Chapitre 8 : Steeve

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Onze heures vingt-cinq. Les grilles de la propriété familiale s’ouvrent et Ludo fait vrombir le moteur en remontant l’allée de cyprès. Malgré le monologue égoïste qu’il déverse depuis notre départ de la gare, un sentiment nostalgique m’envahit à l’approche de la maison de nos parents. Le soleil nous fait l’honneur de se montrer malgré les épais nuages qui flottent dans le ciel et je reste un instant hypnotisé par les ombres des résineux qui bordent le chemin et qui défilent en un ballet silencieux.

Nous contournons l’imposante fontaine et le Range Rover s’immobilise devant l’immense porte d’entrée de l’hôtel particulier. Papa et maman nous attendent sur le palier, enfin, père et mère, devrais-je dire. Ils descendent les marches en nous tendant les bras. Mon père serre la main de Ludo, tandis que ma mère me gratifie d’une accolade cordiale. Il ne faudrait pas froisser nos vêtements dans une effusion sentimentale inappropriée. Mon père pose sa main sur mon épaule et me serre vigoureusement la main.

— Où est ta charmante petite amie, Lindsey ? me demande-t-il avec son faux accent précieux.

— Elle est en formation à Lyon pour dix jours, dis-je avec un sourire figé qu’il ne remarque même pas.

Il glousse avec un haussement d’épaule faussement déçu, puis nous invite à entrer.

Je regarde ma montre avec lassitude, il n’est que quatorze heures vingt-sept, je soupire. Après un repas guindé et ennuyeux à écouter mon paternel et mon idiot de frère parler de leurs affaires communes, nous nous retrouvons dans le jardin d’hiver pour le dessert. Malgré le soleil qui lèche les épaisses vitres, je frissonne. La bonne dépose une tarte aux fraises sur la table basse ainsi qu’une assiette de meringues fraiches et quatre tasses de café fumant. Un air de Debussy se promène dans la maison – fantaisie pour piano et orchestre – le préférée de mère.

J’attrape la soucoupe et porte la tasse à mes lèvres tandis que la bonne nous sert à chacun une part de l’appétissant gâteau. Ce jus de chaussettes est immonde. Je grimace.

— Alors, ton nouveau poste te convient ? me demande mon père en ajoutant un sucre dans sa tasse.

— Je n’ai pas à me plaindre, le travail est correct et je dispose de mon propre bureau. Mais malgré le salaire plus avantageux, je n’ai pas les stock-options et la mutuelle qu’on m’offrait à Amiens.

Mon père acquiesce en grognant tandis qu’il s’enfourne un épais morceau de gâteau dans la bouche.

— Tu aurais dû venir bosser avec père et moi, lâche Ludo.

Je me crispe.

— On ne va pas remettre ça sur le tapis !

Je soupire en grognant.

— Ton frère à raison, je pense m’être montré plus que généreux à ton égard, reprend le paternel.

— Vous savez que ce n’est pas qu’une question d’argent. Je suis ambitieux. Où est le challenge si tout m’est offert sur un plateau ?

Mon père secoue la tête puis échange un regard entendu avec Ludo.

— Je suis simplement déçu que mon propre fils ne soit pas capable de saisir une opportunité quand elle lui tend les bras, siffle mon père.

Je me fige, crispe la mâchoire. Mes doigts se resserrent sur ma tasse.

— Vous m’avez suffisamment bien élevé pour que je sois capable de voler de mes propres ailes, contrairement à certain…

Je jette un regard de biais à mon frère qui plisse les yeux en serrant les dents.

« Que vous faut-il de plus ? Bordel de merde ! ». Je déglutis.

Ma mère baisse les yeux. Mon père se redresse dans son siège. Le pugilat peut commencer.

— Je rêve ou tu me traites d’incapable ? s’emporte Ludo.

— Je ne te traite pas d’incapable, je dis juste que, contrairement à toi, je ne dois ma réussite qu’à mes capacités et ma persévérance.

— Ça y est, monsieur le parisien se croit supérieur !

— Je n’ai peut-être que vingt-six ans, mais je sais reconnaitre un lèche-cul quand j’en vois un !

