Chap 8-2 Le Clairvoyance

10 minutes de lecture

   « Donne-moi la main, ça ira plus vite, j’ai les coordonnées. On évite d’utiliser la téléportation comme moyen de transport quand on est ensemble, mais c’est tout de même pratique pour arriver à l’heure aux rendez-vous ! » Xena accepta la proposition qui s’affichait à l’écran et le décor se dématérialisa tout autour d’elle. Les deux femmes réapparurent face à la proue métallique d’un bateau. De part et d’autre s’alignaient tête-bêche des embarcations de toutes tailles le long d’un immense quai. A intervalles, de larges appontements s’enfonçaient dans la mer où d’autres embarcations étaient amarrées comme les feuilles à la tige d’une plante. Derrière elle, Sonia reconnut les grandes cheminées du complexe industriel et les boules géantes qui abritaient le jardin botanique entrevu lors de sa balade en voiture. Plus loin se découpait la silhouette imposante du Titanic, en partie cachée derrière un bâtiment à l’allure futuriste.

« Nous sommes dans le port de Cameron Dock, confirma Mona. Et voici le « Clairvoyance », le bateau très exclusif de notre ami Henry ! ». Xena souleva la tête. « Il est très grand.

— A qui le dis-tu ! J’envoie la demande d’accès. »

  Mona annonça au bout de quelques secondes : « Ils vont ouvrir la porte ». Sonia n’était pas certaine de comprendre ce que signifiait « Ouvrir la porte » pour un bateau, mais elle n’était pas rompue au vocabulaire marin. Pourtant, elle comprit que son ignorance n’était pas en cause lorsque, juste devant elle, une porte se découpa à même la coque et s’abaissa comme un pont-levis. Un escalier imbriqué sur la face interne s’allongea tout seul pour venir se poser délicatement contre le béton du quai. « J’adore l’entrée, commenta Mona. J’ai toujours l’impression que je vais prendre l’avion ! » Alors qu’elle montait les marches, Sonia se dit que c’était probablement l’effet recherché. Et c’était plutôt réussi.

  Elles furent accueillies par un domestique du nom d’Alfred, un homme sobre et digne, la cinquantaine grisonnante, vêtu d’un smoking cintré et d’une chemise blanche ; il avait le port droit et s’exprimait avec cette élégance désuète de l’ère victorienne.

« Mesdames, dit-il, je vous souhaite la bienvenue sur le Clairvoyance.

— Bonjour, Alfred, répondit Mona d’un ton enjoué. Comment allez-vous aujourd’hui ?

— Très bien Madame, je vous remercie. Monsieur Black vous attend sur le pont arrière.

— Merci mon brave, pas besoin de nous accompagner, je connais le chemin.

— A votre convenance, Madame. »

  Alfred était à n’en pas douter une intelligence artificielle, à moins que leur hôte ait vraiment beaucoup d’argent et un certain goût pour le cliché. Mona la guida dans un couloir décoré de boiseries fines aux murs et plafond, et habillé au sol d’un long tapis aux tonalités rouges et vertes figurant toute sortes de scènes médiévales. Elles passèrent plusieurs portes ouvragées, puis montèrent un escalier parqueté d’essences de bois différentes ; enfin, elles débouchèrent sur le pont arrière, où Henry, accompagné de quelques autres personnes, les accueillit à bras ouverts.

« Bienvenues à bord, chères amies ! Nous sommes maintenant au complet !

— Bonjour tout le monde ! s’exclama Mona, toute joviale.

