Chapitre 97 : Un air de liberté
Stair
- Merci, merci !
Nous faisions sonner les dernières notes de Lies, more lies !, le concert venait de débuter et Snoog s'inclinait pour remercier le public. L'ambiance était à la fête et je sentais les spectateurs déjà bien en phase avec lui : et pour cause, il portait ce soir, comme Treddy, le t-shirt de l'indépendance. Pas question pour eux de renoncer. Je me dis que ce concert allait vraiment être chouette. Et Snoog commença très fort :
- Merci à vous ! Nous sommes vraiment très heureux de rejouer en Ecosse. Vous savez... Ici, pour nous, c'est comme jouer à la maison. C'est le cas quand nous nous produisons à Manchester, mais ici aussi ! Et encore plus depuis le mois de juin dernier et ce foutu Brexit !
Le public hua : en Ecosse, le résultat du référendum passait très mal. Après avoir renoncé à l'indépendance sous la menace de ne pas rester au sein de l'Union Européenne, les Ecossais étaient aujourd'hui contraints d'en sortir par un vote qu'ils n'avaient pas voulu. C'était une situation qui mettait les gens très en colère, nous avions déjà pu le constater. Et cela aiguisait d'autant plus la fibre indépendantiste : le gouvernement britannique aurait à nouveau voulu jeter les Ecossais dans les bras du mouvement indépendantiste qu'il ne s'y serait pas mieux pris. Mais je doutais que c'était ce qu'il voulait, ni même que cela lui importait vraiment.
Snoog laissa à peine la clameur retomber et il enchaîna :
- On va vous raconter maintenant... L'histoire d'un mauvais garçon. Bad boy !
Et Lynn lança un tempo d'enfer. Il avait ce soir une énergie incroyable et je savais très bien que la présence de Jenna, dans le salon VIP, n'y était pas étrangère : pour la première fois depuis plus d'un mois, il allait pouvoir jouer devant elle et pour elle. Ce n'était arrivé qu'à Manchester. Exceptionnellement, Ally se trouvait ce soir avec Jenna, pour vivre le concert avec notre amie, partager ce moment avec elle. Ce n'était pas un souci pour moi, même si j'étais habitué à sa présence, en coulisses.
Toute la première partie du concert se passa très bien. Nous étions vraiment portés par le public. Puis Snoog marqua une courte pause et dit :
- Nous avons... Ce soir, nous avons quelque chose pour vous. Un cadeau. Nous avons eu la chance de croiser la route de grands musiciens au cours de notre tournée, de jouer également au Hellfest et ce soir... Ce soir, nous accueillons avec nous un autre grand musicien, un gardien de la mémoire ! De votre mémoire ! Et de la nôtre aussi, un peu...
A ce moment, on entendit les premières notes de la cornemuse et Abel fit son apparition. Le public était aux anges. La clameur enfla au fil des secondes, les gens reconnaissant l'air qu'il avait commencé à jouer. Et déjà, certains scandaient Mort Ghlinne Comhann ! Mort Ghlinne Comhann !
Nous enchaînâmes tous, sourire aux lèvres. La surprise était totale, mais l'ambiance du feu de dieu. Nous avions eu de belles communions avec le public sud-américain, de très bons échanges et retours au Québec, en Europe. Mais avec le public écossais, il se passait vraiment toujours quelque chose de spécial que nous ne trouvions nulle part ailleurs. Il y avait ici une connivence, une sympathie, une fête incroyables.
Lynn, David et moi fîmes durer l'introduction alors qu'Abel, portant le costume traditionnel du clan MacDonald, s'approchait de Treddy. Ils échangèrent clin d'œil et petit signe de connivence et Treddy lança la machine. Et Snoog déclama les premières paroles alors que le public chantait déjà à l'unisson.
A chaque refrain, Abel se rapprochait de l'un d'entre nous et nous fîmes tour à tour un solo, avant de jouer les deux derniers couplets. Ce fut la version la plus longue de cette chanson que nous donnâmes ce soir-là.
Et ce fut comme si un vent de liberté se levait et soufflait sur l'Ecosse, à nouveau.
**
Edimbourg. Un soir tranquille, avant deux concerts de folie. Après le premier concert à Glasgow, la nouvelle de la présence d'Abel avec nous s'était répandue comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux. Impossible de garder l'effet de surprise. Nous nous y attendions. Dès notre entrée sur scène, le public scandait son nom. Et quand il entamait les premières notes de Mort Ghlinne Comhann, c'était comme un vent de folie qui se levait parmi les spectateurs. Nous étions tous ravis de faire autant plaisir. Treddy avait eu raison d'insister : le son de la cornemuse se mêlait très bien à nos airs, c'était un instrument taillé pour tenir la dragée haute aux hard-rockeurs, comme autrefois aux armées romaines.