— C’est le p’tit pd qui parle de lécher des culs ? Quel comble !

— Arrête de m’appeler comme ça !

— Comme quoi ? P’tit pd ?

Je me relève, prêt à lui mettre ma main dans la figure. Ma mère retient mon bras. Je lui lance un regard noir et me rassois.

— Moi, au moins, je n’ai pas passé ma scolarité à me branler en matant du porno sur internet.

Satisfait de mon pique, j’avale une gorgée de l’insipide breuvage. Je grimace à nouveau.

— C’est sûr, t’étais trop occupé à sucer des bites !

Je manque de m’étouffer, me jette en avant et lui balance une gifle qui me brûle aussitôt la main. Il me repousse, me faisant tomber à la renverse. Mon père s’interpose, le sourire aux lèvres. Ma mère ne bronche pas.

Le patriarche me toise avec un rictus satisfait, je sais pertinemment que notre rivalité lui plait. Moi, ça ne me plait pas, et ça ne m’a jamais plu. Je me relève, furieux, et ordonne à la bonne de m’apporter mon manteau. Je me dirige vers l’entrée, les larmes me montent aux yeux et je fais mon possible pour ne pas perdre contenance. Je ne leur donnerais pas cette satisfaction.

Alors que je m’apprête à partir, je les aperçois tous les trois, m’observant comme si j’étais une bête de foire, enragée. Je claque volontairement la lourde porte en chêne massif et avance d’un pas décidé en direction des grilles. Je peux enfin éclater en sanglots.

« J’aurais dû m’en douter ! »

Les grilles sont fermées, je vais devoir passer par-dessus. J’imagine mon père et mon crétin de frère en train de ricaner en me regardant galérer sur la vidéo surveillance. J’escalade tant bien que mal les deux mètres cinquante de fer forgé, mais une fois en haut, un pan de ma veste se coince dans une pique. Je parviens à me dégager, mais l’élan me fait basculer, je m’étale au sol. « Ouch ! »

Rien de casser, hormis mon amour propre.

Je me relève et époussette mes vêtements. J’ai déchiré l’entrejambe de mon pantalon et rayé mes chaussures hors de prix. « Putain, fais chier ! »

Je sors mon smartphone et, tout en quittant le chemin privé pour rejoindre la départementale, appelle un VTC. « Pas avant une heure ? ». Je raccroche, rageur. Me voilà contraint de faire du stop comme un vulgaire SDF.

Tandis que je marche le long de la petite route, je sens une goutte me tomber dans le cou, puis une deuxième. En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, des trombes d’eau s’abattent et je me retrouve trempé jusqu’aux os. Décidément, rien ne me sera épargné.

Un bruit de moteur m’interpelle. Je me retourne, tend le pouce et un Renault Kangoo blanc s’arrête à ma hauteur. La portière s’ouvre et je m’engouffre à l’intérieur.

— Merci infiniment, vous me sauvez la vie, dis-je, dégoulinant.

— Pas de quoi ! Avec ce temps pourri, je pouvais décemment pas vous abandonner là, rétorque le fort barbu d’un ton sympathique et amical. Vous êtes du coin ?

— Non, j’habite à Paris, je suis juste venu voir mes parents…

Mon ton soudain gêné met vraisemblablement mal à l’aise mon hôte, il me dévisage.

— Steeve ? Steeve Charrier, du collège Arthur Rimbaud ?

Je le scrute en plissant les yeux. Son regard me parle, mais son épaisse barbe brune ne me permet pas de bien voir son visage.

— Guillaume Favier !

J’écarquille les yeux tandis que le souvenir du sexy capitaine de notre équipe de foot me revient en tête.

— Ben ça alors ! Tu parles d’un hasard, s’exclame-t-il en me prenant dans ses bras.

Malgré son look débraillé, il dégage une odeur de campagne agréable, épicée. « Qui se promène en débardeur au mois de novembre, sérieusement ? ». Mais cela a le mérite de mettre en valeur ses bras musclés par le labeur rural.

— Qu’est-ce que tu deviens ? T’es grave bien fringué ! lance-t-il en redémarrant.

