— Tant mieux pour toi.

J'espère avoir la paix, mais c’est sans compter sur sa grande bouche arrogante. La prochaine demi-heure s'annonce très longue.

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