14. Le marais
Ici, les ruines de citadelles oubliées dressaient encore leur silhouette contre le ciel d'ardoise. Ces pierres, jadis témoins d’orgueils passés, veillaient maintenant en silence, seules, battues par le vent et l’oubli. Parfois, au détour d’un sentier, le petit groupe s’arrêtait devant l’un de ces vestiges, figé dans l'instant. Les murs délabrés portaient des histoires qui ne seraient jamais racontées.
Là, le temps semblait suspendu. Chaque souffle du vent portait une résonance ancienne, presque surnaturelle. Le froid, bien que toujours présent, s'atténuait légèrement à mesure qu’ils avançaient vers l’ouest. La nature elle-même leur offrait une accalmie. Il n’y avait pas un bruit, mis à part le râle du vent et le claquement des sabots de leurs chevaux sur le sol durci. La nature s'était repliée sur elle-même. comme une mer calme prête à déchaîner sa force à tout instant.
La nuit, ils cherchaient des abris là où ils pouvaient. Une vieille grange à l’abandon, une grotte dissimulée dans les falaises, ou, plus rarement, l’hospitalité d’une famille isolée. Les visages de ces personnes, marqués par l’isolement et la dureté de la vie, n'étaient que de furtifs éclats de chaleur dans cette immensité froide.
Geilweis, malgré la fatigue évidente qui pesait sur lui, veillait toujours en premier. Sa silhouette rigide se découpait dans l’obscurité. Ses yeux ne cessaient de scruter l’horizon. Ils guettaient les moindres signes de danger.
Quelquefois, le vent restait mordait et s’insinuait entre les collines. Il balayait les landes silencieuses et soufflait dans le visage de Velkhan avec une persistance qui ne laissait aucun répit. La Nylaris paraissait toujours dormir mais elle était toujours à l'affût du moindre bruit, du moindre mouvement, son sens en alerte constante. Ses oreilles frémissaient au moindre bruissement, son regard balayait chaque ombre mouvante. Même dans l’intimité de la nuit, elle ne pouvait se défaire de cette vigilance, ce fardeau devenu instinctif.
Le ciel s'était obscurci à mesure qu'ils progressaient. Ils longeaient les méandres d'un fleuve.
La Loire, pensa Stéphane.
Ses eaux lourdes charriaient un parfum de vase et de végétation en décomposition. Le terrain était devenu traître, la route se délitait en une succession de sentiers envahis par les marécages. Ils étaient arrivés dans une zone que les cartes désignaient comme la Sologne des Eaux. Une étendue humide et insaisissable qui, autrefois, formait une barrière naturelle contre les envahisseurs. Désormais, elle se refermait sur eux comme une gueule béante.
- Ce n'est pas un chemin, c'est un piège, grogna Geilweis en écrasant une touffe d'herbes détrempées sous son pied.
La brume rampait au sol. Elle serpentait entre les troncs noirs des aulnes et des saules tordus. Le vent portait un silence étrange, interrompu seulement par le lointain coassement d'un héron caché dans les roseaux. Chaque pas s'enfonçait avec un bruit suintant dans une boue épaisse qui aspirait leurs chevilles. Stéphane scrutait l'horizon trouble :
- On aurait dû faire un détour par le nord, souffla-t-il.
- On aurait perdu un jour de plus, répliqua Liawen. Il faut continuer.
Un bruissement s'élèva quelque part sur leur gauche. Un frisson parcourut le dos du jeune homme. Depuis plusieurs minutes, il avait cette sensation oppressante... d'être observé.
Soudain, le sol se déroba sous les pieds de Téryn. Il poussa un cri avant de disparaître dans une flaque noire, avalé par l'eau croupie. Un éclaboussement lourd, puis plus rien.
- Teryn ! hurla Liawen.
Sans réfléchir, Stéphane se jeta vers l'endroit où son compagnon avait disparu. Il écarta les roseaux gluants qui obstruaient sa vue. Une seconde passa. Puis deux. Une bulle creva la surface. Puis, une forme noire, indistincte, jaillit des profondeurs.
Une chose. Massive. Luisante.
Un corps reptilien aux reflets huileux. Il ondulait sous l'eau comme une anguille géante. Un battement de cœur, et la créature replongea, emportant Téryn avec elle.