Cette expérience - de jouer quelques morceaux avec un autre musicien, d'apporter une touche différente, traditionnelle - était vraiment intéressante, créatrice. Elle serait à l'origine de quelques autres, dans les années à venir.
Nous étions arrivés la veille à Edimbourg. Dans la journée, nous nous étions promenés dans la ville ; sauf que nous avions prévu un circuit que nous avions vite dû restreindre. Nous étions souvent arrêtés et interpellés par des fans et avions finalement plus échangé et signé des autographes que profité de la ville. Y venir incognito était désormais impossible. Ce n'était pas bien grave, d'autant que les gens se montraient la plupart du temps sympathiques, enthousiastes. Si, à Manchester, les Dark Angels avaient été et demeuraient les enfants du pays, les Ecossais nous considéraient totalement comme étant des leurs. Et Snoog ne manquait jamais de glisser quelques mots allant dans ce sens. Notre prise de position face au Brexit, en plus de certaines de nos chansons, créait une proximité et une reconnaissance particulières. Même si nous ne l'avions pas voulu, nous étions des leurs.
Ally
- C'est vraiment super cool ! Ah, c'est chouette !
- On est content de vous voir ! C'était un grand concert... Vraiment bien. On a passé une excellente soirée !
- Et c'est pas fini, hein, Micky ?
Je souris. Nous étions en coulisses, après le premier concert à Edimbourg. Les garçons avaient fait parvenir des billets à Sam, Mickaël et leurs compagnes, leur offrant des places en VIP. Nous fîmes ainsi la connaissance de Jenn et de Maureen.
C'étaient les derniers concerts, avant Wembley. Les garçons commençaient à afficher de la fatigue, mais ils étaient ravis d'avoir pu se produire avec Abel et très touchés par l'accueil enthousiaste réservé par le public et la presse écossaise. Celle-ci rappelait que le groupe était désormais basé à Glasgow, que le dernier disque était né sur les rives de la Clyde et que les Dark Angels jouaient "comme à la maison" dans les salles écossaises.
Nous étions assez nombreux à nous trouver là, dans la salle VIP. Un buffet avait été préparé, pour le groupe et pour les invités. Speedy et Lucky étaient avec nous et le premier avait déjà fait quelques photos.
- T'as pas mis ton beau tablier ? fit Snoog, un peu goguenard, à l'adresse de Sam. Chuis déçu...
- J'veux pas l'abîmer, répliqua le cuisinier. Ni me faire lyncher pour que des fans en récupèrent un morceau !
- Dans le salon VIP, il n'y avait pas trop de risque, lui glissa sa compagne, Jenn.
- On sait jamais, chérie, on sait jamais ! Bon, Micky... On a un truc à faire, là, non ?
- Oui, bien sûr.
Mickaël déposa deux cartons sur la table. C'étaient des cartons à bouteilles et je devinai aussitôt qu'il devait s'agir de whisky.
- Un petit échantillon, fit-il... pour le groupe et son entourage.
- A toi l'honneur, Treddy, fit Snoog.
Treddy s'approcha de la table et ouvrit l'un des cartons. Il en sortit une première bouteille, un Lagavulin, puis un Oban, un Talisker, un Dalwhinie, un Tobermory et un du Ben Nevis, portant le nom de Glencoe.
- Oh, oh, fit Snoog avec le regard pétillant, celui-là, il me tente bien...
- Je me suis dit que c'était obligatoire d'en prendre une bouteille, sourit Mickaël.
- Et qu'y a-t-il dans l'autre carton ? demanda Stair, d'un ton intrigué.
- Dans ce premier, ce sont des whiskys de distilleries différentes, un petit échantillon de ce que peuvent offrir les Highlands. Avec de la variété, tant dans les goûts que dans la force, expliqua Mickaël. Et dans l'autre...
- Un petit bijou, le coupa Sam avec un air gourmand.
- Six bouteilles identiques, précisa Mickaël, une pour chacun et une pour votre manager, précisa-t-il en jetant un regard à Gordon. Ce whisky vient de la Spey, d'une des dernières petites distilleries artisanales écossaises. Et Sam n'a pas tort en disant que c'est un trésor. C'est une femme qui le fabrique, héritière d'une belle tradition. Aucun whisky ne lui ressemble. Ce sont des crus uniques, chaque année, et une toute petite production.
- Et bien... fit Snoog qui, pour une fois, ne savait pas quoi dire.
- Merci, fit Lynn, visiblement très touché. On pensera à vous à chaque fois qu'on dégustera un verre !
- Désolé, Lynn, fit Mickaël en s'adressant particulièrement à lui, mais je n'ai pas pris de Jack Daniel's... Trop commun...
Lynn lui sourit avec un regard complice.
Et les garçons décidèrent de faire honneur à leurs invités en débouchant la bouteille de Glencoe. Puis ils posèrent tous pour la photo, un petit verre à la main.
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