Chapitre 108 : Chemin de croix

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Stair

Depuis quelques jours, il faisait chaud. Cela n'empêchait pas Ally de dormir comme une marmotte. C'était normal, paraît-il. Ce soir-là, je ne parvenais pas à trouver le sommeil. Depuis quelques temps, je me sentais l'âme créatrice, bouillonnante. J'avais crayonné pas mal d'idées, des bouts de textes comme des enchaînements mélodiques. J'allais pouvoir présenter à mes potes les arrangements que j'avais travaillés pour La chaise vide, la chanson que Snoog avait écrite en hommage à Liu Xiaobo. Je jugeais ces arrangements assez aboutis. Mais j'avais d'autres idées encore. Qui me tournaient dans la tête.

Ce petit bout de nous qui poussait dans le ventre d'Ally m'apportait une émulation que je n'avais jamais connue. Cela me plongeait aussi dans de nombreuses réflexions. Et notamment, cela remettait toute notre relation en perspective. Je songeais souvent à notre rencontre, à tous les premiers moments que nous avions passés ensemble. Et à notre rupture. A ces mois de traversée du désert, ces moments si douloureux. Si j'étais parvenu à exprimer à travers Reviens ! mes espérances et mes souffrances, je mesurais que cette chanson n'avait pas tout soldé. Comme s'il me restait encore des choses à dire sur cette période de notre vie, de notre histoire. Et je voulais notamment parler d'Ally, de ce qu'elle, elle avait traversé.

Je m'étais installé sur le balcon, une bière devant moi, des partitions, un joint auquel je touchai à peine dans le cendrier. J'avais pris ma basse et je mimais des notes, des enchaînements : je ne pinçais pas les cordes, j'avais juste besoin d'avoir l'instrument entre les mains pour écrire. Il n'était pas question de jouer en pleine nuit et de réveiller les voisins.

J'étais bien, là. Tranquille. La mélodie découlait, fluide, très inspirée par la chanson de Maiden, The Clairvoyant. Les paroles, elles, n'avaient rien à voir.

Ally

Je me réveillai seule dans le lit. Je portai la main à mon ventre qui marquait désormais un joli petit renflement dont j'étais très fière. Je ne sentais pas encore le bébé bouger, mais Jenna m'avait dit que cela ne devrait plus tarder. Je jetai un œil au réveil, il était près de 4h du matin. Je me demandai bien où se trouvait Stair. Je n'avais pas souvenir qu'il s'était endormi à mes côtés hier soir, mais je devais bien avouer que je tombais comme une masse en tout début de soirée et que, bien souvent, je ne l'entendais pas se coucher.

Je me levai et gagnai la cuisine, pour m'y servir un verre d'eau. En passant devant la porte de la salle, je distinguai une vague lueur sur le balcon. Je gagnai la porte-fenêtre, l'entrebâillai. Stair était assis là, la basse entre les mains, des partitions étalées devant lui. La faible lueur que j'avais remarquée était celle d'une bougie.

J'en souris : "Pendant que je dors et que le bébé se nourrit de moi, lui, il écrit... On est chacun dans notre propre processus créatif !"

- Tu ne dors pas ? fis-je doucement.

Il leva la tête, me sourit :

- Toi non plus, on dirait ?

- J'ai dormi huit heures d'affilée, tu te rends compte ?

- Yep.

- Et toi ?

- J'ai dormi un peu tout à l'heure... Mais j'ai trop d'idées dans la tête. Faut que j'écrive...

- Je vois ça, dis-je en m'approchant et en glissant une main dans ses cheveux.

Sa main droite abandonna la basse, entoura ma taille pour me rapprocher de lui avant de pencher la tête vers mon ventre, d'y déposer un baiser. Puis il se redressa, me fixa et demanda :

- Et bébé ? Il dort ?

- Je pense... Je peux regarder ce que tu as écrit ?

- Yep... Je peaufine encore la mélodie, mais les paroles sont assez abouties, à mon avis.

Je pris le feuillet à peine raturé et commençai ma lecture. Au fil des vers, mon regard se voila, ma gorge se serra et une larme perla à mes cils.

C'est un chemin sur lequel on trébuche

Un chemin noir semé d'embûches

Toi et moi en parallèle

Toi et moi, on s'est coupé les ailes

A trop me perdre sur ce chemin

A bout de force, sans en voir la fin

Je t'ai trop fait souffrir

Tu ne peux plus que dépérir

Je croyais pas en l'avenir

Tout ça d'vait vraiment mal finir

Un monde radieux, des jours heureux

Rien de tout cela pour nous deux

Un jour tu t'es recroqu'villée

Complètement enfermée

Pour cacher ton désespoir

Et plus jamais me revoir

Derrière un mur blindé

Fils de fer et barbelés

Comment faire pour lutter ?

