Chapitre 13 : Steeve
Sans m’en rendre compte, j’ai filé tout droit chez moi sans passer par mon itinéraire habituel. En passant la porte, je prends conscience de n’avoir aucun souvenir des deux kilomètres que je viens de parcourir. Je n’ai pas réussi à chasser son regard…
Je retire mes baskets et me laisse glisser au sol pour reprendre mon souffle. À mesure que ma respiration se calme, mes idées s’éclaircissent. « Ce n’est rien, il ressemble juste un peu à ce fils de pute d’Éric ». Je cherche à me rassurer, vaguement. Je me relève et me dirige vers la salle de bain, ma montre vibre, un message de Lindsey. « Tu me manques, grande folle, mais qu’est-ce que je m’éclate ». Je reçois une photo d’elle attablée avec d’autres jeunes femmes, un verre à la main. J’esquisse un sourire. J’aimerai tant qu’elle soit là à cet instant…
Après une rapide douche glacée, je frissonne en enfilant mes vêtements. Une chemise noire sous un ensemble costume en laine gris se marieront parfaitement à mon humeur morose. Je descends les escaliers quatre à quatre lorsque mon téléphone vibre à nouveau. Grindr, un nouveau message de Kev95. « T’es vraiment un enfoiré de m’avoir laissé comme ça ! » je souris. Un second. « C’est où et quand tu veux pour la revanche. » Je jubile de susciter autant d’envie. Un simple « OK » pour le laisser dans le doute et je passe la porte, direction le bureau.
—
Enfin midi ! Alors que je m’apprête à sortir, Karim me propose d’aller manger un morceau ensemble. J’accepte et le suis au restaurant « Les Fauves » où il a ses habitudes.
Après avoir salué d’autres clients, il me rejoint. Nous discutons de la pluie et du beau temps pendant d’interminables minutes, je sens qu’il veut me dire quelque chose, mais n’ose pas. Son attitude m’agace.
— Écoute, tu peux être plus direct, je commence à perdre patience.
Mon aplomb et mon ton incisif le figent, il me lance un sourire gêné.
— OK, mais parle un peu moins fort s’il te plait. Je suis connu ici.
Il jette un œil autour de nous en se frottant la nuque. Je ris jaune, j’ai une sainte horreur des gens incapables d’assumer.
— Allez, crache le morceau.
Mon ton exaspéré le crispe encore plus, il est vert de gêne.
— Voilà… hésite-t-il un instant. Kevin m’a dit ce que vous avez fait et…
— C’est ton mec ?
Ma question semble le surprendre autant qu’elle le gêne.
— Ne… non… enfin… pas vraiment…
— Il est où le problème alors ?
Je suis à deux doigts de m’emporter.
— Ben… il m’a raconté ce que tu lui as fait et… il était dans un tel état d’excitation en rentrant qu’il m’a laissé le baiser deux fois… il avait encore l’odeur de ton… enfin, tu vois…
Je m’adoucis instantanément, flatté. Je les comprends, je suis un vrai maestro de la galipette, même si eux aussi sont de beaux morceaux dans leur genre. Je sens poindre une érection.
— Et donc…
— Ben… il aimerait qu’on fasse un plan à trois… qu’on le domine tous les deux, si ça te dit ?
Il esquisse un sourire en coin. Je suis tellement excité que je pourrais le violer sur la table devant tout le monde.
— Pourquoi pas.
Je me fais violence pour rester le plus impassible et nonchalant possible, je n’ai pas envie qu’il remarque mon excitation.
— Il m’a justement envoyé un message ce matin, il aurait pu me le demander directement.
— Il m’a dit que ça l’excitait de savoir que j’allais bander en te le demandant.
Je fronce les sourcils et me penche sous la table. Effectivement, j’espère que son pantalon est solide parce que sa braguette est à deux doigts de lâcher. J’attrape mon portable et prends discrètement une photo de son entrejambe qu’il écarte suggestivement en comprenant ce que je compte en faire.
— Un p’tit avant-gout pour Kevin, dis-je en la lui envoyant sur Grindr.
Sa réponse ne se fait pas tarder. Une photo maladroite de son petit cul en gros plan, son pantalon de chantier orange sur les chevilles.
—
La journée se passe étonnamment rapidement, j’enchaine les clients qui ne me laissent aucun répit. Je n’en reviens pas d’être aussi efficace sur tous les fronts.
À dix-sept heures, je rejoins Tane au Cubana Café. Le débardeur en résille noir qu’il porte sous sa chemise en lin blanc ouverte m’émoustille sitôt que je porte mes yeux sur lui. Il me sourit et je m’installe au bar le temps qu’il finisse de servir plusieurs tables.
— Serait-ce le plus beau connard que je connaisse ? lance-t-il en glissant sa main sur ma taille.
Sans me laisser le temps d’objecter, il dépose ses lèvres sur les miennes et m’arrache un gémissement de surprise. Je suis électrisé. Il est encore plus beau que dans mon souvenir. Je remarque soudain un tatouage maori sur son pectoral gauche. « L’avait-il déjà l’autre soir ? Je ne m’en souviens pas… ». Un autre remonte de sa jugulaire droite jusque derrière son oreille. C’est terriblement viril.
— Un mojito ? me coupe-t-il dans ma contemplation.
— De quoi ?
Il rigole en posant la langue sur sa lèvre supérieure.
— Je vais te faire un cocktail de ma création.
Il se retourne et son délicieux postérieur me saute au visage. Je quitte ma veste de costume et déboutonne ma chemise. Je ne me remets pas de l’effet qu’il me fait. Tout en admirant ses mouvements précis et rapides, jonglant entre bouteilles et shaker avec dextérité, je remarque une large cicatrice sur son bras droit. Il se retourne au même moment et capte aussitôt que j’observe sa blessure.
— Une bagarre à la sortie d’une boite de nuit il y a dix ans.
Il écarte sa chemise et se penche sur moi. Entre les marques estompées de son tatouage pectoral, un autre stigmate.
— Le mec m’a donné cinq coups de couteau, dont un à quelques centimètres du cœur. J’ai bien failli y rester.
Je passe ma main sur la blessure puis me recule, une expression à la fois désolée et interloquée sur le visage. « Comment ai-je pu ne pas le remarquer ? ». Je prends doucement conscience que je ne me suis pas réellement intéressé à lui. Lui, cet être parfait, sublime, masculin, viril, qui n’a aucun mal à m’avouer ses faiblesses, à me montrer ses blessures. Je suis perdu. Une étrange sensation de honte m’envahit. Il remarque mon trouble, relève délicatement mon menton de son imposante et pourtant si douce main et m’offre un second baiser.
— J’suis vraiment content de te revoir, souffle-t-il avec un sourire attendri.
— Je… moi aussi… balbutié-je.
Il dépose devant moi un grand verre dans lequel les différentes couchent de liquide se contrastent les une des autres. Une paille métallique et un mini parasol en papier bleu piqué d’une cerise agrémentent joliment le tout.
— Tu m’en diras des nouvelles, lance-t-il avec un clin d’œil avant de s’éloigner pour servir un autre client qui patiente au bar.
Il est adorable. J’amène le verre à mes lèvres et après une longue gorgée sucrée et désaltérante, je pousse un soupir de plaisir. Un délice. Une main se pose soudain sur mon épaule. Je me retourne, j’ai le souffle coupé.
— Salut… tu te souviens de moi ? me demande le gamin aux yeux d’émeraude, un sourire lui fendant le visage.
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