Chap 3-2 La chambre des avatars

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  Elle tendit le bras vers la boule et, par un effet de zoom accéléré, fut aspirée à l'intérieur. Elle tombait à travers une pluie d'étoiles dans un puits sans fin tel un cosmonaute avalé par l'hyperespace. Perdue dans un défilement de galaxies multicolores, elle approcha d'un champ stellaire dense qui peu à peu se scinda en éclats scintillants avant que sa trajectoire ne se fixe sur une boule de feu brillante comme le soleil. Un objet céleste surgit alors devant elle, qui grandit jusqu'à prendre la forme sphérique d'une planète. A son approche, la vitesse diminua ; il s'agissait d'une magnifique planète bleue à l'atmosphère traversée de nuages au-delà desquels se devinaient de vastes océans et des continents aux formes inconnues. Elle pénétra la stratosphère et fila à travers l'épaisse masse nuageuse comme un objet en chute libre. Des milliers de points miroitaient à la surface du globe , des lignes s'esquissaient, formant les contours d'agglomérations géométriques. Le quadrillage d'une ville se dessina, des gratte-ciels apparurent, un parc immense, des autoroutes , elle aperçut des avions, des bateaux au large d'une côte, une montgolfière au-dessus d'un stade à ciel ouvert. Sa course la menait inexorablement vers un immeuble massif dont la forme, vue de haut, évoquait le sigle d'Autremonde, une sorte de visage mystique qui n'était pas sans rappeler le mystérieux visage de Mars. A proximité du toit de l'immeuble, sa vitesse décrut brusquement comme si elle venait d'ouvrir un parachute invisible. La bouche du visage s'ouvrit et elle fut attirée dans l'obscurité.

  Une voix de stentor résonna : « Bienvenue, esprit du monde réel. Bienvenue dans Autremonde ». L'introduction raviva chez Sonia des souvenirs de maison hantée à la kermesse du village de ses grands-parents. « Il est temps pour toi de choisir la forme que tu revêtiras dans Autremonde » poursuivit The Voice. Une porte rouge frappée de l'inscription « Chambre des avatars » surgit devant elle. Les battants s'ouvrirent et elle fut aspirée dans une profonde galerie.

  Un long tapis rouge se déroulait sans fin au centre d'un immense couloir bordé de chaque côté par une armée de mannequins mis en scène à la façon d'un musée de cire. Un menu à la gauche de l'écran affichait une carte des lieux marquée d'un point lumineux indiquant sa position. Les mannequins la fixaient du regard comme pour attirer son attention. Elle n'avait ni mains ni bras apparents et seule une lueur spectrale traduisait la présence de ses membres physiques devant son casque. Elle supposa qu'à ce niveau du jeu, elle n'était encore qu'un esprit sans corps. Elle pouvait néanmoins se déplacer en positionnant la tâche lumineuse sur des flèches directionnelles prévues à cet effet. En glissant son curseur sur les différentes zones de la carte, les mots machines, humains, fantastiques, végétaux, animaux se succédaient. On pouvait, semblait-il, prendre n'importe quelle forme dans ce jeu. Je me demande s'il y a des limaces...

  Elle avança dans la galerie des humains - à droite, les hommes, à gauche, les femmes - et se surprit à observer d'abord les mannequins masculins. Les premiers étaient de facture assez classique : des hommes entre vingt et trente ans, vêtus de costume de ville, tenue de plage, jeans et t-shirt... tous bien bâtis. Son intérêt se porta sur un bellâtre métissé torse nu au corps taillé dans un bloc d'ébène par un artiste de la Renaissance. Une petite fiche signalétique apparut au bas de l'écran. Il s'appelait Alex. Il était... Plombier ? Cette fois, c'est décidé, je casse mon radiateur !

  Alex portait un jeans usé aux trames multiples et complexes qui laissait deviner des cuisses d'athlète. Sa chevelure n'avait rien à voir avec la texture crépue des africains, elle formait d'élégantes torsades de jais tombant sur les épaules ; ses yeux avaient la couleur de l'émeraude. Alex était bien un être d'un autre monde. Elle tendit la main pour toucher son corps. Un bouton « choisir » se matérialisa. Elle se rétracta. De toute façon, la seule chose qu'elle aurait pu toucher était le mur de son salon. Les femmes quant à elles n'étaient pas sans rappeler les mannequins retouchés des magazines de mode : top-modèles aux jambes extra-longues, pin-up's style après-guerre, sportives, businesswomen, blondes, brunes, douces, provocantes, on pouvait y passer des heures.

