Chap 4-3 Highlander (2/2)

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« Alors ? » fit Sven.

  Les deux avatars marchaient à présent sur le sentier d'un parc arboré. Highlander avait transmis une requête de téléportation jointe qu'elle avait acceptée. L'instant d'après, elle posait les pieds sur un chemin de terre près d'une fontaine d'où jaillirait, au bout d'une dizaine de secondes de temps de chargement, une eau cristalline. C'était Sven qui avait eu l'idée du rendez-vous lors d'un tchat le matin au bureau. Pour une fois qu'un garçon l'invitait, même virtuellement, elle n'allait pas refuser. Après, s'il invitait Xena au cinéma plutôt qu'elle, elle pourrait toujours se poser des questions. Il l'avait complimentée pour le choix de son avatar, ce qui lui fit plaisir, vu le temps qu'elle avait mis à peaufiner son modèle.

« Alors quoi ? répondit-elle.

— Quelles sont tes premières impressions ?

— C'est lent.

— Oui, j'avais remarqué que tu ramais.

— Tu peux le voir ?

— Tu es resté figée longtemps avant de reprendre vie. C'est un syndrome typique lors des problèmes de connexion. En général, c'est dû à la qualité du réseau internet ou à un matériel insuffisant.

— Je dis sans hésiter mon ordinateur. C'est mon laptop du bureau.

— Effectivement, tu ne feras pas de sport avec cette bécane. Et il n'est pas impossible que certains endroits plus exigeants fassent cracher ta machine. Tu n'as rien d'autre de plus performant sous la main ? »

  En dehors d'un écran télé haut de gamme, elle n'avait jamais ressenti le besoin d'acquérir de matériel onéreux. Surfer sur le net ou regarder des films ne nécessitait pas de processeur surpuissant, mais les jeux vidéo avaient des besoins énergétiques sans commune mesure. Sven lui promit de se pencher sur la question. Son nouveau laptop devait bientôt arriver, il le configurerait pour optimiser ses performances pour Autremonde. La conversation s'orienta sur les premières sensations de Sonia dans le monde en 3D. Pour elle, le plus étrange restait encore de discuter avec Sven par le truchement de leurs avatars. « C'est une question d'habitude, je crois. Même si, en général, la plupart des joueurs ne se connaissent pas dans la vraie vie. L'avatar est donc la seule image que l'on a de l'autre. »

  La balade les mena vers une sorte de jardin botanique. Ils longèrent de magnifiques parterres de roses, si belles que Sonia eut envie de s'arrêter pour les toucher. Elle se retint, voulant éviter le ridicule. D'après Sven, Autremonde était si vaste qu'une vie ne suffirait à en faire le tour. De ce fait, la plupart des gens formaient de petits groupes et tournaient dans un ou deux mondes sans jamais aller voir ailleurs. Lui-même avait beaucoup baroudé à ses débuts avant de se fixer avec ses amis. Certains environnements qu'il avait connus dans ses premières années n'existaient même plus, un peu comme dans un univers qui s'accroissait sans fin, mais dans lequel des trous noirs sporadiques effaçaient les mondes en déclin.

  Ils arrivèrent bientôt au bord d'un terrain de football. Un match avait lieu. Highlander s'arrêta pour regarder la partie. J'aurais dû m'arrêter aux fleurs...

« Et sinon, qu'est-ce que tu me conseilles de faire ici ?

  • Il y a plein d'évènements sympas qui sont organisés un peu partout. C'est un bon moyen de découvrir Autremonde et rencontrer des gens. Je sais qu'au début, c'est toujours un peu difficile de se faire des amis. La plupart des résidents ne perdent pas leur temps avec les avatars de passage, à moins de montrer un réel désir de s'intégrer. Je vais regarder ce qu'il y a en ce moment et réfléchir à des endroits sympas à visiter. De toute façon, consulte les bornes d'informations, il y en a un peu partout. C'est une mine d'infos. Avec mon groupe, on est fort occupé là car on prépare une grosse mission, mais je vais voir si y a pas moyen de se caler une petite sortie. »

  Au moment de se quitter, le soleil d'Autremonde était déjà bas et léchait le sommet des gratte-ciels de la ville.

« Merci Sven pour la balade, ce parc est vraiment très beau.

  • Appelle-moi Highlander... Ici Sven n'existe pas vraiment. Et ne me remercie pas, c'est naturel. C'est un plaisir de partager mon univers. Si le parc te plait, ne te prive pas, nous n'avons rien vu, il est immense et recèle des endroits vraiment fabuleux.
  • Il a un nom ?
  • Le parc de l'Ellipse. C'est à ma connaissance le plus grand de la Terre-Mère et sans doute de tout Autremonde. Sans balise, tu t'y perdrais ! »

Sonia se rappela avoir aperçu une vaste étendue verte au cœur de la ville lors de sa chute initiale à travers le ciel. C'était probablement ce parc.

