Chapitre 102 : ... et tout commence
Stair
Désœuvré. Bien content de poser mon sac pour une durée inconnue, même si le changement de rythme faisait un effet étrange. La tournée était terminée. Nous étions demeurés quelques jours à Londres après le concert de Wembley, pour des rendez-vous avec la presse, quelques émissions de radio et de télé. La maison de disques nous faisait les yeux doux, déroulant le tapis rouge. Nous avions bien compris la manœuvre : il s'agissait de nous amadouer pour qu'on signe un nouveau contrat. Mais nous étions bien déterminés à nous lancer dans l'aventure de l'auto-production. Ce ne serait pas pour tout de suite, nous devions encore sortir l'album live. Néanmoins, nous voyions le bout de cette coopération.
Si tout le groupe avait regagné Glasgow, Ally et moi étions rentrés tranquillement à Manchester. Les premiers jours, nous avions revu la famille, les proches. Nous étions aussi passés voir Rosie et Jack. Rosie avait des étoiles plein les yeux en évoquant le concert. Elle était si fière de Lynn ! Et de nous tous... Si heureuse de notre réussite. J'adorais Rosie pour cela : enthousiaste, naturelle, si simple aussi... Et toujours positive.
La pause à Manchester était prévue d'assez courte durée. D'ici l'été, nous remonterions à Glasgow pour que le groupe puisse commencer le travail autour de l'album live. Et nous avions prévu d'y être de toute façon, Ally et moi, dès le début du mois de juin, pour la naissance du bébé de Lynn et Jenna.
Avec Ally, nous avions aussi un projet bien particulier et bien personnel et après ces premiers jours passés à voir les uns et les autres, on s'enferma dans notre bulle. Je ne savais pas combien de temps ça prendrait, si ça marcherait du premier coup ou pas, mais comme nous étions bien actifs, on mettait toutes les chances de notre côté.
Ally
J'étais une vraie pile électrique. Impossible de dire comment j'étais parvenue à me contrôler, à faire en sorte que Stair ne se doute de rien. Dès les premiers signes de retard, je pris rendez-vous pour une prise de sang. Pas besoin de passer voir un médecin, j'étais tout à fait capable d'en lire les résultats. Puis j'avais lancé l'idée d'aller faire une balade : je voulais lui annoncer la nouvelle au parc, dans notre petit écrin, sur notre banc.
- Ca fait longtemps qu'on n'est pas allé là-bas, fis-je d'un ton aussi innocent que possible.
- Au moins plusieurs semaines avant la tournée, me répondit-il après un petit temps de réflexion. Ca marche. Il fait beau, le printemps doit être éclatant là-bas. Tu as raison : ça va faire du bien de sortir un peu.
Nous prîmes cependant la voiture pour nous rendre jusqu'au parc, car depuis que nous avions emmenagé dans cet appartement, nous en étions quand même bien éloignés.
- On fait un petit tour d'abord ? me demanda Stair. J'aimerais bien me dégourdir les jambes, j'ai passé la matinée à jouer...
C'était vrai : il n'avait pas changé ses habitudes, il avait toujours besoin de prendre sa basse à un moment ou à un autre de la journée, et de jouer. Il poursuivit :
- Comme t'étais pas à la maison, j'en ai profité.
- Tu as joué quoi ? demandai-je avec intérêt, contente qu'il parle de musique, ce qui me permettrait de demeurer assez calme et de penser à autre chose qu'à la nouvelle que j'avais à lui annoncer.
- Hum, j'ai plusieurs idées en tête... J'travaille une nouvelle mélodie. Et des arrangements. Je sais que Lynn ne veut pas qu'on rejoue Pour Jenna, ni même qu'on l'enregistre sur un album studio, il ne voudrait garder que la version de Wembley, mais j'pense que ce morceau mérite un plus bel arrangement, même si c'est juste pour le jouer en répét'.
- Hum, je vois. Et ça t'a donné quelques idées ?
- Ouaip. Et surtout pour la chanson qu'il a écrite au Québec.
- Ah oui, celle des petites baleines blanches, souris-je. J'aime beaucoup son texte.
- Moi aussi, fit-il en ajoutant une pression à nos mains nouées. Il mérite un bon travail de notre part. Treddy m'a dit qu'il allait plancher dessus, mais pour le moment, il profite de pouvoir passer vraiment du temps avec Coleen. Il m'a dit qu'il se remettrait à la musique après.
- Il a raison d'en profiter, soupirai-je avec compassion.
- Yep, fit simplement Stair.
Nous gardâmes un petit silence, puis il reprit :
- J'ai une autre idée, aussi...
- Ah ? fis-je.
- Ouaip... Quand on était en Colombie...
Je fis revenir à mon esprit quelques images. Les concerts en Amérique du Sud remontaient déjà à plusieurs mois.
- ... entre les deux concerts qu'on a donnés à Bogota.
- T'avais été malade, fis-je en me rappelant ma propre inquiétude à le voir tout pâle, le lendemain matin du premier concert.
- Ouaip. Moins que Treddy à Lima, la semaine suivante, mais quand même. J'étais resté couché toute la journée.
- Oui, je m'en souviens bien. Tu ne voulais pas que je rentre dans la chambre de peur de me refiler tes microbes. Mais j'avais déjà été un peu malade en Amérique centrale, je voyais bien que c'était la même chose.
