18. Le cairn

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Un monument de pierres cyclopéennes dressées en arc parfait. Il baignait dans une lueur pâle et irréelle. Certaines étaient ornées de motifs runiques similaires à ceux que Stéphane avait déjà vus sur la croix et dans le grimoire.

Un frisson le parcourut. C’était là. Ils y étaient presque. Mais un détail glaça leur élan.

Des Taals. En formation serrée. Ils patrouillaient autour du cairn.

Cachés derrière les derniers arbres, Stéphane et le petit groupe les observaient. Ils étaient postés autour du cairn. Leurs armures sombres et lisses captaient la lueur diffuse du ciel. Leurs armes, braquées vers l’horizon, pulsaient d’une lumière inquiétante.

Impossible de passer sans être repérés.

Liawen jura entre ses dents. Après avoir évalué les mouvements des patrouilles, elle se tapit derrière un tronc, avec les autres.

— Combien ? murmura Geilweis.

— Quinze, peut-être plus, armés jusqu’aux dents, répondit-elle tendue.

— Ils s’attendent à être attaquer, chuchota Geilweis.

— Ou bien, ils protègent quelque chose... ajouta Stéphane

— De toute façon, on ne peut pas passer en force, trancha le géant. Ils nous écraseraient.

Un silence s’installa. Puis Liawen prit une inspiration profonde.

— On doit trouver une autre approche.

Mais Stéphane ne l’écoutait déjà plus. Quelque chose venait de l’atteindre. Une vibration au fond de son être. Une chaleur diffuse monta en lui, une énergie qu’il ne comprenait pas encore. Son regard se fixa sur le cairn. Il n’était plus seulement un amas de pierres dressées par une civilisation disparue.

Il était... vivant. Il appelait. Et il l'appelait... lui.

"Écoute tes sens"

Il se leva.

Ses compagnons n'eurent pas le temps de faire un geste qu'il s'avançait déjà, d’un pas décidé, sans réfléchir. Le Cairn l'appelait et il n'avait nulle autre choix que d'y aller. Velkhan grogna. Il sentit une agitation en lui, mais ne bougea pas. Geilweis resta interdit. Liawen voulut crier son nom.

Stéphane tendit une main vers l'arrière. Un signe à ses compagnons pour les rassurer.

"Je sais ce que je fais", sembla-t-il leur dire.

Il posa son autre main sur une première pierre. Il effleura sa surface rugueuse. Une secousse le parcourut, son esprit se déchira.

Puis, son univers chavira.

Des images explosèrent dans sa tête. Un lieu ancien, baigné d’une lumière irréelle lui apparut. Un homme se tenait devant un cercle de pierres identique à celui-ci. Des Taals, vêtus différemment, l’entouraient. Ils formaient un mur d’ombres aux intentions meurtrières. Mais l’homme ne bougeait pas. Il les fixait, le regard brûlant d’une lumière intérieure. Et d’un simple murmure, il les dispersa.

Sans contrôle. Sans combat. Il avait brisé leur réalité.

La vision se dissipa brutalement. Stéphane s’effondra sur les genoux, le souffle court. Ses mains tremblaient. Son cœur cognait dans ses tempes. Il n’avait pas rêvé. Ce pouvoir, il le ressentait encore.

Un murmure. Non... une pensée. Elle s’imposa dans son esprit. Des mots sans son. Une compréhension qui ne venait pas de lui.

"Étends ton esprit."

Il rouvrit les yeux. Cinq Taals se tenaient autour de lui. Ils le menaçaient de leurs armes. Il leva son regard vers eux mais cette fois, il ne voyait pas seulement leurs corps. Il voyait leurs pensées, leurs tensions, leurs peurs enfouies. Des bribes d’images lui parvinrent. La crainte d’un échec. L’ordre implacable qui les maintenait ici. L’ombre d’une menace qui les dépassait eux-mêmes.

Stéphane prit une inspiration. Il ne savait pas exactement ce qu’il faisait, mais il savait comment le faire. Tout doucement. il étendit son esprit puis...

Un choc.

