Comme à la maison (2/2)

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  Sylvie les embrassa une à une en expliquant qu'elle n'avait fait « que » courir toute la journée. Elle avait eu un million de réunions, était rentrée dare-dare embrasser Joshua pour repartir aussitôt à leur rendez-vous sans même prendre la peine de se changer. Pour couronner le tout, elle était restée bloquée dans le trafic à cause d'un accrochage ! « J'espère que je ne suis pas trop horrible à voir ! ». Des yeux vert clair aux longs cils, des cheveux châtains ondulants, une peau sans une ride apparente, Sylvie était le prototype de la femme presque parfaite. Elle portait un tailleur brun impeccable qui avait dû coûter une fortune, des talons hauts et un chemisier blanc éclatant. Elle avait tout ce qui accompagnait un physique parfait : une grande carrière, un mari important, une grande maison, une grosse voiture, une tête pleine et beaucoup de goût pour s'habiller. Pas de quoi impressionner cette Jessica-là. « Non, ça va, t'es pas trop moche... On va enfin pouvoir manger ! ».

  Elles commandèrent quatre salades. La carte proposait des viandes, des poissons, des pâtes et une foule de spécialités ; cependant, Christelle décréta qu'elle entamait son régime ce soir, Jessica avait mangé au restaurant à midi avec un client et Sylvie suivait un régime alimentaire strict avec son personal trainer. Sonia s'astreignit donc à une salade, la mort dans l'âme, même si elle pleurait pour un bon steak sauce béarnaise. Sylvie accapara très vite la discussion autour d'elle : sa vie, son mari, ses envies. Il faut dire qu'elle travaillait dans la communication, elle s'y connaissait en parlote. George, son mari, un important directeur projet dans une multinationale, en prit pour son grade : « Je vous jure, parfois il m'énerve ! Pendant que moi, je me décarcasse pour travailler "et" élever notre fils, « Monsieur » passe son temps à compter ses « miles » et tous les voyages en avion gratuits qu'on peut faire avec les points de sa carte Premium. Enfin, au moins, on a pu partir à Bali l'été passé sans dépenser un centime en billet d'avion. Mais le petit, lui, son père il ne le voit pas ! ». Sonia se demanda s'il arrivait à Sylvie de respirer entre deux phrases.

« Pour le moment, Monsieur est en Inde pour un gros projet d'intégration. 

  • En Inde... fit Christelle d'un ton rêveur.
  • Oui, enfin, il peut y aller tout seul, répliqua Sylvie, c'est sale, ça pue là-bas. Crois-moi c'est pas un cadeau ! »

  Son fils Joshua était resté à la maison avec sa nounou - une perle selon Sylvie - dégotée après un nombre incalculable de mauvaises expériences, dont la dernière, une petite jeune qui faisait de l'œil à George.

« Comme si j'avais pas vu son manège à celle-là !

  • Et ton mari ? s'étonna Christelle. Qu'est-ce qu'il disait ?
  • Lui ? C'est un lourdaud. Il voyait rien. Il est tellement dans son boulot qu'il ne voit rien. Tu penses, je me donne la peine d'acheter de la lingerie fine hors de prix ; et tu crois qu'il le remarque ? D'ailleurs, à propos de lourdaud, il a dépassé la barre des cent-dix kilos ! A force de passer son temps dans les restos ! »

  Sylvie lui avait fortement conseillé de faire régime s'il ne voulait pas avoir des problèmes de santé (tout en parlant, elle porta sur Christelle un regard lourd de sens).

 « Enfin, tout ça pour dire que c'est pas parce qu'il ne voyait rien - enfin qu'il disait ne rien voir - qu'il ne fallait pas pré-voir ! J'ai viré la petite salope et je l'ai remplacée par une femme super compétente qui adore Joshua et que Joshua adore. Et en plus, elle est moche.

  • Elle est parfaite ! gloussa Jessica.
  • Exact. Le seul problème, c'est que j'ai parfois l'impression qu'il aime plus sa nounou que sa maman.
  • Ah non, alors ! Qu'elle te prenne ton mari, d'accord, mais pas ton fils ! Tu dois la virer !
  • Ah bon, tu crois ? »

  Sylvie poursuivit sa conférence toute la soirée, passant de sa carrière à son envie d'avoir un deuxième enfant - ils avaient une maison tellement grande -, encore fallait-il qu'elle et son mari se croisent de temps en temps. Bien sûr, elle pouvait se prendre un amant, les prétendants ne manquaient pas, entre le jardinier et le personal trainer, sans compter les avances à peine voilées reçues au boulot de gens très importants... mais le plus sexy restait encore son partenaire de tennis. Joshua avait bien quelques problèmes à l'école - elle avait même été convoquée pour faits de violence - mais elle se demandait si son fils n'était pas simplement surdoué, et que le problème venait de là.

