Chapitre 111 : Dépannage
Stair
Une main me tapa sur l'épaule, je me retournai. C'était Gary, un pote que je n'avais pas vu depuis un bon moment. On s'était croisé, la dernière fois, peu après le concert de soutien avec Maiden.
- Salut Stair, ça va ?
- Salut, Gary. Ouaip, ça va, installe-toi...
J'étais passé ce jour-là au Blue Limon, pour boire un verre. Et parce qu'Ally, sa mère et la mienne avaient entrepris de faire les boutiques pour acheter "tout le nécessaire pour bébé". Deux jours plus tôt, elle avait insisté pour que j'aille avec elle, mais elle était revenue de cette sortie un peu dépitée : je n'avais vraiment, mais vraiment aucune idée de ce qu'il fallait acheter pour un bébé. Et je m'étais contenté de répondre à ses questions de laconiques "oui, c'est bien" ou "si ça te plaît". Et visiblement, c'était loin d'être satisfaisant pour Ally. De retour à l'appartement, elle était entrée dans la chambre d'amis qui devait être transformée de fond en comble pour devenir la chambre de Steve. Elle en avait fait le tour, puis avait soupiré : "Bon, je vais demander aux mamans de m'accompagner, je pense que ce sera plus productif". J'avais acquiescé, bien conscient d'avoir été inutile.
Gary s'assit à ma table, nous échangeâmes quelques mots, puis il se leva pour commander une pinte. A son retour, il me demanda :
- Je pensais que tu étais à Glasgow...
- J'y vais régulièrement, on est en train de peaufiner le live.
- Il sort bientôt, alors ? sourit-il.
- Ouaip. C'est prévu pour décembre, mais je n'ai pas de date précise encore. Ca va être un mois bousculé, ajoutai-je.
- Avec la promo ?
- Pas seulement, souris-je à mon tour. Ally attend un bébé et la naissance aura lieu à peu près au même moment. Va falloir que j'assure...
- Ah ouais ! Cool ! C'est une bonne nouvelle ! J'te félicite...
- Merci.
- Ally va bien ?
- Oui, tout se passe bien. Là, elle est partie faire les boutiques avec nos mères.
- Et toi, tu t'offres un break au pub !
- Exactement. Ca m'fait du bien de revenir ici de temps en temps, j'aime bien.
- Ca te dirait d'y rejouer ?
- Hein ?
- Ouaip, fit-il en ayant un froncement de sourcil soucieux. Le bassiste de mon groupe est malade, un truc un peu sérieux. Et on a un concert de prévu dans dix jours...
- J'ai vu l'affiche, en effet, dis-je en désignant d'un signe de tête le mur sur ma droite. J'pensais venir vous voir jouer...
- On craint qu'il ne soit pas remis et c'est con d'annuler, m'expliqua-t-il.
- J'comprends. Ma foi, pourquoi pas...
Et ce fut ainsi que je me retrouvai au cours des jours suivants à répéter avec son groupe, puis à jouer à nouveau au Blue Limon.
Ally
Quand Stair était rentré ce soir-là, il avait l'air content de sa journée. J'étais satisfaite de la mienne aussi : nous avions trouvé l'essentiel pour meubler la chambre de Steve : lit, armoire, table à langer. Une petite mallette de toilette pour le changer lors des déplacements, des biberons, une poussette... Tout était stocké dans la chambre et mon frère avait promis de venir le lendemain pour aider Stair à monter les meubles. Même si Stair avait exercé beaucoup de petits boulots, je n'étais pas certaine que le bricolage était trop son truc. En revanche, Oliver, mon frère, était très manuel et débrouillard.
- Ca va, baby ? me demanda-t-il en m'enlaçant avant de déposer un baiser sur mon front.
- Oui, on a tout trouvé ! dis-je avec un grand sourire. Et Oliver vient demain pour t'aider à monter les meubles.
- Ok...
- Et toi ? Tu as passé un bon moment au Blue Limon ?