  Avant d'éteindre, elle consulta son agenda du lendemain. Comme prévu, Egret prenait l'essentiel des créneaux. Tiens, Alain a mis une réunion staff vendredi après-midi... Un choix très inhabituel pour une réunion. Qu'est-ce qu'il allait encore leur annoncer ?

***

  « Je pense qu'on aura droit à une réunion de crise sur Egret. » Eric avait parlé avec nonchalance, son derrière négligemment appuyé sur le rebord du bureau. Evidemment, ce jeudi matin, tout le monde spéculait sur la réunion staff exceptionnelle. Evidemment, Eric savait. « Ah oui ? » dit-elle. Il se grattait le bas de la joue. Eric avait cette fâcheuse habitude de se gratter l'une ou l'autre partie de son corps quand il parlait. La joue n'était d'ailleurs pas la partie la plus gênante qu'il se dorlotait.

« Oh oui, tu sais, américains-pas-contents ! Ils pensent que nous pas coopérer assez.

— Qui nous ?

— Nous. Tout le monde...

— Qui te l'a dit ?

— Oh j'ai parlé à pas mal de gens... Et puis, je suis déjà passé par là. Et à la fin, c'est toujours la même chose... »

  Sonia avait horreur de ces petits commentaires blasés d'Eric, Eric qui sait tout, Eric qui a tout vu, Eric qui verra tout. Mais bon, à moins qu'il n'espionne les conversations téléphoniques dans les toilettes, Eric devait bien connaitre des gens. N'avait-il pas dit qu'il jouait au golf ? Un terrain de golf était en général un endroit où on pouvait croiser tout un tas de gens qui veulent se donner de l'importance, non ? Typiquement l'endroit où l'on croise des Eric et accessoirement où l'on apprend des choses. Ou alors c'était dans les toilettes...

« Il me semble qu'on coopère bien, non ? »

  C'était la phrase de trop. Pourtant elle savait qu'il ne fallait jamais laisser la moindre chance à Eric. Son collègue n'en demandait pas tant et enclencha sa sempiternelle ritournelle sur les américains. Mais bien sûr qu'on coopérait bien, c'était juste eux qui étaient trop limités pour comprendre, eux qui pensaient qu'on inventait des exceptions qui rentraient pas dans leurs cases à cocher, parce qu'on était des européens et qu'on voulait se rendre intéressant. Ils ne pigeaient pas, parce que ils ne voulaient pas piger. Sonia ne savait plus comment arrêter la machine Eric. D'ailleurs, poursuivait-il, ce n'était pas pour rien que ces gars-là ne parlaient que l'anglais ! Pas pour rien qu'ils ne savaient pas faire la différence entre un pâté et un foie gras, entre un risotto milanais et un riz cantonais. Pour eux, tout ce qui touchait à la gastronomie commençait forcément par un « Mac ». Sonia tenta timidement d'enrailler le disque.

« Oui, je crois que j'ai compris...

  • Probablement, trancha-t-il en soulevant l'index, que la majorité d'entre eux pensent que le soleil tourne autour de la Terre. Et la Terre, autour des Etats-Unis !
  • Oui vraiment, Eric, je crois que j'ai compris.
  • Ouais, enfin tu vois. Bref, je sais qu'on a déjà une levée de boucliers des syndicats et que le projet prend du retard. Il manque plus qu'une chose... ».

Sonia flaira le piège, il ne fallait pas répondre, elle ne voulait pas répondre, mais sa langue fourcha. Elle dit : « Quoi ? ». Elle se gifla intérieurement. Pourquoi est-ce qu'Eric la manipulait si facilement ?

« Un bouc-émissaire »

Il se tourna vers la fenêtre. Un avion passait en silence au-dessus des immeubles voisins. Sonia ne sut dire ce qui la perturba le plus. La réponse d'Eric... ou le fait qu'elle soit courte.

  Le soir, par acquis de conscience, elle écrivit à son frère : quelque chose de court, non intrusif. Il répondit avec la même sobriété concise. Il allait bien. Il attendait que les choses ne se tassent avec ses parents. Elle avait rempli son rôle de sœur. Il avait rempli son rôle de frère. Ils pouvaient à nouveau vaquer à leurs occupations. Comme par effet de domino cosmique, sa mère lui donna un coup de fil juste après. Elle était inquiète. A cause du stress, les douleurs au dos de son père s'étaient réveillées. Sa mère insista pour lui faire dire ce qu'elle pensait de l'attitude de son frère, mais Sonia évita le piège. Elle était surprise, encore sous le choc, elle ne savait pas quoi penser et seul l'avenir leur dirait s'il avait fait le bon choix. Technique paternelle. Sa mère lui demanda si elle envisageait de passer à la maison ce weekend, façon diplomatique de lui dire qu'elle ne devait pas se sentir obligée de venir. Sonia confirma donc qu'elle était occupée, mais qu'elle viendrait peut-être la semaine suivante. Tout le monde était satisfait, le morse familial avait fonctionné.

***

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