Chapitre 112 : Victoire !
Stair
- Il n'en est pas question.
Snoog venait d'asséner à voix haute notre avis à tous. Nous étions à Londres, avec Gordon et Julian, face aux représentants de la maison de disques. Et le moins que l'on pouvait dire, c'était que nous n'étions pas d'accord avec leur dernière suggestion. Mais vraiment pas d'accord du tout.
Lynn avait accompagné les mots de Snoog d'un froncement de sourcils des plus ombrageux. Treddy et David n'étaient pas en reste. Quant à moi, j'étais prêt à soutenir mon pote, tout en m'attendant à ce que Lynn décoche une flèche bien sentie, bien ajustée.
- Mais, enfin...
- C'est non, intervint Lynn. Pas question de renoncer à cette autre version. Et surtout pas question de la vendre plus cher.
- Mais il y a trois chansons en plus...
- Il n'y a pas trois chansons en plus, dit Treddy.
Il était parvenu à être plus rapide que Snoog et Lynn, ce qui était un vrai exploit. Surtout que la tension avait grimpé encore d'un cran.
- Non, il n'y a pas trois chansons en plus, reprit Treddy. Ce sont les mêmes. Mais avec une version différente. Et c'est un cadeau pour le public. Point barre.
Je levai un sourcil étonné, jetai un coup d'œil à Lynn et constatai que mon pote venait de faire la même chose : pour que Treddy ajoute ce "point barre", c'était qu'il n'était absolument pas prêt à faire la moindre concession sur le sujet. Ce qui était très rare chez lui. En même temps, c'était compréhensible : nous avions décidé, à la toute fin du travail en studio avec Julian, d'ajouter un bonus à l'album. Ou plutôt trois : la version de Wembley de Mort Ghlinne Comhann, celle de Turin pour Children of Freedom et la version du Hellfest de Redemption, celle avec Steve Harris. Comme pour The Trooper, il avait donné son accord. Gordon avait voulu lui faire un contrat, pour qu'il touche quand même un petit pourcentage - même réduit - mais il avait refusé. Ou plutôt, il avait demandé à ce que la somme qui lui serait revenue soit versée à l'association des Papillons Bleus.
Je savais que ce n'étaient pas tant ces versions de Redemption et de Children of Freedom que Treddy défendait ainsi, mais celle de Mort Ghlinne Comhann. Il était peut-être, avec Snoog, celui qui avait le plus mal digéré l'attitude de la maison de disques, lorsque nous avions travaillé sur le deuxième album et que les relous d'en face avaient refusé qu'elle soit enregistrée. Même si, à l'époque, Treddy s'était montré conciliant et qu'il appréciait beaucoup le fait que la chanson maudite soit devenue un hymne et qu'en Ecosse, elle soit la chanson la plus écoutée et jouée après quelques airs traditionnels. Et là, ils voulaient à nouveau priver notre public d'une autre version de cette chanson.
- Le choix du groupe doit être respecté, intervint Gordon. Nous avions donné notre accord pour deux versions de l'album : un double cd, reprenant l'essentiel du concert de Wembley avec quelques modifications et une version de luxe avec le livret et les photos. Que cette version soit plus chère est normale et chacun le comprend : il y a l'impression du livret, le travail de Speedy à payer également.
- Et faut pas oublier qu'Ally a bossé gracieusement dessus, lança Lynn d'un ton mordant. Alors, vous êtes déjà bien gagnants...
- Le choix du groupe est que les chansons soient les mêmes, que l'on achète la version simple ou la version de luxe, poursuivit Gordon, sans relever l'intervention de Lynn. Nous ne reviendrons pas sur ce choix. Il n'y aura pas trois versions au live, seulement deux.
Snoog grogna quelque chose d'incompréhensible. Il se retenait vraiment.
- On arrête là la discussion, dit un des mecs. Réfléchissons chacun de notre côté et nous en reparlons demain.
- C'est d'accord, dit Gordon.
Nous quittâmes tous le bureau où nous nous étions retrouvés en début d'après-midi et ne nous attardâmes pas au siège. A l'entrée nous attendait Andrew qui nous ramena à l'hôtel. Le trajet se fit dans un silence pesant, chacun réfléchissant à la situation.
**
- Ils me les brisent vraiment menu !
Snoog explosa à peine nous avions gagné un des salons privés.
- Ouais, renchérit Lynn, furieux. J'ai pas envie qu'on passe des jours ici à discuter. Hors de question de céder cette fois.