- Il est encore là-dessous !
Geilweis se précipita. Il tira son poignard, mais avant qu'il ne puisse plonger, un bras jaillit hors de l'eau. Une main crispée agrippa la rive, puis un second bras, tremblant et couvert de vase. Stéphane attrapa Teryn et l'aida à sortir du bourbier. Le petit homme suffoquait, ses yeux fous fixant un point invisible derrière eux.
- Elle... elle a essayé de m'attirer vers le fond...
Un rugissement sourd résonna sous la surface. Puis l'eau s'agita en cercles concentriques. La créature était toujours là.
- Il faut bouger. Tout de suite ! ordonna Stéphane, le souffle court.
Le groupe reprit sa route en titubant. Il traînait Teryn qui tremblait de tous ses membres. Mais après une dizaine de mètres, son corps s'affaissa brutalement. Il s'écroula sur le sol spongieux, son visage blême, ses lèvres bleues.
- Il est en train de faire un malaise !
Liawen s'agenouilla aussitôt près de lui. Elle posa deux doigts sur sa gorge.
- Son coeur... il ralentit.
La panique monta d'un cran. La créature sous l'eau n'était plus le seul danger. Teryn avait peut-être inhalé une eau souillée ou reçu une morsure empoisonnée.
- Il faut le réchauffer et le sortir d'ici !
Stéphane passa un bras sous son épaule avant de le hisser sur son dos.
- Trouvons un terrain sec, vite !
Ils progressèrent dans la boue, les muscles tendus sous l'effort, la peur au ventre. Derrière eux, l'eau continue de bouillonner, mais la créature ne refit pas surface.
Était-ce une sentinelle du marais ? Une aberration née d'un autre monde, tapie sous la vase depuis des siècles ? Une nouvelle création des Taals ?
Lorsqu'ils atteignirent enfin une butte herbeuse légèrement surélevée, Stéphane s'effondra, épuisé, Teryn dans ses bras. Liawen s'affaira aussitôt à le couvrir d'une cape et à frictionner son torse glacé.
- Il respire encore, mais il est en hypothermie, murmura-t-elle.
Les autres se regroupèrent en cercle, les yeux rivés sur le marais. L'eau était redevenue étrangement lisse.
- Il y a quelque chose ici qui ne veut pas que nous passions, souffla Geilweis.
- Et nous avons vu à quoi nous avons affaire, répondit Stéphane, la mâchoire crispée.
Un long silence s'installa. Puis, au loin, un faible grondement, semblable à une plainte. La créature n'en avait pas fini avec eux.
L'air était saturé de brume et de vapeur fétide. Autour d'eux, le marais s'étendait, vaste et silencieux. Il était le cimetière englouti d'où seuls les os des arbres morts émergeaient encore des eaux noires. La carcasse noueuse des aulnes tordus projetait des ombres inquiétantes sur sa surface miroitante. L'endroit n'était qu'un piège à âmes, un gouffre où même la lumière du jour semblait s'éteindre.
Et dans cet abîme mouvant, quelque chose veillait.
Un frisson imperceptible traversa Stéphane. Quelque chose d'ancien et d'hostile. La sensation que ce lieu n'était pas seulement une route difficile, mais un territoire interdit. Teryn, toujours fiévreux après son immersion dans l'eau croupie, tentait de reprendre ses esprits sous la surveillance de Liawen. Son souffle était court, ses lèvres d'un bleu inquiétant.
Puis, un nouveau grondement s'élèva des profondeurs. D'abord, un simple tourbillon. Puis une déflagration liquide. Une masse noire jaillit hors des eaux dans un geyser putride. Ils eurent tout juste le temps de voir l'ombre immense s'arracher aux abysses du marais.
La chose s'élèva, haute comme trois hommes. Son long cou sinueux se dressait vers le ciel, exhalant un souffle nauséabond. Sa peau était un amalgame d'écailles noires, de crasse et de vase. Elle suintait, hérissée d'excroissances osseuses. Un torse massif, des pattes griffues qui effleuraient la surface de l'eau, et surtout, une gueule béante aux crocs démesurés, garnie d'une langue bifide qui sifflait dans l'air.