Un fil invisible se tissa entre eux. Une tension grandissante. Les Taals s’immobilisèrent. Leurs mouvements devinrent hésitants. L’un d’eux jeta un regard incertain à celui qui se tenait à ses côtés avec une lueur d’incertitude. Puis un autre fit de même.

Il se releva lentement. Il avait insinué un ordre simple. Une pensée qui ne leur appartenait pas. Elle s’imposa comme une évidence dans leurs esprits conditionnés.

"Vous ne devez pas être ici. Vous avez échoué. Vous devez partir."

Les réactions furent immédiates. Certains fléchirent légèrement sur leurs appuis. Leurs armes se baissèrent d’un millimètre à peine.

"Partez. Loin."

Ils échangèrent des regards troublés. Une pensée parasite venait de fissurer leur esprit. Leur lien mental, si puissant, si parfait d’ordinaire, avait été altéré. L'un d'eux serra les poings. Il luttait contre une force qu’il ne comprenait pas. Une force de loin supérieure à la sienne. Ses lèvres fines s’entrouvrirent, un souffle rauque s’en échappa. Stéphane sentit à peine sa résistance. Il tentait de briser son emprise. Mais c’était trop tard. La peur était là.

Une pulsion de plus, une onde supplémentaire et son esprit fut brisé. Définitivement.

La panique traversa le groupe. Maintenant, ils commençaient à reculer. Ils hésitaient, incertains. Puis, l’un d’eux lâcha son arme. Suivi d'un autre. Un troisième pivota lentement. Il scruta les arbres comme s’ils allaient s’écrouler sur lui. Le doute était installé.

Et pour les Taals, le doute était une condamnation.

L’un après l’autre, ils se tournèrent vers les ombres de la forêt. Ils se mirent à marcher, droit devant eux, leur esprit perdu dans des limbes abyssales. Stéphane les avait emprisonnés dans un rêve éveillé dont ils ne seraient jamais les maîtres. Leurs volontés fut définitivement dissoutes dans un océan de silence.

Liawen et Geilweis restèrent figés. Il le regardèrent comme s’il était devenu un étranger avant de s'avancer doucement vers lui. Le temps d'un battement de cœur, il craignirent de recevoir le même sort.

— Qu’est-ce que tu... qu’est-ce qui vient de se passer ? balbutia Geilweis.

Stéphane se passa une main sur le visage, haletant.

— Je... Je ne sais pas... c'était moi mais... un autre moi.

Le silence revint. Cette fois, il ne pesait plus sur eux. Il les enveloppait, comme une vérité qui venait de s’éveiller. Au centre du cairn, les pierres émirent une vibration. Elles avaient enfin reconnu celui qu’elles attendaient depuis si longtemps.

Stéphane posa une main sur l’une d'elle. Aussitôt, une vibration profonde parcourut son corps. Une pulsation, comme le souffle d'une terre endormie, résonna à travers la roche et l’air alentour. Des filaments de lumière dorée serpentaient sur leur surface rugueuse. Ils traçaient des symboles anciens qui s’illuminèrent un à un.

Il n’avait jamais vu cette langue auparavant. Pourtant, il la comprenait :

"Celui qui veille sur le passage... Qui s’abandonne à la clarté de la pierre... Qui entend la voix des mondes..."

Les mots s’insinuaient en lui comme une vérité déjà connue. Il leva les yeux. Tout autour du cairn, des volutes de lumière ondoyaient. Ils formaient une brume éthérée. L’espace vibra, et dans cette ondulation cosmique, une porte se dessina. Non pas une simple ouverture, mais un passage, vivant.

Un seuil entre les réalités.

Les couleurs coulaient comme de l’encre dans l’eau, mêlant or, azur, argent. Elles dessinaient des arabesques mouvantes. Stéphane fouilla dans sa poche, son souffle court.

Ses doigts trouvèrent la broche de Corinne.

Le saphir y pulsait, comme s’il reconnaissait le lieu... l’instant. Il souleva le joyau à hauteur du passage. Aussitôt, une onde de lumière s’en dégagea. Elle fendit l’espace, achevant de sculpter la porte. L’air devint plus dense, chargé d’une énergie ancienne et infinie.