  Au fil de la balade, des conseils lui étaient prodigués sous forme de messages inscrits dans des phylactères : « Chaque avatar peut être modelé jusqu'à en en changer complément l'apparence » ; « Un même utilisateur aura le droit de cumuler plusieurs avatars sous certaines conditions » ; « N'hésitez pas à vous déplacer directement vers la catégorie de votre choix en pointant un lieu sur la carte ». La barre de recherche offrait des options de filtre par mots-clés. Elle réfléchit. Qu'est-ce qui la définissait, elle ? « Femme » ? Et après ? Elle n'allait pas mettre « gentille », « célibataire », « qui aime les séries télé » ; ce n'était pas un site de rencontre... Elle repensa à sa vie et son humeur s'assombrit. Elle tapa « limace ». Aucune occurrence. Ce jeu n'avait aucune sens des réalités ! « Femme guerrière » : 5624 occurrences. Evidemment... Toutes les jeunes filles rêvent d'être une guerrière de nos jours. Les résultats s'affichaient par ordre de popularité sous forme de miniatures qu'on faisait défiler à sa guise. Chaque photo s'accompagnait d'un nom et d'un descriptif succinct. Elle parcourut les pages et reconnut sans peine des personnages de films, séries, cartoons ou mangas.

  Une photo capta son attention. Le nom Elena ne lui disait rien ; en revanche, sa posture, sa chevelure et son costume marron lui étaient familiers. Sonia la sélectionna et se retrouva face à la femme. Elena était une pure guerrière aux longs cheveux noirs lisses et au regard dur marqué à l'eyeliner à la manière d'une princesse égyptienne. Elle portait un corset de cuir terminé par une jupe à lanières cloutées épousant les hanches et sa poitrine était couverte d'une pectoral en cuivre décoré de formes celtiques évoquant deux serpents entrelacés. Des épaulettes fixées au buste par des sangles à boucle, des brassards en métal entourant ses bras musclés et des canons d'avant-bras finement ciselés lui protégeaient les membres supérieurs. Enfin, d'immenses bottes genouillères en cuir renforcées de plaques de métal sculptaient ses jambes tandis que ses cuisses puissantes et magnifiques ne semblaient craindre en rien le contact de la lame. Elle dégageait une force, une volonté d'acier et arborait un petit sourire narquois qui la rendait encore plus dangereuse. Les souvenirs remontaient à la surface. Une héroïne capable de défier des Dieux, une femme, une guerrière, une reine... « Xena ! s'exclama-t-elle. C'est ça ! C'est Xena, la princesse guerrière ! ».

  Son père lui avait fait découvrir cette vieille série sur la chaine nostalgie quand elle était petite. A l'époque, elle trouvait fascinante cette femme violente, dangereuse, crainte par tous, mais en même temps belle, généreuse et douce quand il le fallait. Elena était sa sœur jumelle, l'héroïne parfaite, prête à affronter tous les dangers. Bref, son parfait contraire... Cette femme avait des cuisses musclées, un regard perçant et une épée effilée... Non... Elle était tout sauf une Xena. Il lui fallait un avatar dans lequel elle pourrait se retrouver un tant soit peu...

  Elle butina encore sans conviction dans les couloirs du musée en s'attardant sur quelques-unes des options moins conventionnelles comme les arbres mutants ou les monstres pourvus de tentacules. Une année n'aurait suffi à passer en revue l'éventail des personnages à disposition et avec ça, elle n'aurait toujours pas un mis un pied dans le jeu. Elle n'avait pas vraiment d'idée sur le genre d'avatar qu'elle voulait être et face à un trop grand choix, elle se retrouvait confrontée à son syndrome de menu de restaurant, incapable de se décider sur un plat et finissant toujours par imiter les autres.

  Une alerte lui indiqua que sa batterie était à plat. Elle se déconnecta. Se différencier des autres ne devaient pas être compliqué dans ce jeu-là. Mais choisir qui on voulait être était une autre paire de manche. Trouverait-elle seulement le personnage qui lui ressemblerait ? Autremonde était pour ceux qui voulaient être différents, plus grands, plus beaux, plus forts. Les avatars correspondaient avant tout à ce type de profil. Elle voulait se changer les idées, pas se mentir à elle-même.

Et la limace n'était pas dans la liste...

***

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