Ses deux yeux blancs, vides, balayèrent le groupe.
Un silence absolu. Même Velkhan recula avec le petit groupe. Pourtant, un seul ne recula pas. Au lieu de fuir, Geilweis planta ses pieds dans la boue. Il fit glisser sa hache le long de son bras, puis la saisit à deux mains. Son regard n'exprimait rien d'autre que la pure anticipation du combat.
- Alors, c'est toi qui nous chasses ? cracha-t-il. On va voir qui est le prédateur ici.
Dans un hurlement déchirant, la bête fondit sur lui. Un instant, elle était dans l'eau, l'instant suivant, elle fondait sur sa proie à la vitesse de l'éclair. Le colosse ne bougea pas, attendant le dernier moment.
Puis, un éclair d'acier.
Sa hache fendit l'air dans un arc meurtrier. Elle s'abattit sur le flanc du monstre avec une force titanesque. L'impact retentit comme un coup de tonnerre. Un rugissement de douleur déchira la brume tandis que du sang noir jaillissait en cascade de son corps. L'eau du marécage en fut souillée.
Mais la bête ne s'efffondra pas. Elle répliqua aussitôt. Son cou serpentin fouetta l'air. Il s'abattit sur Geilweis qui l'esquiva d'un pas sur le côté. Mais la créature, plus rapide qu'il ne l'avait cru. Elle ramena sa gueule et referma ses mâchoires sur son bras gauche. Un bruit immonde de chair broyée.
Le colosse grinça des dents sous la douleur, mais au lieu de reculer, il attrapa la gorge du monstre de son bras libre et le tira vers lui.
- Tu a cru m'avoir ? gronda-t-il entre ses dents serrées. Je vais te montrer ce que ça fait de mordre plus gros que soi !
Dans un effort surhumain, il leva sa hache à une main et la planta droit dans l'œil droit du monstre. Un hurlement à glacer le sang fit vibrer l'air. La créature lâcha prise et recula en titubant, aveuglée d'un côté. Son corps était secoué de spasmes. Des bulles noires crevèrent la surface du marais, comme si même la terreur de l'eau elle-même se rétractait face à la douleur du monstre.
Mais Geilweis n'avait pas fini. Il roula l'épaule, arracha un morceau de sa tunique pour entourer son bras blessé, puis serra sa hache, prêt à en finir.
- Je vais te faire comprendre pourquoi on ne s'attaque pas à moi !
L'énorme créature, bien que blessée, rugit de fureur. Elle se dressa de nouveau pour lever son énorme queue et l'abattre sur le guerrier.
Cette fois, il n'esquiva pas. Il frappa avant elle. D'un cri bestial, il brandit sa hache et lui trancha net la queue dans un déluge de chair et d'os brisés.
Un hurlement final résonna à travers le marécage. La créature recula. Son corps convulsait et battait l'eau dans une ultime tentative de survie. Puis, dans une dernière secousse , elle s'efffondra, son corps gigantesque heurtant la vase avec une lourdeur macabre.
Un silence.
Puis, lentement, les eaux du marécage se refermèrent sur elle. Elles engloutirent son cadavre comme si elle n'avait jamais existé.
Geilweis resta immobile un instant, son souffle rauque soulevant sa poitrine. Puis, il cracha dans l'eau et secoua la tête avant de jeter un regard moqueur à ses compagnons qui le fixaient avec stupeur.
- Bon... qui d'autre veut essayer ?
Un éclat de rire nerveux fusa du groupe. Stéphane passa une main sur son visage, cherchant à retrouver son souffle :
- Geilweis... tu viens de tuer un putain de dinosaure des marais.
- Ouais... et alors ? Le colosse renifla, passant sa main sur son bras ensanglanté. J'ai connu pire.
- Pire ?! T'as déjà affronté pire que ça ? dit Liawen, arquant ses sourcils.
- Un boucher à Valgrad. Il m'avait vendu du saucisson douteux.
Un silence.
Puis Liawen éclata de rire, suivi de Stéphane. Geilweis lui-même finit par sourire de sa plaisanterie. Il hocha la tête :
- Allez, on bouge. Si ce marais cache encore des trucs de ce genre, j'ai pas envie de tester si j'ai encore du sang dans mes veines pour un deuxième round.
