Chapitre 94 : De belles rencontres
Stair
- Il est beau, hein ?
Nous étions tous assis autour d'une belle table, à déguster un petit verre de whisky, y compris Ally. Snoog nous avait embarqués à notre retour d'Irlande et juste avant les Fêtes jusqu'à Fort William. Lors d'un précédent périple, il y avait fait la connaissance des propriétaires d'un petit restaurant situé sur le port. Ils étaient amateurs de métal et fans du groupe et il leur avait promis de revenir avec les Dark Angels au grand complet. Et quand il disait au grand complet, c'était forcément avec les filles. Sauf qu'il n'était pas prudent que Jenna fasse de la route, et elle était demeurée à Glasgow. Elle avait cependant insisté pour que Lynn participe à cette petite escapade. L'une des sœurs de Treddy demeurait auprès d'elle. C'était Aarav qui avait pris le volant du minibus acheté au nom du groupe avant la tournée : il était très pratique pour nous trimbaler à droite et à gauche.
Snoog avait aussi laissé entendre que le chef cuisinier, Mickaël, possédait une belle collection de whiskys. Lorsque nous étions entrés dans le restaurant, Lynn m'avait donné un coup de coude et, d'un signe de tête, il avait désigné ladite collection, soigneusement rangée sur des étagères derrière un petit bar. Impressionnant. Et tentant...
Nous n'étions plus que nous tous dans la salle du restaurant. Nous avions réservé pour le deuxième service et nous étions désormais tranquilles pour discuter et échanger. Sam était très enthousiaste. Depuis qu'il avait appris que tout le groupe viendrait, il était - paraît-il - une vraie pile électrique. Snoog lui avait demandé si ça changeait de l'habitude et Mickaël avait laissé entendre que ce n'était pas pire.
Ils avaient apporté leurs disques, pour qu'on puisse les dédicader et ils étaient en train de nous livrer leurs impressions sur le dernier album.
- C'est un bel album, dit Mickaël. Vous avez écrit de très belles chansons. Il est différent des deux autres, vraiment.
- On a pu l'enregistrer dans notre nouveau studio, à Glasgow, dit Treddy. Et ça change beaucoup de choses.
- Dommage qu'il n'y ait pas de chanson dédiée à l'Ecosse, fit remarquer Sam.
- Non, mais j'ai une idée en tête... dit Snoog. Pour le prochain, ajouta-t-il avec un clin d'œil.
- Donc toujours pas de Mort Ghlinne Comhann sur un album, fit Mickaël.
- Non, intervint Treddy. En fait, plus le temps passe et plus on se demande si cette chanson a besoin d'être gravée... Quel que soit l'endroit où on joue, tout le public la connaît et la chante de bout en bout. On l'avait bien constaté l'année dernière, lors de la tournée du Dark Death Tour. En Irlande et bien sûr ici, en Ecosse, tout le monde la connaissait déjà par cœur.
Mickaël hocha la tête avec intérêt.
- Avec Lynn, Jenna et Ally, on était allé jusqu'à Glencoe, avant le concert à Glasgow, fis-je. Et on avait rencontré le cornemuseur.
- Abel ? fit Sam.
- Yep. On a joué la chanson avec lui, au mémorial, puis on a discuté ensemble. Il nous a raconté qu'ici, tout le monde connaissait la chanson.
- Je confirme, dit Mickaël.
- Yep, renchérit Sam. Mes gamines l'apprennent même à l'école !
- Non ? fit Snoog alors qu'un petit sourire s'affichait sur le visage de Treddy.
- Si, si, j'vous jure...
Il n'avait pas l'air de plaisanter du tout. Nous commençâmes alors la séance de dédicace. Sam avait apporté aussi des billets de concert... Mickaël nous présenta aussi ses propres disques. Puis Sam s'absenta un instant avant de revenir avec un paquet blanc plié sous le bras.
- Micky, pousse les verres, s'te plaît. Là, c'est du sérieux...
Mickaël sourit, se leva. Il rangea d'abord les deux bouteilles qui étaient restées sur la table, puis chacun d'entre nous prit son verre à la main. Sam déplia alors le paquet et étala un tablier de cuisinier devant nous. J'y reconnus aussitôt l'écriture de Snoog : lors de son précédent passage, il avait dédicacé le tablier.
- Vous pouvez y ajouter les vôtres ? nous demanda-t-il.