— Ne perdons pas de temps, enchaina Henry. Alfred, préparez les moteurs, nous allons décoller d’ici ! »

  Sonia ne put s’empêcher de sourciller. Décoller ? Était-ce à prendre littéralement ou juste une façon de parler ? Parmi les personnes présentes, Xena retrouva Joe, Sandra, Laura, et un homme qu’elle ne connaissait pas encore du nom d’Antonio. Tout comme Sandra, il avait le type latino. Le teint basané, il portait des cheveux courts noirs légèrement frisés et des lunettes de soleil d’aviateur réfléchissantes. Sa chemise hawaïenne, déboutonnées de deux crans dévoilait une toison dense. En revanche, contrairement à Sandra, il parlait un anglais sans accès. Henry félicita Xena pour son maillot qui lui faisait honneur, au grand plaisir de Mona. « Elle est magnifique, n’est-ce pas ? ». On sentait une touche de fierté personnelle. Sonia se dit que le choix de Mona pour l’accompagner à la boutique n’était pas un hasard et qu’elle devait se considérer comme une référence en matière vestimentaire.

  Elle constata presqu’à regret que le bateau avait entamé une manœuvre de sortie somme toute académique et s’éloignait du quai à vitesse réduite à travers le chenal menant à l’océan. Non, le bateau avait certains côtés futuristes, mais aucune aile n’allait sortir de ses flancs pour le transformer en vaisseau volant. A y repenser, la sortie en mer en aurait perdu de son charme... « Où allons-nous commandant ? » s’enquit Mona. Henry dessina un large sourire avant de répondre. « Nous partons à la chasse au trésor ». Des cris de joie s’élevèrent parmi les amis.

« Viens avec moi Xena, ajouta-t-il. Je vais te faire visiter le poste de pilotage ». Alors qu’Henry montait l’escalier vers le pont supérieur, sa chemise et son bermuda disparurent pour être remplacés par un élégant costume blanc ainsi qu’un couvre-chef blanc à visière cerclé d’une bande noire.

« Je vous suis, mon capitaine ! » dit-elle en riant.

  Le « Clairvoyance » était un yacht de quarante-deux mètres sur trois ponts. La seule baie de Cameron Dock possédait des navires nettement plus imposants dans son écrin portuaire - mais de l’avis de Henry, celui-ci était « le plus cool ». Sonia s’abstint de demander ce que « cool » signifiait pour un bateau. Il vantait cinq chambres à coucher avec salle de bain, un salon-bibliothèque avec billard, une grande salle à manger et « pleins d’autres choses auxquelles on ne s’attend pas sur un bateau ». Henry en était le propriétaire depuis deux ans et sortait régulièrement faire des virées en mer avec ses amis.

  Le poste de pilotage était une grande pièce munie d’une immense fenêtre courbe offrant une vue à cent quatre-vingt degrés sur l’océan ; la barre, une grande roue en bois finement ciselées était plantée en son centre. En entrant, Henry annonça de façon un peu cérémonieuse : « Alfred, merci, je prends les commandes ». Un écran virtuel se matérialisa au-dessus de leur tête figurant une carte maritime stylisée, étampée d’une magnifique rose des vents dans le coin supérieur droit. Le navire y apparaissait comme un gros point blanc. Un trait en pointillé reliait le bateau à une petite île en périphérie d’un archipel. « Regarde » dit-il. L’image zooma considérablement pour faire apparaitre le navire en grand. « D’ici on peut visualiser à peu près toute la planète-mère en temps réel. C’est un centre de contrôle omniscient ». Sonia se rappelait que Sven avait déjà mentionné le terme « planète-mère » lors de leur première rencontre. Elle ne put s’empêcher de penser que peut-être un jour les hommes de la VR appelleraient la Terre ainsi.

« Nous nous dirigeons vers Palo Alto, la plus petite île des Ephérides. Notre vitesse est de 15 nœuds. La mer est calme. Je vais sortir les foils.

— Les foils ?

— Ce sont des ailerons intégrés dans la coque. Quand je les sors, le bateau glisse littéralement sur l’eau.

— Ça c’est cool, dit-elle avec une pointe d’humour.