J'ai baissé les bras, traîné des pieds

A trop me croire un pas grand-chose

Pour toi, pourtant, fallait que j'ose

Te dire le fond d'mon cœur

Trouver le sens du vrai bonheur

Sans toi la vie s'ra qu'un désert

Aride, désséché, mortifère

Ce s'ra le plus mauvais des choix

Un vrai chemin de croix

* Chemin de croix (par Stair)

A la fin de ma lecture, le feuillet glissa sur la table, je relevai la tête et regardai la nuit. Une clarté, vers l'est, annonçait l'aube proche. Comme une nouvelle espérance. Comme cette lumière qu'on attend au creux des heures sombres pour retrouver confiance en l'avenir.

Stair ne disait rien, mais je sentais son regard sur moi. Je finis par tourner la tête vers lui et plonger mon regard dans le sien. Encore une fois - et il y en eut tant et tant ! - je me perdis dans son regard si doux. Je posai mes mains sur ses joues et murmurai :

- Tu avais encore des choses à dire ?

D'un bref mouvement des cils, il acquiesça et tourna légèrement son visage pour embrasser une de mes paumes. Puis il posa sa basse sur la chaise voisine et me fit asseoir sur ses genoux. Je me sentais très émue et ne le quittais pas des yeux.

- Oui, baby, j'avais encore des choses à dire. Comme... Si j'avais voulu solder un dernier compte sur ce passé, ces moments douloureux. Pour qu'ils ne viennent plus nous hanter, nous inquiéter. Pour qu'on regarde désormais totalement vers demain.

- Tu avais l'impression de regarder en arrière encore ? D'être comme... attiré vers ces moments-là ?

- Pas forcément, non. Plus... que j'avais encore des choses à en dire. Et maintenant, c'est fait.

- Tu crois que la chanson plaira aux autres ?

- Peut-être. Et même si elle plaît pas... l'important, c'était que je l'écrive.

Et il m'embrassa tendrement sur ces mots. Je lui rendis son baiser avec ferveur, resserrant mon étreinte autour de ses épaules. J'avais envie de me coller tout contre lui, de lui donner toute ma tendresse pour chasser ces quelques brumes sombres qui remontaient encore, parfois, dans sa mémoire. Alors que moi, je regardais totalement vers demain, avec notre petit qui serait là dans quelques mois. Et je voulais que Stair regarde aussi dans la même direction, sans plus avoir à se retourner. Peut-être que cette chanson était nécessaire, en effet, pour "solder les comptes du passé", comme il le disait, tel qu'il le ressentait.

**

Les yeux fermés, la tête posée sur l'épaule de Stair, je savourais ses lentes caresses, dans mon dos, sur mon ventre arrondi. Nous étions restés ainsi, à profiter d'une fraîcheur bien agréable en cette fin de nuit de plein mois d'août. Nous n'avions pas reparlé, mais nous n'en éprouvions pas le besoin. Je le sentais calme, serein : à n'en pas douter, écrire cette chanson était nécessaire. Et, comme il me l'avait dit aussi, en ce moment, il avait beaucoup d'idées en tête. Il avait notamment retravaillé le slow Pour Jenna, et les arrangements pour La chaise vide, la dernière magnifique et émouvante création de Snoog, dont Jenna et moi avions pu entendre les premières versions. Et sans doute que parmi les feuillets qu'il noircissait régulièrement se trouvaient d'autres enchaînements, d'autres éléments mélodiques, voire d'autres paroles pour de futures chansons.

- Hum... fis-je à un moment alors que j'avais l'impression que j'allais me rendormir.

- Ca va, baby ?

- Oui. Continue, ça me berce.

Je le sentis sourire alors qu'il déposait un baiser dans mes cheveux. Je resserrai mon étreinte autour de sa taille et mon ventre se colla un peu plus contre le sien. Je rouvris alors vivement les yeux. La main de Stair sur mon ventre s'était immobilisée. On se regarda tous les deux, une nouvelle émotion au bord des cils.

- Il a...

- ... bougé, non ?

J'avais commencé une phrase que Stair avait complétée. L'émotion me serrait trop la gorge pour continuer. Je hochai alors la tête. Son sourire se fit plus franc et la pression de sa main se renforça. Un nouveau petit coup lui répondit.

- Génial, fit Stair en plongeant son visage dans mon cou. Juste génial.

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