— Merci, je bosse dans la finance.

— Tu veux dire… comme un banquier ?

Je me rends compte du monde qui nous sépare, mais cela n’enlève rien à son charme.

— Plus ou moins. Je suis conseillé en gestion de patrimoine. En gros, je dis à des gens bourrés de fric comment le gérer.

Il éclate de rire.

— Ah OK, je vois.

Son expression perdue m’indique le contraire.

— C’est super barbant, mais ça paye bien, ajouté-je pour le détendre.

Durant de longues minutes, nous roulons au hasard en nous remémorant nos souvenirs communs. Il s’arrête à un stop.

— Au fait, j’te dépose où ?

— Ça t’embête de m’emmener à la gare d’Amiens ? J’dois rentrer sur Paris.

Il sourit et me fait un clin d’œil.

— Tu rigoles ? Avec plaisir !

Lorsque nous arrivons au centre-ville, la pluie a cessé son martelage et un rayon de soleil déchire le ciel de la fin d’après-midi. Je salue le beau Guillaume qui insiste pour que je vienne passer un week-end dans sa ferme avec sa femme et ses filles. Même si deux heures seul avec lui me suffiraient, j’accepte. Nous échangeons nos numéros, et il me fait la bise avant de repartir.

Une fois monté dans le train, je m’assois au fond d’un wagon. Toujours une double place mais cette fois dans le sens de la marche. Je grelotte. Malgré le chauffage que Guillaume a mis à fond dans sa voiture pour me sécher, mes vêtements sont encore bien humides. Je vais devoir prendre sur moi.

Je passe une main dans mes cheveux pour les remettre en arrière, puis pose la nuque sur le repose-tête en regardant à l’extérieur. Je remarque le reflet d’une personne assise à ma gauche. Un ado, vu son accoutrement. Son sweat à capuche Pikachu et son jeans large me laissent penser qu’il ne doit pas avoir plus de dix-huit ou dix-neuf ans. Il me regarde avec insistance.

Lorsque je tourne la tête dans sa direction, il fait mine de mettre ses écouteurs sur les oreilles. J’esquisse un sourire, il est plutôt mignon, mais bien trop jeune. Il me regarde de biais. Je tourne la tête vers son reflet dans la vitre et ouvre mon manteau avant de légèrement déboutonner ma chemise. Il se lèche les lèvres. C’est lassant de facilité.

Toujours en l’observant indirectement, je remonte ma jambe gauche sur le siège à côté de moi, offrant à sa vue mon entrejambe déjà bien gonflée, tandis que mon pantalon déchiré laisse entrevoir ma peau imberbe. Je promène délicatement une main sur mon sexe que je titille à travers le tissu. Il glisse une main dans son jeans, s’arrachant lui-même un hoquet de surprise lorsque son membre froid empoigne son membre le plus chaud. Je me rappelle à quel point j’étais affamé à cet âge. Ces souvenirs m’excitent.

Toujours sans le regarder, je défais ma ceinture et ouvre mon pantalon, laissant échapper ma verge qui se dresse d’un coup. Il est surpris, mais ses lèvres tressaillent d'envie. Doucement, je me masturbe, joues avec mon gland, le liquide séminal que j’étire avec mon majeur avant de le porter à mes lèvres. Il se tripote avec frénésie, se mord la lèvre inférieure. Il jouit dans son froc en quelques secondes, réprimant des hoquets d’extase.

« Première fois ? ». Pas grave.

Brusquement, je plonge mon regard dans le sien, lui intime silencieusement de ne pas baisser les yeux. Il obtempère. J’accélère mes mouvements, suis ma main en donnant des coups de bassins, puis me délivre dans un râle de plaisir rauque avant de m’affaler, brûlant d’exaltation. Il n’en fallait pas moins pour me remettre de cette journée éprouvante.

Sans un mot, il se relève et pose un sac à dos sur son épaule, puis se penche vers moi. D’un doigt, il récupère une goutte qui perle sur mon gland et la porte à sa bouche.

— J’ai toujours voulu savoir quel gout avait celui d’un autre mec, murmure-t-il avant de s’éloigner.

« Quelle audace ! »

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