Yep, c’est super cool, tu vas voir. »

  Un nouvel écran apparut à côté du premier. Il affichait une coupe transversale du yacht. Des petits rectangles clignotèrent sur les flancs avant et arrière du navire. « Foils sortis, annonça-t-il. On va passer à la vitesse supérieure ». Sa main droite enfonça le levier sur lequel elle était posée et un léger affaissement de la ligne d’horizon se produisit, indiquant que le bateau s’était surélevé. « Viens, on va rejoindre les autres ». En l’absence de point de repère à proximité, Sonia ne percevait pas franchement la différence de vitesse, en dehors du basculement initial. Mais, sur instruction de Henry, elle passa la tête par-dessus bord et constata que le bateau était sorti de l’eau, il reposait sur la mer en appui sur des ailerons qui laissaient des longues trainées d’écumes dans leur sillage, donnant pour le coup une incroyable sensation de vitesse.

  Le voyage devait durer environ une heure, le temps de faire quelques parties de poker. Henry et Xena prirent place autour de la table ronde. « On tape la carte ? » lança Henry. Tous réagirent positivement sauf Laura qui souhaitait faire une sieste. Un jeu de cartes se matérialisa sur la table, puis, comme par magie, il se souleva, se mélangea seul dans l’air et les cartes furent distribuées aux joueurs.

« Tu nous en dis plus sur le programme capitaine ? lança Mona pendant que chacun réfléchissait.

— Comme je l’ai dit, je vous ai dégoté une chasse au trésor de derrière les fagots.

— C’est vrai ça…, marmonna Joe. D’où tu la sors ? Je n’ai rien vu d’ouvert.

— Je sais. Je voulais vous faire la surprise.

— Attends ! s’exclama Laura qui venait de se réveiller. Ne me dit pas que tu as atteint…

— Trente mille points ! triompha Henry.

— Wouah ! Comment t’as fait ? bondit Joe. La dernière fois, t’étais à… quoi… Vingt-sept milles ?

— J’ai bossé dur ! »

  Sonia n’avait pas la moindre idée de ce dont ils discutaient et fut encore plus prise au dépourvu lorsque Henry lui posa la question. « D’ailleurs, Xena, tu as combien de points de bonheur maintenant ? » Interloquée, elle regarda ses compagnons avant d’admettre : « Des points de bonheur ?

— Ah ! Toi, tu n’as pas lu le mode d’emploi de ton avatar !

— Xena, s’intercala Mona, tu peux voir tes points de bonheur dans ton profil d’avatar. Ils correspondent en gros aux points d’expérience, mais dans le mode civil d’Autremonde, alors que les points d’expérience proprement dit s’appliquent au mode guerrier »

  Sonia navigua dans son profil afin de trouver l’information. « En mode guerrier, poursuivit Henry, plus tu accumules de l’expérience, plus tu es puissant au combat. En mode civil, plus tu accumules des points de bonheur, plus tu prends de l’importance... disons citoyenne et politique. En gros, les portes s’ouvrent.

— J’ai 2,642 points de bonheur.

— Eh ! s’exclama Laura, c’est pas mal pour une nouvelle ! Moi, il m’a fallu des mois pour accumuler autant de points.

— Je ne suis pas étonné, fit Henry. Les points se gagnent plus rapidement au début car tout est nouveau et le plaisir de l’avatar est plus vif ; et ce d’autant plus si cet avatar a eu accès à des endroits ou des activités exclusives.

— Comme la discothèque…, précisa Laura.

— Exactement, fit Henry. Tu vois Xena, en théorie, pour entrer dans le 10,000th Soul, tu as besoin de dix-mille points de bonheur. Autant te dire que c’est un endroit très select. Mais c’est comme partout, si on t’invite, tu peux rentrer. Pour chaque avatar, passer une soirée au 10,000th Soul et participer aux jeux et danses, ça rapporte des points de bonheur qui varieront en fonction de ton niveau et aussi de la fréquence de visite dans l’endroit. Moins tu y vas, plus tu as du plaisir à y aller. Et inversement.

