Chapitre 10 : Yohan
— T’es bien pâlot, mon pote. T’es sûr que tout va bien ?
Je serre mes draps sur mon entrejambe.
— Ouais, t’inquiètes. Juste un… cauchemar !
Mickaël sourit.
— OK, ben, si ça te dit, on se retrouve tous pour le p’tit déj, à huit heures.
— Quelle heure il est ?
— Sept heures vingt.
Je m’étonne qu’il soit aussi matinal.
— Je crois que je vais aller faire un footing. J’ai besoin de prendre l’air avant de commencer les cours.
— Ça roule. On se rejoint devant la salle du cours d’éco, dans ce cas ?
— OK…
Il attrape son sac et quitte la chambre. Je pousse un long soupir de soulagement. En me découvrant, je remarque avoir mouillé jusqu’à ma couette au travers de la housse.
« Fais chier ! »
Je me lève et me dirige vers la salle de bain lorsque la porte s’ouvre brusquement.
— J’ai oublié mon livre de…
Je n’ai pas le temps de le cacher avec mes mains que Mickaël se fige en remarquant mon boxer maculé du liquide blanc gluant. Il éclate de rire.
— Eh ben, mon salaud ! Sacré cauchemar, lâche-t-il en se bidonnant.
Je suis mort de honte, il le remarque et change aussitôt de ton.
— T’inquiète pas, ça m’arrive tout le temps aussi.
Je m’adoucis. Il entre dans la salle de bain et ressort avec un caleçon à la main.
— Celui-là date d’il y a deux jours. Carmen Electra, dans une piscine à Malibu, dit-il en levant les yeux au ciel et en se mordant la lèvre inférieure.
L’odeur me monte aux narines à mesure qu’il déplie son sous-vêtement collé. Son sourire compréhensif me rassure et nous éclatons de rire.
— T’as pas à avoir honte, tout le monde se tripote !
— C’est pas tant le fait que ça me soit arrivé que celui qui l’a provoqué qui me gênent…
J’en ai trop dit.
— Attend un peu, petit coquin. Tu parles de Julio ?
J’ouvre de grands yeux. « Ouf ! »
— Comment tu sais que je suis…
— Il a pas arrêté d’envoyer des messages à Lucia pour lui dire à quel point vous passiez un bon moment, hier. On en a déduit que ça collait entre vous.
Il me fait un clin d’œil amusé et je rougis, partagé entre la timidité et la confirmation des sentiments de Julio à mon égard.
— C’est cool pour vous deux, mais je dois filer.
Il balance le caleçon sur son lit et attrape un livre sur sa table de chevet avant de quitter la pièce en me faisant un salut militaire. Malgré mon petit mensonge, je jubile intérieurement en me déshabillant pour passer sous la douche.
—
Je vais les routes et je vais les frontières
Je sens, j'écoute et j'apprends, je vois
Le temps s'égoutte au long des fuseaux horaires
Je prends, je donne, avais-je le choix
Motivé par la musique, je contourne les ruches du jardin du Luxembourg. Un peu plus loin, je passe devant la Harde de cerfs mais n’y prête pas attention. Ne connaissant pas encore très bien le parc, je me suis engagé sur le chemin à l’aveugle. La prochaine fois, je prévoirai un itinéraire plus diversifié.
Le fond de l’air est glacé mais revigorant. Même si le soleil ne fait que de timides apparitions rapides, la journée s’annonce agréable. J'ai hâte de retrouver Julio et rien que l'idée d'embrasser à nouveau ses douces lèvres me donne des ailes. Je file sur le chemin tel Hermes porté par son amour pour Aphrodite.
Je remonte en direction du palais, saluant la statue d’Anne de Bretagne, lorsque la chanson de Céline Dion – J’attendais – commence. Je remarque un autre joggeur en sens inverse. Ses yeux d’un bleu cristallin, ses cheveux mi-longs châtains, je crois le reconnaitre. À mesure qu’il se rapproche, mon regard est attiré par son entrejambe proéminente. Troublé, mes pieds s'emmêlent, je trébuche et me rétame la tête la première. « Ouch ! ». Je me redresse sur les genoux en serrant mon poignet droit avec une grimace de douleur.
— Faut pas mater les beaux mecs en courant, p’tit gars, me lance l’inconnu en me tendant la main.
« Cette voix ! C’est le mec du Trocadéro ! »
Je lève les yeux vers les siens, son sourire moqueur se fige.
J'attendais ton regard pour expliquer enfin
Le pourquoi de ces au revoir
À tout ce long chemin
Il passe une main sous mon aisselle gauche et me relève avec facilité, me plantant à quelques centimètres de son visage. La musique dans mes oreilles, l’odeur mentholée de son souffle chaud, ses yeux dans lesquels je me noie. Je suis hypnotisé.
Il secoue la tête et se recule.
— Tu t’es fait mal ?
— Euh… j’ai mal au poignet…
Il m’attrape délicatement le bras et relève ma manche. En inspectant mon membre endolori, il m’arrache un petit cri aigu en pressant sur l’os pisiforme.
— Ce n’est rien, juste une contusion.
— D’accord… merci…
Je n’arrive pas à détacher mon regard du sien. Malgré sa stature musclée, sa grande taille, ses épaules larges et son short moulant qui ne cachent rien de son anatomie généreuse, ce sont ses yeux qui m'obsèdent. Il est vraisemblablement gêné.
— OK, ben… si ça va pour toi, je vais… je…
Il balbutie, se retourne, reprend sa route au pas de course. Abasourdi par cette rencontre, je repars en marchant en direction de l’université, l'esprit perdu dans le vide.
La musique continue dans mes écouteurs :
J'attendais ton amour
Ton beau, ton bel amour
Je l'attendais pour enfin vivre
En donnant à mon tour
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