Il se tourna vers Liawen et Geilweis. Il savait ce qu’il devait faire. Mais eux... eux ne devaient pas le suivre.

— Vous ne pouvez pas entrer, murmura-t-il. Ce n’est pas votre chemin.

Liawen le fixa. Ses yeux couleur azur n'étaient qu'une tempête emplie de mille émotions. Elle venait de comprendre. Ses poings se serrèrent :

— Et si je refusais de te laisser partir seul ?

— Tu n’as pas le choix, Liawen, souffla-t-il, un sourire triste aux lèvres. Je me perdrai dans cet endroit, et... vous vous perdriez avec moi. Ce n’est pas ce que je veux.

Geilweis posa une main lourde sur son épaule. Ses traits étaient graves. Dans son regard, il y avait de l’orgueil, une fierté silencieuse.

— Tu es fou, mon ami. Mais je ne peux que respecter ça. Va... nous t'attendrons ici.

Ces mots, simples, portaient une puissance qu’aucun serment n’aurait pu égaler. Stéphane hocha la tête, incapable de répondre. Liawen fit un pas en avant. Son regard vacilla une seconde, puis elle souffla, presque trop bas pour être entendu :

— Tu es un crétin, Stéphane. Elle déposa un baiser sur ses lèvres.

— Reviens vite.

Il ne répondit pas. Il ne le pouvait pas. Et sans un dernier regard en arrière, Stéphane franchit la porte.

Il se tenait à présent dans un lieu qui défiait toute logique. Un espace suspendu, où les lois du temps et de la matière semblaient avoir été dissoutes dans une harmonie absolue. Un ciel qui n’en était pas un, composé d’éclats luminescents qui tourbillonnaient. Une pensée le traversa :

"Un océan de constellations en perpétuel mouvement."

Des îles flottantes s’entrelacaient. Elles formaient des ponts de lumière éphémères, des rivières d’argent qui coulaient dans le vide, et s’enroulaient en spirale avant de disparaître dans l’infini. Au centre de ce cosmos, figée, une silhouette l’attendait. Drapée d’une robe aux reflets changeants, elle semblait faite de l’essence même de ce lieu.

Lydie.

— Bienvenue Stéphane.

Sa voix n’était pas seulement un son. Elle était une caresse dans son esprit, une mélodie intégrée à l’espace même. Dans ses yeux, aux éclats d'or et de diamants, brillaient des milliers d'étoiles.

— Cet endroit...

— C'est le Pont entre les Mondes. L’interstice où le temps ne s’écoule plus. Le seuil de toutes les réalités.

Il fit un pas en avant. Chaque parcelle de son être vibrait en harmonie avec cet espace. C’était à la fois un commencement et une fin. Un choix irrévocable.

— Tu es à Lyndoria.

— Pourquoi suis-je ici ? Pourquoi... moi ?

Ellee sourit. Son regard était empli d’une tendresse infinie.

— Parce que tu es un Protecteur, Stéphane. Et le temps est venu pour toi de comprendre ce que cela signifie.

Il était de l’autre côté du voile, dans un espace hors du temps. Stéphane observait Lyndoria. Il n'aurait pu décrire ce lieu avec des mots. Une mer de lumières mouvantes, des reflets d’univers entiers qui s’entrelacaient en une danse infinie. Des silhouettes vaporeuses qui flottaient dans cet espace sans frontières, des âmes en transit, en attente de naître ou de comprendre leur destin avant de repartir.

L'être de lumière se tenait là. Paisible. Elle baignait dans une aura d’or et d’azur :

— Tu es à la source, Stéphane. Ici naissent les âmes. Ici elles reviennent. Après chaque voyage, pour se souvenir, apprendre. Avant de repartir.

Il la fixa, un millier de questions dans les yeux :

— Est-ce que... c’est la fin ?

Un sourire éclaira son visage. Puis elle rit, d'un rire cristallin :

— Rien ne finit jamais vraiment.

— Reverrai-je Corinne ?

Lydie baissa légèrement les yeux. Un sourire espiègle flottait sur ses lèvres.

