9-4 Le puits des fées

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  En suivant une pente douce, le groupe pénétra bientôt dans une salle peuplée de stalactites et de stalagmites se faisant face en chiens de faïence comme deux armées de lanciers prêts à en découdre. Observant une concrétion au sol, Sonia s’étonna de la qualité visuelle du minéral, il reproduisait une belle complexité de couleurs emmêlées et sa surface était lisse et luisante. Pour un lieu que peu devaient visiter, un soin remarquable avait été donné au détail. Ou alors existait-il un algorithme spécifique qui faisait évoluer la structure des cavernes tout seule ? De cette salle partaient plusieurs chemins. Tandis que Clay invitait les aventuriers à prendre le passage le plus à droite, Henry murmura à Joe : « Tu n’en rates pas une miette. Il faut qu’on puisse revenir tous seuls au cas où.

— Ne t’inquiète pas, je note tout. »

Ils traversèrent bientôt une galerie couverte de fleurs de cristaux du sol au plafond. Les minéraux fantasques brillaient d’une lumière douce que la forme de leurs pétales modulait en fonction du point de vue. « C’est joli comme tout ici ! s’écria Sandra. J’en prendrai bien une pour mon appart !

— On demande aux visiteurs de ne pas les arracher. Car elles mettent du temps à se reconstituer. D’autant qu’elles ne sont vraiment belles que dans l’obscurité. Les gens sont toujours déçus du résultat sur la table du salon. »

Par la suite, le chemin se ramifiait davantage : ils passèrent plusieurs embranchements et traversèrent diverses salles aux couleurs et tailles fort différentes.

Soudain, Mona poussa un cri. Une sorte d’insecte géant avait galopé en travers de leur chemin et disparu dans l’obscurité d’un couloir. « Qu’est-ce que c’était que cette horreur ? s’indigna-t-elle.

— Nous sommes près de la base des termites géantes. Elles ne s’attaquent jamais aux humains, précisa Clay avec calme. Sauf, bien sûr, si vous menacez leur habitat.

— Elles peuvent nous blesser ?

— Non, pas vraiment, mais elles peuvent être collantes et vous pourrir la visite. »

  Sonia fixa un instant l’obscurité par où la bestiole s’était échappée. Dire qu’une armée d’insectes de la taille d’un loup pouvait surgir des ténèbres et leur fondre dessus ! Elle en eut des frissons. Même si les avatars étaient immortels, elle était certaine d’en faire des cauchemars. Elle s’aperçut soudain que les autres avaient pris quelques mètres d’avance et courut pour les rattraper.

« Nous arrivons au gouffre du diable » annonça le ranger. Ils venaient de pénétrer dans un espace très vaste. Face à eux, une passerelle qui longeait le mur, et dessous, rien, les ténèbres. « V’là autre chose » dit Antonio.

« Ce gouffre, expliqua leur guide, plonge directement dans les entrailles de l’île. Il est le siège de phénomènes naturels très particuliers. Par moment, la mer s’y engouffre par quelque passage mystérieux, créant des tourbillons mortels. Dans le fond, l’eau chauffe très rapidement au contact de la roche, du fait de la proximité de la chambre magmatique, créant un geyser géant qui remonte jusqu’ici.

— On peut descendre visiter le fond ? demanda Henry.

— Non, c’est le meilleur moyen de perdre son avatar.

— Mais quel intérêt de créer des environnements pareils sur Autremonde ? réagit Mona, visiblement encore troublée par sa rencontre précédente.

— Sur Autremonde, on ne crée jamais rien par hasard. Simplement, on n’explique pas toujours la raison. C’est comme dans la vraie vie… »

Ils suivirent le guide sur la passerelle. Les cheveux de Xena se soulevèrent lorsqu’elle avança au-dessus du vide sidéral ouvert à ses pieds. On ne nous explique pas toujours la raison. Voilà peut-être un endroit idéal pour dissimuler un trésor tel que la larme de lune. Probablement qu'Henry se faisait la même remarque. « Y-a-t-il des traces de présence humaine par ici ? demanda-t-il.

— Suivez-moi et vous verrez. »

Après le gouffre du diable, ils passèrent encore une succession de cavernes. L’une d’elles était couverte d’un tapis luminescent qui reproduisait à s’y méprendre un ciel nocturne criblé d’étoiles.