— Cela veut dire que la discothèque m’a rapporté des milliers points ?

— Non, pas des milliers. Peut-être bien entre quatre et cinq cents points dans ton cas. Mais chaque chose que tu as faite, comme t’acheter ce superbe bikini, te balader sur la plage, être sur ce bateau, et sans oublier le plus important : ta visite dans la galerie d’art.

— Le tableau ?

— C’est grâce à notre aventure à trois dans l’œuvre d’art que j’ai passé le cap des trente milles points. J’ai gagné neuf cents points d’un coup.

— Neuf cents ? siffla quelqu’un.

— A mon niveau, c’est très rare. Ce fut une surprise totale, mais cette aventure fut tellement drôle ! Donc, c’est un peu grâce à toi en fait que j’ai atteint ce niveau si vite. Le moins que je pouvais faire était de t’inviter avec mes meilleurs amis à faire la fête !

— C’est quoi cette histoire de tableau ? » demanda Laura.

  Cinq mille points était le premier palier important pour un résident. De nombreuses activités se débloquaient à partir de là. Dans le groupe, les niveaux oscillaient entre douze milles et vingt-deux milles points. Henry était le premier à passer le cap des trente milles points ce qui débloquait une panoplie de nouvelles activités dont cette chasse au trésor avec à la clé des milliers de points de bonheurs potentiels pour tous. Sonia comprenait mieux l’enthousiasme du groupe à l’annonce. Contrairement aux points d’expérience de combat, les points de bonheurs n’étaient pas permanents, ils se désagrégeaient avec le temps s’ils n’étaient pas entretenus et se perdaient d’autant plus vite que le niveau atteint était élevé. D’où la nécessité pour quelqu’un comme Henry de trouver toujours de nouvelles choses à faire.

« Bon et cette chasse au trésor, alors ? demanda Joe.

— Ah ! Petit impatient ! Alors sache pour commencer que je ne vous offre pas seulement une chasse au trésor, mais une chasse au trésor de niveau 12.

— Niveau 12… ? répéta Antonio, apparemment perplexe.

— A ce niveau, on n’a quasiment aucune information, continua Henry. Si on se réfère au tutoriel, les quêtes de niveau 12 – et pour ton info, Xena, il n’existe pas encore de quête de niveau 13 dans Autremonde –, bref les quêtes de niveau 12 sont les quêtes les plus complexes, elles peuvent se faire sur plusieurs jours, voire des semaines, mais dans tous les cas, elles ont une durée limitée. Avant de commencer, on doit se rendre au point de contact sur Palo Alto. Tout ce que j’ai, c’est une lettre de félicitation et une carte d’invitation avec des coordonnées qui indiquent le centre de l’île.

— Vous avez déjà fait une quête de niveau 12 ? demanda Sonia

— Jamais, c’est la première fois.

— Tu t’imagines Xena que ta première chasse au trésor va être la plus difficile et la plus rare d’Autremonde ? souligna Laura d’un ton qui trahissait une pointe d’envie.

— Je ne risque pas de vous gêner ?

— Pas du tout ! coupa Henry. Les chasses aux trésors ne sont pas des défis de type Donjons et Dragons. En général il n’y a personne à combatte ou tout du moins pas au sens où on l’entend dans les jeux d’action. Ici, on est dans du pseudo réel. Il faut avant tout réfléchir…

— Et parfois courir vite ! compléta Joe.

— Oui… et parfois courir vite, reconnut Henry avec un sourire. Mais le but premier est de prendre du plaisir et accumuler des points de bonheur ».

Il fit une pause et tourna son visage vers l’ile qui se découvrait au loin. « Néanmoins, reprit-il d’un ton neutre, si vous n’y voyez pas d’inconvénient, avant de nous plonger dans l’aventure, les amis, je voudrais d’abord faire visiter l’île à Xena.

— Oh ! Quelle bonne idée ! fit Laura. J’adore les dinosaures. »

***

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Lofark ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0