- Yep, bien sûr, fit Lynn en s'emparant du marqueur que lui tendait Mickaël. T'as écrit quoi, là, Snoog ? Du latin d'cuisine ?
- T'y es pas, mon pote. La devise écossaise. En latin, ouais, c'est vrai. Me d'mande pas pourquoi elle est dans cette langue et pas en gaëlique...
- Ok, fit Lynn.
Il réfléchit un instant, puis écrivit :
Pour Sam et vive l'Ecosse libre !
Et il signa, avant de me tendre le marqueur. J'écrivis à côté :
En souvenir d'une belle soirée et d'une bonne dégustation de whisky, pour Sam.
Puis ce fut au tour de Treddy. Je me doutais qu'il allait écrire quelque chose de particulier, peut-être même le ferait-il en gaëlique. Ce qui ne manqua pas. Il nous en donna cependant vite la traduction :
Pour Sam. De Glencoe à Fort William, notre mémoire n'oublie jamais.
Ally
Ce fut un très court séjour à Fort William, mais il fut chargé de belles rencontres et de bons moments. Comme si le groupe scellait là des amitiés et s'ancrait un peu plus encore en terre écossaise. J'étais heureuse de participer à cette petite escapade. Snoog avait tout organisé : réservation des chambres d'hôtel à Fort William, réservation aussi d'une table dans le restaurant où il voulait nous emmener. Il nous avait parlé avec emphase de sa rencontre avec Sam et Mickaël. Nous passâmes une très bonne soirée, avec un repas délicieux et une belle dégustation de whisky. Je soupçonnai les garçons d'être tous un peu pompette en sortant du restaurant. Heureusement, notre hôtel n'était pas loin.
Le lendemain en début d'après-midi, nous nous rendîmes à Glencoe. Nous avions traversé la vallée sous la neige, en faisant la route la veille. Stair avait repris contact avec Abel, le cornemuseur, pour lui dire que nous allions faire un petit tour à Fort William et que ce serait l'occasion de le revoir, avec tout le groupe cette fois. Il nous avait invités chez lui.
Il habitait dans une ancienne maison, joliment rénovée, à la sortie du village. Il était marié et avait un petit garçon de trois ans. Ce dernier ne sembla pas du tout impressionné en nous voyant débarquer et il se montra même très joueur avec moi.
La rencontre fut très chaleureuse. Abel était vraiment heureux de faire la connaissance de Snoog et de Treddy, et de nous revoir. Sans oublier Aarav. Il nous invita à prendre place au salon, près d'une belle cheminée où brûlait un bon feu. Là encore, les garçons ne refusèrent pas quelques bons verres de whisky. Heureusement qu'Aarav conduisait et nous ramènerait sans encombre à Glasgow en fin de journée.
- Alors, comme cela, vous êtes venus faire un tour à Fort William ? nous dit-il une fois que tout le monde fut servi, en whisky ou en thé.
- Yep, dit Lynn. Snoog avait fait une belle rencontre et tenait à nous ramener par ici. Et nous, nous voulions honorer la promesse qu'on t'avait faite, de voir tout le groupe.
- J'en suis touché. Et quelle est cette belle rencontre que tu avais faite à Fort William ? demanda Abel en se tournant vers Snoog.
- J'avais eu l'occasion de dîner dans un très bon restaurant, sur le port. Le second m'avait reconnu, j'avais passé la fin de la soirée à discuter avec lui et le chef, autour de quelques excellents whiskys... Ils sont fans du groupe, j'avais donc promis de revenir. Comme on marque une petite pause dans la tournée, c'était l'occasion...
- Un bon restaurant sur le port...
- Entre Terre et Mer, glissai-je.
- Oh, bien sûr ! Ainsi, vous avez fait la connaissance de Sam et Mickaël ?
- Oui, souris-je en réponse. On a passé une excellente soirée...
- Ah ma foi, je m'en doute bien ! Mon whisky ne peut rivaliser avec la collection de Mickaël. Sans mentir, je pense qu'il possède une des plus belles de toute l'Ecosse ! Il connaît toutes les distilleries, tous les assembleurs... Et il sait proposer une très large gamme à ses clients. Sans oublier quelques trésors cachés...
- C'est ce qu'on a cru comprendre, dit Stair. Enfin, voilà. Sam a maintenant un tablier dédicacé par tout le groupe.
Abel éclata de rire :
- J'imagine bien le tableau ! Bon, faudra qu'on aille dîner un soir là-bas, pour qu'il me le montre...