  La discussion dériva également sur Amandine, la golden girl. Sonia s'était toujours sentie à des années-lumière d'elle. Amandine était grande - un mètre quatre-vingt-deux -, elle était belle - même Sylvie se trouvait fade à coté -, elle était brillante - consultante, elle vivait à Tokyo et voyageait tout le temps - et, heureusement pour Sonia, elle n'était pas là. Officiellement célibataire, les filles lui attribuaient toutes sortes d'aventures.

« Vous avez vu comment elle est mince ! lança Sylvie. Je suis jalouse.

  • Tu dis ça pour m'enfoncer ? réagit Christelle
  • Attends qu'elle ait son premier gosse et on en reparlera, modéra Jessica.
  • Tu veux mon avis, Jess ? Cette fille ne sera jamais grosse, même enceinte. Je suis jalouse, point.
  • Ça va, fit Christelle, elle est hors catégorie, pas besoin d'en parler. Je me contenterai bien d'être comme toi Silly, c'est quoi ton truc pour garder la ligne ?
  • Le sport ! Fitness deux fois par semaine, tennis et nourriture équilibrée.
  • Tu me déprimes. Et toi Sonia, tu fais quoi pour ta ligne ?
  • Moi ? Rien de particulier... 
  • Allez, à d'autres, t'es super mince ! »

  Mince ? Depuis quand elle était mince ? Est-ce qu'avec l'âge on changeait son échelle de valeur ? Bon évidemment, à côté de Christelle, elle était mince, mais comme la majorité des femmes de cette planète !

« Peut-être que j'oublie de manger de temps en temps, avança-t-elle sans conviction.

  • Gé-nial ! s'exclama Sylvie.
  • J'aimerais avoir ce genre de trou de mémoire, ronchonna Christelle.
  • Vous savez que ça porte un nom, les filles ? annonça Sylvie.
  • Sauter les repas ? grommela Jessica.
  • Teu teu teu... c'est scientifique, c'est le City diet !
  • T'as trouvé ça dans le Cosmopolitan ?
  • C'est très sérieux ! Croyez-moi, j'ai tout étudié sur le sujet. Les gens qui travaillent dans la City sont tellement pris entre leur job et les clients qu'ils ont un régime particulier : deux jours par semaine : gros resto calorique avec client ; trois jours par semaine : on saute les repas, et un jour par semaine ; soirée libre : pizza, hamburger, fish and chips, bref tout ce que vous voulez, ça dépend où vous vivez. Et avec ça, ils ne prennent jamais de poids.
  • C'est n'importe quoi, siffla Christelle.
  • Mais il y a que six jours dans ta semaine..., nota Sonia.
  • T'es sûre ? Oh, eh bien, je ne sais plus, mais de toute façon ces gens vivent dans un autre monde. D'ailleurs, je suis certaine que Didine suit le même régime.
  • A mon avis, elle c'est plutôt Tokyo diet à base de sushis, glissa Jessica.  
  • Vous avez vu qu'elle vient de faire un saut en parachute ? 
  • Elle est folle ! s'exclama Christelle. Jamais je ferais un truc pareil ! Mon repas y passerait à coup sûr !
  • Eh bien voilà ! lança Jessica en tapant sur la table. Tu l'as ton régime: le Parachute diet ! »

  Avant de commander le dessert, Sylvie sortit un petit paquet cadeau de son sac. « Tiens Christelle, joyeux anniversaire ! ». Sonia sentit un grand malaise l'envahir. Elle avait totalement oublié d'acheter un cadeau. « Déjà que j'ai pas pu venir à ta fête, je voulais au moins te faire un petit cadeau ». Christelle ouvrit un petit écrin en feutre noir et en sortit un beau collier argentin sertis d'un pendentif en forme de tête de cheval.

« Oh mais t'es folle !

  • Si je me rappelle bien, tu aimes les chevaux, non ? »

  La soirée se termina vers minuit et demi. Elles s'embrassèrent en se promettant de ne plus attendre aussi longtemps pour se revoir. Sonia avait perdu l'habitude de ces soirées arrosées, turbulentes et décousues, elle était éreintée.

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