« C’est magnifique, commenta Mona, ce sont des pierres précieuses qui brillent comme ça ?

— Non, ce sont des larves » fut la réponse.

  Par la suite, le chemin s’entoura d’une roche noire calcinée et devint à ce point accidenté que par endroits ils durent descendre des parois abruptes. Ils pénétraient enfin le domaine du volcan. Sonia aperçut un filet de lumière droit devant eux. Sa première impression fut qu’ils arrivaient à la sortie, avant que son esprit logique ne la rattrape. Cette lumière ne pouvait pas venir du soleil.

« Nous arrivons au cœur du volcan » confirma le ranger.

  Des reflets lancinants de lumière orange s’étalaient sur les murs au bout du tunnel. Ils débouchèrent sur un promontoire rocheux surplombant, quelques dizaines de mètres plus bas, un immense fleuve de lave. De longues trainées d’un jaune intense et lumineux se mêlaient à des sillons d’un flamboyant rouge et orange. « Restez bien contre la paroi, conseilla Clay, si vous tombez, vous pouvez être sûr de perdre votre avatar. Il s’enfoncera dans la lave et ce sera impossible de le récupérer ». Le flux s’écoulait lentement, dégageant une lumière qui semblait embraser les parois de la montagne. La chaleur palpable donnait une vision distordue de l’environnement. « C’est dingue…, souffla Sandra.

— J’ai chaud » ajouta Mona.

  D’après les explications de Clay, le fleuve de lave se situait en périphérie de la chambre magmatique. Plus loin, il repiquait vers le centre du volcan. En cas d’éruption imminente, son niveau pouvait remonter jusqu’à la caverne. Sonia n’arrivait pas à détacher son regard du spectacle de cette immense rivière de lave s’écoulant avec une lenteur extrême. La roche en fusion se déplaçait dans un bruit sourd de frottement. Son regard s’accrocha à une forme sombre en surface. Un caillot de lave durcie ? Une roche ? Elle la suivit comme une enfant suit une brindille courir avec langueur le long d’un ruisseau, hypnotisée par cette lumière apaisante, changeante, émise par la lave. Elle aurait voulu la toucher. « C’est effrayant ! » commenta Sandra. Les mots sortirent Sonia de sa torpeur. De toute façon, pensa-t-elle, le toucher ne faisait pas partie des attributs d’un avatar d’Autremonde. Elle ne pouvait sentir ni la consistance, ni la chaleur.

  Au signal de Clay, ils empruntèrent le sentier à flanc de paroi et repiquèrent plus loin dans la montagne. Ils marchèrent en silence dans un couloir sombre. « Nous arrivons dans la dernière partie de la visite » déclara leur guide. Le petit groupe suivit docilement le ranger dans un dédale de grottes offrant de multiples possibilités de se dérouter, ils escaladèrent enfin une paroi à l’aide d’une corde laissée là à leur intention. Sonia osa à peine s’imaginer en train d’effectuer ces efforts physiques de spéléologue confirmé. Dans la vie réelle, elle serait en train de ramper vers la sortie. Xena ne sentait ni la soif, ni la faim, ni la fatigue ; elle grimpait avec l’agilité d’une panthère, s’appuyant sur des cuisses musclées, offrant sans vergogne à la vue de l’avatar masculin qui la suivait la vue de ses larges fesses, rondes et affermies. Ce qui aurait sans nul doute troublé n’importe quel partenaire dans la vie réelle. Mais dans Autremonde où toutes les femmes avaient un corps parfait et se trimbalaient à moitié nues la plupart du temps, ce n’était qu’une vue routinière pour les résidents. Ces derniers avaient l’habitude des apparences trompeuses et devaient juger davantage leurs compatriotes sur leurs choix vestimentaires que sur la forme de leur corps.

  A partir de là, le chemin montait au travers d’une caverne de roche plus claire. Cette partie du dédale avait été épargnée par les coulées de lave. « De la lumière ? » interrogea Henry tandis que devant eux, une faible lueur verte caressait la surface de la roche. Elle rappelait un peu la lumière de la caverne des larves. La réalité était toute autre.

« Il s’agit du puits des fées, annonça le ranger. Vous allez enfin avoir une réponse à la question que vous me posiez tout à l’heure ».