- Tu les connais bien ? demanda Treddy.
- Oui, on a l'occasion de se croiser de temps en temps. Et j'ai été à l'école avec un des cousins éloignés de Mickaël. Bon, je ne vous fais pas tout l'arbre généalogique, hein... Ici, tout le monde se connaît plus ou moins. Fort William n'est pas une grande ville. Et dès qu'on est dans le commerce ou les services...
Nous acquiesçâmes. Puis Snoog reposa son verre sur la table et sortit d'un sac le dernier album.
- Tiens, dit-il en le tendant à Abel. Cadeau des Dark Angels. Et dédicacé...
- Ah ben, dites ! fit Abel en ouvrant de grands yeux. C'est un beau cadeau celui-là...
Il tourna aussitôt le disque sur l'envers pour lire les titres, puis releva la tête et ajouta :
- Et toujours pas de Mort Ghlinne Comhann...
Les quatre garçons eurent tous un mince sourire en réponse. Ce fut Treddy qui expliqua :
- Non. Parce que finalement, cette chanson n'a pas besoin d'être gravée sur un album. Elle vit sa propre vie, nous échappe totalement... J'ai eu l'occasion de m'en rendre compte à plusieurs reprises, quand je suis à Glasgow : souvent, spontanément, les gens m'en parlent et me disent qu'ils la connaissent. Même ceux qui n'aiment pas le métal.
- C'est pas mal, cette image de la chanson qui vous échappe... Elle a sa propre liberté.
- Yep, fit Lynn.
- En effet, ajouta Snoog. Et ça nous plaît bien. C'est juste géant, en concert, d'avoir tout le public qui la chante. Limite, je pourrais m'abstenir.
- Même à l'étranger ? s'étonna Abel.
- Même. Imagine... En Pologne ou en Italie, en Amérique du Sud, des coins où on ne parle pas couramment anglais... Les spectateurs connaissent les paroles par cœur. Vraiment. J'exagère pas ! ajouta-t-il en levant un instant la main.
- C'est toujours un moment très fort, fit Stair. C'est très impressionnant.
- D'ailleurs... On a une idée, intervint Lynn.
- Ah, laquelle ?
- Quand on va jouer en Ecosse, dans deux mois, ça te dirait d'être sur scène avec nous pour cette chanson ? Tu la joues au mémorial...
- Oh la ! C'est autre chose, la scène ! rit-il. Mais merci de la proposition... Ma foi, c'est tentant.
- Tu as un peu de temps pour nous répondre, dit Stair. Et si ça te tente de faire les quatre dates en Ecosse... Ce serait chouette. Un p'tit cadeau pour le public écossais, et seulement pour lui.
- J'aimerais bien, ça oui. Ca doit être quelque chose à vivre, fit Abel. L'autre fois, j'étais dans le public et il y avait une sacrée ambiance ! Une belle communion...
Snoog hocha la tête. Treddy dit alors :
- Tu pourrais même nous accompagner sur une ou deux autres, comme No man's land. Depuis le début, j'imagine bien de la cornemuse sur ce morceau. Et peut-être sur Amanda's Song aussi, ça ajouterait de l'émotion.
- Je suis partant, dit Abel.
- On va t'envoyer les partitions, dit Stair. Tu essayes et tu nous dis. On reste à Glasgow jusqu'à la mi-janvier, avant de repartir pour la tournée en Angleterre. Si tu es dispo, tu peux venir répéter avec nous quand ça t'arrange.
- Et te soucie pas pour l'hébergement, dit Snoog. Y a de la place chez moi ou chez Treddy, pas besoin de prendre une chambre d'hôtel, à moins que tu n'aies de la famille ou des potes sur Glasgow.
- Je connais du monde oui, je trouverai facilement quelqu'un à m'héberger pour quelques jours. Ca marche. J'étudie les partitions et je vous tiens au courant.
- Tu peux faire quelques modifications sur les mélodies, dit Treddy, si tu le sens. C'est pas un souci pour moi. On se complètera, de toute façon.
L'après-midi se poursuivit ainsi, puis nous prîmes congé et rentrâmes sur Glasgow. En remontant la belle vallée enneigée, sous un dernier timide rayon de soleil couchant, je repensai aux propos d'Abel : la chanson Mort Ghlinne Comhann avait désormais sa propre liberté.
Et c'était une belle revanche sur le passé.
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