- Yep. J'ai croisé Gary, le pote qui a monté les Calamity Brothers. Il m'a proposé un petit deal.
- Oh ? fis-je curieuse.
- Ouais, son bassiste est gravement malade et ils ont un concert dans dix jours. Il est pas sûr de pouvoir jouer.
- Du coup, Gary t'a proposé de le remplacer ? devinai-je.
- Exactement. Ca m'tente bien.
- Tu connais leurs morceaux ?
- Quelques-uns, mais ça fait un bail que j'les ai pas écoutés. J'ai vu leur affiche en arrivant au Blue Limon et j'pensais qu'on aurait pu y aller.
- C'est une bonne idée ! Sauf que tu seras sur scène.
- Yep. J'vais répéter avec eux. Rendez-vous demain en fin d'après-midi. Ton frère passe à quelle heure ?
- Il vient tout l'après-midi.
- Ok, ça l'fera.
**
J'étais vraiment très heureuse pour Stair qu'il ait cette occasion de rejouer au Blue Limon. Avec les Dark, c'était maintenant impossible. Ou alors, il ne faudrait pas annoncer le concert, réserver la surprise totale aux clients présents. Mais le groupe devrait aussi s'adapter : la scène du Blue Limon était bien trop petite pour que Lynn puisse y caser, désormais, sa batterie. De même, avec deux guitaristes, ce serait serré pour David et Treddy, voire pour Stair, même s'il ne jouait pas du même côté qu'eux.
Oui, j'étais heureuse que Stair y rejoue. C'était vraiment une proposition inattendue de la part de Gary et j'avais bien noté, au cours des derniers jours, qu'il était vraiment content de cette possibilité.
Greg, Clara, Nora et quelques autres amis étaient venus avec moi. C'était vraiment sympa. J'avais eu l'occasion de voir les Calamity Brothers sur scène, une fois, il y avait au moins deux ans. Je pus aisément constater, dès le premier morceau, qu'ils avaient bien progressé.
Passée la surprise de voir Stair, le public se montra vraiment sympa. L'ambiance n'était pas aussi survoltée que pour un concert des Dark Angels, mais elle n'était pas sans rappeler celle de leurs débuts, ici-même. Comme quoi, le Blue Limon faisait non seulement toujours jouer des bons groupes, mais le public demeurait ouvert, curieux et encourageant.
Je ne quittai quasiment pas Stair des yeux de tout le concert, retrouvant avec joie ce plaisir simple de le voir jouer à quelques mètres à peine de moi, dans ce pub chaleureux, sur cette petite scène, comme aux débuts des Dark Angels. C'était vraiment un grand moment de bonheur pour moi et même pour notre petit Steve que je sentais bouger par moments. Je posai alors ma main sur mon ventre, pour lui faire sentir ma présence.
A la fin du concert, Stair reposa sa basse sur son support et sauta de la scène pour me retrouver, comme il le faisait autrefois. Ses bras entourèrent ma taille, ses lèvres se posèrent sur les miennes, puis une de ses mains vint caresser mon ventre rond. Steve redonna un petit coup et nous rompîmes notre baiser en échangeant un sourire ravi.
- Ca va, baby ? me demanda-t-il.
- Oui. C'était chouette ! Je dirais même que c'était super de te voir rejouer là...
- Ouais, c'est vrai. J'ai bien aimé aussi. Ce serait cool de le refaire avec les Dark...
Il prononça ces derniers mots avec un soupçon de nostalgie.
Le public eut la délicatesse de nous laisser dans notre petite bulle. Nous étions aussi bien entourés par notre groupe d'amis et ce fut seulement après avoir échangé un peu avec eux que Stair accepta bien volontiers de signer tous les autographes demandés. Ce fut comme une séance improvisée et cela se déroula dans une ambiance bon enfant. Les musiciens des Calamity Brothers n'étaient pas en reste : tout le monde voulait aussi leur signature à côté de celle de Stair, que ce soit sur un t-shirt, un papier quelconque ou même un prospectus annonçant le concert.