  Sonia ne comprit pas de suite à quelle question il faisait référence. La sortie du tunnel leur dévoila une plate-forme bordée d’eau, posée au fond d’un immense puits, sorte de grande salle cylindrique dont le plafond se perdait dans les ténèbres. La lumière qui éclairait la grotte ne venait pas d’en haut, mais émanait de la lagune qui emplissait le fond du puit. Cette lumière, douce et apaisante avait permis à toute une flore de s’épanouir le long des parois verticales de roche. Sonia comprit enfin à quelle question leur guide faisait référence tandis qu’elle avançait avec précaution sur un sol clairement pavé de la main de l’homme. La terrasse était prolongée à son extrémité par un balcon qui s’enfonçait jusqu’au centre de la lagune. « Oh, v’la autre chose ! » s’exclama à nouveau Antonio. En l’écoutant, Sonia se dit qu’il devait avoir une sorte de tic.

« C’est magnifique ! » s’émerveilla Laura en levant les bras. Ces mots résonnèrent alors dans la cavité souterraine comme dans la nef d’une cathédrale. Sonia ressentit elle aussi un réel plaisir devant le spectacle de cette oasis de lumière au cœur des ténèbres du volcan. L’aura dégagée par l’eau formait comme un nuage de lumière tamisée. Parfois, de petites variations d’intensité créaient des effets de vagues sur la surface pourtant immobile.

« D’où vient la lumière ? demanda Henry.

— Le fond de la lagune est couvert d’algues luminescentes. Ce sont elles qui donnent cette teinte bleu-vert à l’eau.

— Il y a autre chose que des algues dans le fond ? insista-t-il.

— Oui, répondit le ranger. Il y a autre chose… Il y a… »

« …les anguilles.

— Les anguilles ? répéta Henry, visiblement surpris.

— On les appelle les anguilles de lune. Ce sont des poissons-serpents qui peuplent cette lagune. »

Henry se pencha au bord de l’eau. « Ce sont les anguilles qui créent ces ombres ? Et elles sont dangereuses ?

— Les anguilles adultes sont agressives. Elles produisent des décharges électriques qui se propagent dans toute la lagune. C’est une espèce endémique qui se nourrit des algues et a développé une puissance électrique unique.

— Comment sont-elles arrivées là ? » demanda Sonia.

  Elle buta au même instant sur la futilité de sa propre question. Dans un environnement tel qu’Autremonde où tout était possible, il suffisait de le vouloir. Son interlocuteur répondit néanmoins. « On ne le sait pas. Il existe plusieurs hypothèses. L’une d’elle qu’elles seraient arrivées de la même façon que l’eau pénètre dans le gouffre du diable. Par une anfractuosité aujourd’hui disparue. Mais la raison la plus courue est simplement que ce sont les hommes qui les ont introduites. « Pourquoi ? demanda Joe.

— Le puit de fée est juste un surnom moderne. En réalité, on suppose qu’il s’agit d’un ancien lieu de culte.

— Quel genre de culte ? insista Joe.

— Ici aussi, il y a plusieurs courants d’idée. L’idée la plus généralement admise est celle du culte de la lune, en raison de la forme circulaire de la lagune et de la couleur lumineuse qui évoque une pleine lune dans la nuit. Le peuple qui habitait l’île venait ici pour prier la lune et lui faire des offrandes. »

« On doit descendre là-dessous » annonça Henry d’un ton péremptoire.

« Vous pouvez essayer, répondit le ranger. D’autres l’ont fait avant vous.

— Et ils se sont transformés en ampoule électrique, c’est ça ?

— Non, vous n’êtes pas sensible à la douleur sur cette île. Il ne vous arrivera rien de grave. Simplement les anguilles vont s’énerver et vous empêcher d’approcher de leur nid. Vous n’atteindrez pas le fond. Elles vous repousseront invariablement vers la surface. C’est tout.

— Vous savez combien de bestioles il y a là-dessous ?

— Je ne connais pas leur nombre exact. Quelques dizaines, peut-être cinquante.

— Tant que ça ? C’est si profond ?

— Il y a environ trente mètres de profondeur. »

« Tant pis..., conclut Henry au bout de quelques secondes.

« Il faut tenter le coup. »

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