— Elle t’a toujours accompagné, même dans tes silences. Elle a murmuré ton nom quand tu doutais. Elle a vu en toi ce que le monde ne voyait pas encore. Et aujourd’hui, tu confirmes sa foi.

Puis elle releva le regard vers lui, ses yeux baignés d’une lumière douce.

— C’est elle qui t’a conduit jusqu’ici.

Elle recula d’un pas pour laisser un espace entre eux se charger d’une tension palpable.

— J’ai un cadeau pour toi, murmura-t-elle dans un tendre sourire.

Elle fit un quart de tour et tendit le bras. Dans le néant lumineux de Lyndoria, une silhouette prit forme dans une poussière d’étoiles. Elle tourbillonna en volutes dorées, traversée par des éclats d’ondes lumineuses. Peu à peu, la silhouette devint tangible, réelle. Ses contours se définirent avec une précision subtile.

Stéphane sentit son souffle se couper lorsqu’il vit son visage.

Une jeune fille. Ses cheveux etaient blonds, presque blancs. Ils flottaient doucement autour d’elle, comme s’ils obéissaient aux lois d’un monde différent. Ses yeux, clairs et profonds, brillaient telles des étoiles jumelles. Son regard était empreint d’une lumière douce et familière. Elle portait une robe fleurie, simple, délicate. À ses pieds, des souliers rustiques, neufs, comme ceux d’un enfant à qui l’on vient d’offrir sa première paire.

— Je ne te la présente pas, dit simplement Lydie en souriant.

Le jeune homme sentit ses jambes fléchir. Sa gorge se noua. Des milliers d’émotions envahirent son âme. Il n’osait pas avancer. Il n’osait pas croire à ce miracle qui prenait forme devant lui.

— Non, bien sûr... répondit-il.

La fillette fit un pas vers lui. Un sourire éclot sur ses lèvres. Un sourire qu’il connaissait. Un sourire qui avait traversé le temps et l’oubli.

— J'attendais que tu arrives, Stéphane.

Sa voix était un fil de lumière, fragile et infinie à la fois. Stéphane ferma les yeux une seconde. Il sentit une larme chaude rouler sur sa joue. Puis, dans un élan incontrôlable, il s’avança et ouvrit les bras.

Et elle s’y jeta.

Stéphane resserra son étreinte autour de la petite fille. Il sentit sous ses doigts la chaleur réelle de sa peau, la douceur de ses cheveux. C’était impossible.

Elle était... morte !

Et pourtant, elle était là, contre lui, bien consciente. Elle respirait calmement, comme si elle n’avait jamais cessé d’exister. Lydie observa la scène avec une bienveillance teintée de gravité.

— Son âme a été volée par les Taals...

Stéphane sentit un frisson parcourir son corps. Il savait de quoi elle parlait. Il connaissait les horreurs qu’ils commettaient, ces âmes arrachées aux vivants pour être enfermées, broyées dans leurs sombres desseins. Mais cette fois...

— Elle n'était pas perdue, poursuivit Lydie. Elle s'approcha et en posa une main légère sur la tête de la petite fille.

— Son axe de vie n’était pas terminé. Confie-la à tes amis, murmura-t-elle.

L'être céleste avait posé une main sur son épaule. Stéphane sentit son cœur se serrer. Il baissa les yeux vers la jeune fille qui le fixait avec cette même lumière qu’il avait vu dans les yeux de Corinne autrefois.

Une vérité plus grande que lui.

— Eugénie...?

Elle leva les yeux vers lui. Une lueur d’espoir brillait dans son regard pur.

  • Oui, Stéphane ?
  • Tu vas revoir ton père. Il t’a cherchée. Il n’a jamais cessé de croire à ton retour.

— Tu crois qu’il se souviendra de moi ? souffla-t-elle.

Stéphane lui adressa un sourire avant de chasser la larme qui menaçait de rouler sur sa joue.

— Comment aurait-il pu t’oublier ?

Elle esquissa un sourire en retour. Dans ce simple échange, quelque chose se scella.

Un lien. Un avenir. Une promesse tenue.

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