Ils se remirent en route, traversant enfin le dernier obstacle du marécage. Derrière eux, quelque part sous les eaux, autre chose d'autre remua.
Plus profondément encore...
Il avaient établi un campement. Le feu mourait lentement. Il projetait des ombres vacillantes sur les troncs noueux des arbres. Le silence s'était installé autour du groupe, seulement troublé par le crépitement des braises. Le souffle lointain du vent continuer à s'insinuer entre les branches.
Un peu à l'écart, Stéphane fixait l'écran de son téléphone, le pouce figé sur l'image qu'il venait d'ouvrir.
"Corinne."
Elle souriait, comme toujours. Un éclat de lumière capturé dans une simple photographie. C'était une soirée d'été, ils étaient au bord d'un lac et elle riait, la tête renversée en arrière, ses cheveux balayés par le vent. Il se souvenait exactement de ce moment. Du son de son rire. Du goût salé de l'air ce soir-là. Du soleil couchant qui s'attardait sur sa peau.
Une autre photo. Elle, enroulée dans une couverture, une tasse entre les mains, dans ce café où ils avaient passé des heures à refaire le monde. Puis une autre, où elle dormait paisiblement, sa tête posée contre son épaule, comme si rien ne pouvait jamais cet briser instant.
Mais tout avait été détruit. Un poids s'écrasa contre sa poitrine. L'ombre de son absence était là. Toujours. Une main glacée refermée autour de son cœur.
La voix de Liawen se fit entendre :
- C'est ta femme ?
Il verrouilla l'écran d'un geste brusque comme un coupable pris sur le fait.
Elle s'était approchée sans bruit, les bras croisés sur sa poitrine, enveloppée dans une cape qui épousait la courbe de ses épaules. Dans la lumière vacillante du feu, ses traits étaient plus doux, moins durs qu'à l'accoutumée. Mais ses yeux, eux, brillaient d'une lueur qu'il ne savait pas encore nommer.
- Oui, murmura-t-il.
Elle haussa un sourcil, mi-amusée, mi-sceptique.
- Tu pensais à elle.
Ce n'était pas une question. Un silence s'installa, pesant, chargé de quelque chose de trop lourd pour être formulé à voix haute. Liawen baissa lentement les yeux vers son téléphone qu'il tenait encore dans sa main.
- Je n'avais pas besoin de voir pour savoir, souffla-t-elle.
Stéphane ne répondit pas. Il ne savait pas quoi dire.
Elle s'approcha un peu plus et s'installa à côté de lui sur le tronc couché. Son genou toucha légèrement le sien. Ce simple contact fit monter en lui une tension qu'il n'avait pas vue venir.
- Elle te manque.
Il hocha la tête lentement.
- Oui, toujours.
Elle soupira.
- Elle n'est plus là.
Il ferma les yeux.
- Je sais.
Un silence. Puis, plus doucement :
- Mais toi, tu es encore là, et...
Il rouvrit les yeux et la regarda. Son visage était plus proche, ses traits plus étendus que d'ordinaire. Et surtout, il y avait cette vulnérabilité dans son regard , cette lueur qui luttait contre quelque chose qu'elle n'osait pas formuler.
- Et toi aussi, c'est ça ? souffla-t-il.
Elle ne répondit pas et baissa la tête.
- Tu penses que c'est injuste, pas vrai ?
- J'aimerais pouvoir la détester, répondit-elle, sincère.
Son honnêteté le surprit. Elle sourit, mais ce n'était pas un sourire heureux.
- Parce qu'elle a eu ce que je n'aurai peut-être jamais.
Un frisson remonta le long de sa colonne vertébrale.
- Liawen...
- Non.
Elle leva une main et posa doucement ses doigts sur son torse, juste au-dessus de son cœur.
- Je sais ce que c'est d'aimer une ombre, Stéphane. Mais moi, je suis bien réelle.
Il aurait pu s'éloigner. Il aurait pu lui dire que ce n'était pas si simple, qu'il lui faudrait du temps. Mais elle était là, vivante, vibrante, trop proche pour qu'il puisse ignorer l'évidence.