- Yep. J'ai comaté toute la journée, je crois que j'ai dormi pas mal aussi. La nuit suivante, j'avais pas sommeil. En plus, tu dormais dans une autre chambre... A un moment, j'ai allumé la télé et je suis tombé sur un documentaire sur la catastrophe du Nevado del Ruiz, le volcan qui était entré en éruption trente ans plus tôt.
- Oh... fis-je. Je n'avais jamais entendu parler de cela.
- On n'était pas né, baby.
- Pour Tchernobyl non plus et pourtant, on était au courant.
- Ouais parce que c'était en Europe ou presque, que ça a aussi participé à la chute de l'empire soviétique, tout ça...
Il fit un vague geste de la main avant de reprendre :
- Et j'commence à avoir des idées pour une chanson, à partir de cet événement.
- Oh bien, fis-je. Ca a été une grande catastrophe ?
- La deuxième éruption volcanique la plus meurtrière du vingtième siècle, ouais. Plus de 20 000 morts dont une gamine qu'on n'a pas réussi à sortir de la boue et qui est morte sous les yeux du monde entier.
Je frissonnai. Et je compris d'emblée ce qui allait être le fil conducteur de cette nouvelle chanson, la première dont il écrivait le texte depuis Reviens !.
**
Nous avions fait le grand tour du parc, avant de rejoindre notre banc. D'emblée je m'assis sur les genoux de Stair, d'abord de côté, la tête appuyée contre son cœur. Il me câlina un moment, petits bisous dans le cou, caresses dans le dos. J'avais l'impression de revenir à nos premières sorties et c'était chouette. Puis je me mis face à lui, pris son visage entre mes mains, le caressant du bout des doigts. Il m'entoura de ses bras et ne me quitta pas des yeux, de son regard si doux.
- Ally...
- Stair... Je...
Je m'interrompis. Nous avions parlé en même temps. Un léger sourire s'afficha sur ses lèvres, il resserra un peu son étreinte sur mes reins, avant que sa main droite ne vienne se poser sur mon ventre.
- Allez... Dis-le, fit-il en souriant plus nettement.
Mes yeux s'écarquillèrent, je déglutis. Je voulus parler, mais l'émotion me serrait trop la gorge.
- T'attends un bébé ? C'est bien ça ?
Je hochai la tête à l'affirmative, toujours incapable de prononcer le moindre mot. Il avait deviné ! Et l'émotion me coupant tous mes moyens, je ne parvenais pas à lui annoncer la nouvelle comme j'avais pensé le faire. Il me fixa encore quelques secondes avant de m'embrasser profondément. Je passai mes mains autour de son cou, les siennes reprirent place dans mon dos et il me rapprocha plus encore de lui. Je me sentis alors comme dans un cocon, à l'abri de ses bras.
Et notre petit aussi.
**
- Comment as-tu deviné ? demandai-je après avoir réussi à reprendre un peu mes esprits.
- Baby... T'es un vrai livre ouvert. Et j'donne peut-être l'impression de planer, mais y a quand même des trucs que j'remarque... Comme ton idée de venir ici.
- Ah... fis-je. Ce n'était pas une bonne idée ?
- Elle était excellente et je suis très heureux d'avoir eu confirmation de mes intuitions ici. Tu pouvais pas choisir un meilleur endroit pour m'annoncer la nouvelle. Et puis, à force de compter tes jours dans tous les sens ces derniers mois, comment dire... Moi aussi, je sais compter. Et décompter. Surtout avec le concert de Wembley, ajouta-t-il avec un petit sourire malicieux.
Je souris, heureuse finalement que ça se passe ainsi. Et même s'il avait deviné... Après tout, c'était aussi une preuve de ses sentiments pour moi, pour le futur bébé, et de l'attention qu'il me portait.
Ou plutôt qu'il nous portait.
- On le dit à personne pour le moment, fis-je.
- Comme tu veux.
- Il a à peine trois semaines, c'est très peu.
- Tu penses qu'il peut y avoir une erreur ?
- Non, les analyses sont fiables, mais... Je préférerais ne rien dire aux Dark avant la naissance du bébé de Lynn et Jenna.
- J'comprends, fit Stair en fronçant légèrement des sourcils, alors qu'une trace d'inquiétude passait dans son regard. Tant qu'on n'est pas totalement rassuré pour leur petite louloutte...
- Exactement. J'espère que tout ira bien...
- Jenna est bien suivie, dit-il d'un ton réconfortant. Et maintenant que Lynn est avec elle tout le temps, ça leur enlève de l'inquiétude aussi.
- C'est vrai.
- Enfin, j'pense que c'est quand même mieux d'avoir attendu la fin de la tournée. Perso, j'aurais pas voulu être à la place de Lynn, même sans qu'il y ait des soucis. Tu dois avoir des examens ?
- Il faut que je prenne rendez-vous avec le médecin, d'abord. Ensuite, il y aura une première échographie. Et des prises de sang régulièrement pour vérifier certaines constantes. D'ici là... On peut vivre tout à fait normalement.
Il sourit.
- Ca veut dire qu'on peut rentrer à la maison et faire un câlin ?
Il avait dit cela d'un ton tellement enfantin que j'en éclatai de rire.
- Oui... répondis-je d'un ton quand même sérieux et un rien langoureux.
Avant de l'embrasser profondément.
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