Stair
Je ne m'étais pas attendu à rejouer un jour sur la petite scène du Blue Limon, mais l'idée était vraiment plaisante. Au cours de la semaine précédente, j'avais participé à toutes les répétitions des Calamity Brothers et ça s'était bien passé. Les lignes de basse étaient simples et je les avais vite enrichies, en accord avec les musiciens. Gary, qui avait monté le groupe, était le chanteur et guitariste rythmique. L'autre guitariste était une fille, Stella, qui se débrouillait très bien. Elle aurait pu devenir professionnelle, à mon avis. Et à la batterie, simple, mais efficace, jouait Boris, un gars originaire de Pologne.
Une fois arrivé, je demeurai discret, à l'arrière du pub, avec Gary. Les autres buvaient une pinte après avoir fait les réglages des instruments. Cette pièce n'avait pas changé : le patron y avait placé une petite table, trois chaises. On y trouvait des fûts de bière, des caisses pour transporter des bouteilles, deux grands frigos contenant les provisions pour les sandwichs. L'endroit était calme, comme autrefois. On entendait cependant le brouhaha du pub et je me doutais qu'il y avait du monde. Les Calamity Brothers tournaient bien, ils jouaient du rock, avec une ou deux reprises de grands classiques. Le concert devait durer une bonne heure.
- On y va ? me fit Gary à un moment.
Je relevai la tête : j'avais sorti mon jeu de cartes et fait quelques parties tout en échangeant un peu avec lui. Je n'avais pas l'habitude que quelqu'un me dise "c'est l'heure de monter sur scène". J'étais réglé sur Lynn pour cela, et depuis notre tout premier concert. Je souris à Gary, rangeai mes cartes et nous nous dirigeâmes vers la porte. Il entra le premier, je le suivis, me dirigeant droit vers ma basse. J'avais choisi de jouer avec ma deuxième, la Fender Précision Pro, que j'avais achetée après le Dark Death Tour. J'avais aussi apporté mon premier ampli et c'était amusant de rejouer avec en live, après avoir pris l'habitude des frigos Marshall.
Dès mon arrivée sur la scène, il y eut des murmures et même quelques sifflements plus affirmés. Gary prit aussitôt la parole pour présenter le groupe :
- Bonsoir à toutes et tous ! Ce soir, les Calamity Brothers ne sont pas au complet, notre bassiste est malade... Mais un ami a accepté de le remplacer ! Stair des Dark Angels est avec nous ! Et c'est parti !
Le public applaudit bien fort, quelques cris rejoignirent les sifflements et nous commençâmes à jouer.
Ca pouvait paraître bizarre, mais j'avais le trac. Comme avant une grande scène, comme avant chaque concert. Je ne pouvais pas m'appuyer sur Lynn pour le faire passer, mais je fus cependant bien vite dans le ton. C'était très sympa aussi et je pris grand plaisir à jouer là à nouveau.
Je retrouvai des sensations oubliées, notamment celles d'être très proche du public, de voir les réactions des gens. Ici, pas de spots pour nous en priver, pour nous éblouir, du moins quand on jouait le soir ou que la salle était plongée dans le noir. Le public connaissait le groupe, ses chansons et réagissait bien, reprenant les refrains. Gary, sans avoir la prestance et l'énergie de Snoog, était quand même un bon leader. Stella fit quelques beaux solos et sur une chanson, nous nous permîmes même de nous répondre. C'était chouette, simple, agréable.
Ally et ses amis s'étaient bien placés, à la première table près de la scène, et s'étaient levés dès notre arrivée. Une ou deux fois, elle échangea quelques petits signes complices avec moi, comme elle le faisait du temps de nos débuts. Et, à quelques reprises, je la surpris à passer sa main sur son ventre arrondi. Sa robe moulait magnifiquement ses formes et je me sentis alors très heureux de rejouer au Blue Limon.
Pour elle et pour Steve.
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