Lorsqu'elle l'embrassa, il ne la repoussa pas. Ses lèvres étaient chaudes, pressées contre les siennes avec une fougue à peine contenue, une impatience qu'elle ne voulait plus dissimuler. Il sentit son cœur s'emballer, ses sens se brouiller. Une chaleur nouvelle se répandit en lui.
Ses bras trouvèrent sa taille, l'attirant plus près. Elle glissa ses doigts dans ses cheveux, comme pour s'accrocher à lui, comme si elle voulait lui faire comprendre qu'elle n'était pas un souvenir, elle. Elle était là. Bien vivante.
Et cette nuit, il décida de l'être aussi.
Quelques jours plus tard, ils arrivèrent en bordure de la Normandie. La forêt était redevenue dense. Les troncs noueux, couverts de lichen, semblaient se rapprocher les uns des autres. Ils tissaient un labyrinthe végétal où la lumière peinait à s’infiltrer. De petites flaques d’eau miroitaient sous les premiers rayons du matin, tandis que de fins ruisseaux serpentaient entre les racines. On pouvait entendre leur chant discret à travers les pierres couvertes de mousse
La pluie qui tombait inlassablement, remplaça la neige. Elle inondait la terre de son flot incessant, comme des rideaux serrés. La boue, collante et froide, ralentissait leurs chevaux. L’humidité pénétrait jusque sous leurs vêtements. Elle alourdissait chaque mouvement, chaque geste. Malgré cela, quelque chose dans l’air portait l’espoir.
Peut-être était-ce la mer, invisible mais proche. Elle semblait les appelait.
Les jours se succédaient, pesants, mais il y avait toujours ce parfum salé, lointain, qui flottait dans l’air, comme une promesse. La fatigue, lourde et tenace, pesait à chaque étape, mais l’idée de la mer leur donnait la force d’avancer.
Elle était leur prochain horizon. Ce n’était pas simplement un lieu, c’était une délivrance, une fin à un voyage éprouvant. Ils y trouveraient une chance de respirer, de retrouver des forces avant de continuer leur marche en terre anglaise.
Les arbres se firent plus rares et l’air, plus salin. Au détour d’un chemin, Geilweis se tourna vers Liawen et les autres. Il n’y avait pas besoin de mots. Le regard que Geilweis leur lança en disait long. Epuisé mais serein, il afficha un sourire qui portait une certitude silencieuse.
- Ça ne devrait plus être bien loin, dit-il, la voix rauque, presque un murmure contre le vent qui hurlait autour d’eux. On peut sentir la mer.
Liawen Stéphane et Teryn, les yeux fixés sur l’horizon, cherchait des yeux cette vaste étendue qui s'étendrait à perte de vue.
Oui, ils la sentait.
Ce n’était pas seulement l’air, ni même la brume qui roulaient vers eux mais une sensation plus profonde. Elle les attendait. Là-bas, au-delà des collines qui commençaient à se dessiner faiblement dans la lumière déclinante de l’après-midi. Ils avaient traversé des forêts, des rivières, des montagnes, mais elle, elle semblait plus proche que jamais.
La mer. Prête à les accueillir, avec elle, une promesse de repos.
Ils atteignirent la côte le vingtième jour. Le vent salé soufflait fort. Il enroulait la brume autour d’eux, mais l’odeur iodé était là, omniprésente, comme un souffle sur la peau.
Face à eux, la Manche. Vaste, impassible.
Elle séparait la France de l’Angleterre comme une frontière infranchissable, un monde à part entière, où l’horizon semblait se dissoudre dans le ciel gris, où les vagues noires venaient frapper les falaises avec une force tranquille.
Stéphane, les yeux rivés sur cette étendue infinie, sentit une étrange sensation se former en lui. Il n’était pas sûr de ce qu’il ressentait entre un mélange de soulagement, de nervosité, et d’anticipation. Maintenant, un autre voyage les attendait. Ce voyage les emmènerait là où la terre ne se perdrait plus dans l’horizon, mais se fondrait avec l’eau. Ici, , la stabilité de la terre ferme n’existerait plus.
Mais avant de se lancer dans cet inconnu, il savait qu’il leur fallait un guide, un passeur.
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