Chapitre 92 : Panique à bord
Stair
- Tu dis quoi ?
- ...
- Oh, putain... On va venir, Lynn. Le temps de préparer quelques affaires et on prend la route.
- ...
- Ok. J'vois avec Ally. J't'envoie un message quand on part. La bise à Jenna, dis-lui qu'on arrive.
Et je raccrochai. Je demeurai un moment silencieux, à fixer l'écran de mon téléphone.
- Baby ? Tu veux quelle sauce avec tes pâtes ?
- Hein ?
- Sauce aux champignons ou sauce bolognaise ?
Je relevai la tête en essayant de comprendre ce qu'Ally m'avait demandé. Ne recevant pas de réponse, elle sortit de la cuisine :
- Baby, je t'ai demandé... Qu'est-ce qui se passe ?
Je devais faire une tête pas possible. Elle se dirigea aussitôt vers moi, posant sa cuillère en bois sur la nappe. Il y resterait toujours une petite marque qu'elle ne parviendrait jamais à effacer, malgré de nombreux lavages. Mais on s'en foutait. Il y avait bien plus important.
- Y a un problème pour Jenna.
- Quoi ?
Elle avait crié et se précipita vers moi.
- C'est quoi le problème ? Dis-moi !
- Lynn vient de m'prévenir. Le médecin craint que le bébé ne soit trisomique. Une...
- Oh, non !
Ally était catastrophée. Elle ne m'avait pas laissé finir ma phrase. Ses yeux s'embuèrent de larmes. Je repris :
- Le médecin a constaté un détail sur l'échographie de Jenna, au niveau du rachis. Ca peut être signe d'une trisomie. Je dis bien "ça peut". Rien n'est sûr encore, elle doit faire une amniocentèse pour vérifier. Elle a une prise de sang aussi à faire demain, à jeûn.
Ally resta abasourdie. Je la pris dans mes bras et la serrai fort contre moi. La nouvelle nous tombait dessus avec violence. J'étais le premier que Lynn prévenait, il allait appeler Snoog et Treddy ensuite. Je fis durer un petit peu notre étreinte, pour y puiser du réconfort et en apporter à Ally. Puis je repris :
- J'ai dit à Lynn qu'on prenait la route tantôt. On va manger, on prépare vite fait quelques affaires et on monte à Glasgow. Si on a l'temps, on réserve un hôtel, sinon, on crèchera chez Snoog ou chez Treddy.
- Je vais téléphoner à Jenna, dit Ally avec fermeté.
- Elle veut pas. Elle veut parler à personne, m'a dit Lynn. Il a bien insisté là-dessus : il se doutait de ta réaction et qu'tu voudrais aussitôt l'appeler, mais elle est pas en état de parler. Elle est sous stress, inquiétude, désarroi... et angoisse.
- D'accord. Est-ce qu'il a dit si je pouvais au moins lui envoyer un message ?
- J'pense que c'est possible.
Elle me lâcha alors et se dirigea vers la table basse du salon pour y prendre son téléphone et tapa aussitôt un message. Je restai à la regarder quelques secondes, puis je me dirigeai vers la cuisine : l'eau était en train de déborder de la casserole, autant éviter une catastrophe.
Ally
Nous avions avalé un des repas les plus mauvais que j'avais pu préparer à Stair depuis que nous étions ensemble, mais l'important était d'avoir quelque chose dans l'estomac avant de prendre la route. Préparer nos affaires avait été rapide, j'avais prévu pour quelques jours, me disant qu'il serait toujours possible de faire une lessive que l'on soit hébergé chez Snoog ou chez Treddy. Stair m'avait précisé que, pour le moment, Jenna ne voulait voir personne. Nous resterions donc en veille, proches et prêts à intervenir si nécessaire. Lui voulait pouvoir soutenir Lynn aussi.
Nous étions rentrés d'Afrique du Sud la veille. L'étape dans ce pays, même si elle n'avait duré que quatre jours, avec deux concerts dans la ville du Cap, nous avait au moins permis de réduire le décalage horaire. Si nous avions dû rentrer directement d'Australie, nous aurions vécu le jour durant la nuit et inversement, le temps de nous réhabituer au fuseau anglais. Bien sûr, nous étions encore sous le coup de la fatigue du voyage et on n'encaissait pas douze heures de décalage en quelques jours, mais enfin, Stair se sentait capable de conduire jusqu'à Glasgow. Dès qu'il sentirait un coup de fatigue, je prendrais le relais.
Il avait eu toute l'équipe au téléphone. C'est à dire Snoog, Treddy et Gordon, depuis l'appel de Lynn. C'était prévu qu'on se retrouve tous chez Snoog. Ces appels avaient interrompu ses propres préparatifs et c'était moi qui avais bouclé son sac, y ajoutant deux t-shirts supplémentaires, un pantalon et quelques affaires de toilette.
Le temps était au vent et à la pluie, on s'attendait aussi à quelques chutes de neige quand nous franchirions les montagnes avant d'arriver en Ecosse. De ce qui était indiqué sur les panneaux routiers, les cols étaient ouverts. Nous étions début décembre et les conditions météo n'étaient pas des plus favorables pour faire la route. Stair roulait prudemment, malgré son envie d'arriver au plus vite. Pas la peine de risquer un accident. On avait hésité à prendre le train, mais on s'était dit que ce serait peut-être pratique d'avoir la voiture sous la main et d'être autonomes pour se déplacer. Snoog n'avait pas de voiture et Treddy ne pourrait peut-être pas toujours nous conduire.
Je demeurai songeuse en suivant du regard le mouvement rapide des essuie-glaces. Je pensais à mon amie. Sa fatigue durant les derniers jours où elle avait été présente avec nous, en Amérique du Sud. Notre joie à l'annonce du bébé. Alors qu'on n'était pas nombreux à parier que Lynn accepterait un jour d'avoir un enfant, Stair m'en avait touché deux mots... Puis les quelques courts messages que nous avions échangés, depuis qu'elle était rentrée, disant simplement que tout allait bien et qu'elle se reposait pour récupérer du voyage. Ca aurait dû m'alerter...
Stair
Nous étions arrivés à Glasgow en fin d'après-midi. Il faisait déjà nuit : en cette saison, les jours étaient très courts. Nous nous étions rendus directement chez Snoog qui avait proposé de nous héberger, Ally et moi. Quand nous franchîmes la porte de son appartement, nous eûmes la surprise d'y trouver Treddy. On se salua tous avec gravité et pendant que je déposais nos sacs dans la chambre, Snoog nous servit une bière.
- T'as eu d'autres nouvelles ? me demanda-t-il alors que je les rejoignais.
- Non, pas depuis que j'ai envoyé un sms à Lynn pour dire qu'on prenait la route.
- J'en avais envoyé un à Jenna aussi, dit Ally. Elle m'a juste répondu "merci".
Snoog attrapa son téléphone posé sur la table basse et composa un message, puis il nous dit :
- C'est pour prévenir que vous êtes bien arrivés. Avec le temps qu'il fait, prendre la route, c'était un peu chaud.
- Ca a été, fis-je. On s'est relayé et la route était dégagée.
- Z'auriez dû v'nir par le train...
- On a hésité, on s'est dit qu'on pouvait avoir besoin de la voiture sur place aussi...
Treddy hocha la tête. Nous avions tous le même air soucieux.
- Qu'est-ce qu'on va faire si c'est grave ? demanda Snoog.
- Comment ça ? dis-je.
- Et bien... Imagine que Jenna soit obligée d'avorter... Lynn restera avec elle un moment. La fin de la tournée risque d'être remise en question.
Nous échangeâmes un regard grave, tous les quatre. Aucun d'entre nous n'avait encore osé formuler les choses ainsi, mais nous y pensions tous. Ally ne disait rien, mais je voyais à sa tête qu'elle se sentait très triste. Elle entortillait ses doigts entre eux, signe d'une profonde inquiétude.
- Tant qu'on n'a pas les résultats, de toute façon... fit Treddy.
Je hochai la tête. Snoog embraya :
- Gordon est en train d'éplucher les contrats d'assurance, pour voir si le groupe serait couvert en cas d'annulation.
- Jenna s'en voudra à mort si vous êtes obligés d'interrompre la tournée, intervint Ally.
- Ouaip, dit Snoog. Mais on n'aura pas le choix. Encore heureux qu'on soit rentré à la maison... Au moins, Lynn est avec elle.
A cet instant, on entendit la sonnette à la porte. Snoog se leva et alla ouvrir. C'était Lynn. Il nous salua tous, j'eus droit à une bise et Stair lui fit l'accolade en silence.
- Merci d'être venus, dit-il. Chuis passé. Jenna se repose. Elle vous r'mercie aussi, mais elle veut voir personne pour le moment. Faut pas lui en vouloir...
- Bien sûr que non ! dit Ally. On est là et on s'adapte, selon vous.
- Merci, fit-il en acceptant la bière proposée par Snoog. Ca a été la route ?
- Ouaip. On s'est relayé avec Ally. On a mis plus de temps qu'en été, mais ça l'a fait. L'important est d'être là, ajoutai-je.
Nous échangeâmes tous les deux un long regard des plus significatifs.
Oui, l'important était d'être là, avec nos amis.
Annotations
Versions