- On est bien d'accord, Lynn, dit Gordon d'une voix à la fois apaisante et ferme. La situation est totalement différente de l'enregistrement du deuxième album. Ils vont céder. Ils n'ont pas le choix.
- En attendant, on poireaute pour rien ici. Sont pas eux qu'ont une gamine qui fait ses dents... Ni une femme sur le point d'accoucher. Stair et moi, on a autre chose à foutre que perdre notre temps à Londres.
J'acquiesçai d'un signe de tête. Même si on était à environ six semaines du terme pour Ally, je reconnaissais que mon pote avait raison : moi aussi, je préférerais ne pas m'attarder à Londres, surtout à cause de ce genre de connerie.
- Ils avaient convenu de sortir le disque avant les Fêtes, poursuivit Gordon. C'est écrit noir sur blanc. Vous deviez terminer la maquette mi-octobre, de même pour le choix des photos, de la pochette et le livret.
- Ils l'ont à peine regardé, dit David d'un ton triste. Avec tout le boulot que ça a donné à Speedy et à Ally...
- On s'en tape qu'ils l'aient pas regardé, dit Snoog. Bien fait pour leur gueule. Il est vraiment temps qu'on se casse. Au fait, quelqu'un veut une bière ? M'ont donné soif, ces connards...
- Tope là, fit David pour nous tous.
Snoog fila au bar passer la commande. Lorsqu'il revint, suivi d'une serveuse qui portait un plateau garni, il nous trouva à discuter de la meilleure façon de contre-attaquer. Gordon avait la convention entre les mains, celle qui stipulait les points importants de la publication de l'album live, points qu'il venait de rappeler. Les relous voulaient qu'on sorte trois versions du live : une simple, une avec les bonus - qu'ils voulaient vendre plus cher, évidemment - et la version de luxe avec le livret. Mais nous n'étions pas d'accord et voulions seulement deux versions : celle avec les bonus au même prix qu'un double cd pour un live, et celle avec le livret. Point barre, comme avait dit Treddy. Et comme renchérissait Snoog, on commençait vraiment à en souper de leurs exigences et surtout qu'ils se fassent du fric sur notre dos et sur celui du public.
De ce que nous expliquait Gordon, la maison de disques devrait en effet céder. Le contrat ne mentionnait que deux versions et rien ne précisait que le prix de la version simple devait être plus élevé qu'un double cd classique. Et nous avions toute latitude, là aussi, c'était écrit noir sur blanc, pour le choix des chansons, voire celui des versions que nous voulions retenir pour l'album. Le choix, cela avait signifié dans l'esprit des relous, qu'ils nous permettaient enfin de graver Mort Ghlinne Comhann, espérant aussi que le succès de cette chanson favoriserait la vente du disque. Eux parlaient gros sous, nous, choix artistique et cadeau pour les fans. On était vraiment sur deux planètes différentes.
Ally
Sans rentrer dans les détails, car j'avais vite soupçonné qu'il ne voulait pas me stresser, Stair m'annonça deux jours plus tard que prévu que l'accord avait été trouvé avec la maison de disques. L'album serait le même entre les deux versions, et il y en aurait bien une de luxe, celle à laquelle nous avions participé, Speedy et moi. Gordon avait dû cependant insister, il me le confierait par la suite, pour que mon nom y figure pour la réalisation du livret. Quand j'étais venue à Glasgow au cours de l'été, il avait voulu me faire un contrat, ce que j'avais refusé, arguant que ce serait un plaisir pour moi, que ça me permettait de poursuivre moi aussi l'aventure de la tournée et que je m'étais engagée auprès de Speedy pour l'aider.
Dès le lendemain, Stair était de retour à Manchester. Avec Lynn et Andrew qui s'arrêtèrent chez nous le temps d'une soirée, avant de repartir pour Glasgow. Nous étions tous attablés et discutions avec animation de leur négociation.
- Vous avez vraiment assuré, les gars, dit Andrew, pour les disques. Chapeau.
- On les a eus à l'usure, fit Lynn avec un sourire mordant. Gordon a balancé l'artillerie lourde. Menace de procès, avocats etc... pour non-respect du contrat.
- C'est toi qui as enfoncé le clou, dit Stair. En leur disant que s'ils refusaient, on arrêtait là et que le live sortirait sous un autre label.
- La tronche du mec en face quand j'ai balancé ça. J'ai cru qu'il allait tomber dans les pommes.
- Ils ont compris qu'ils avaient été vraiment trop loin et que ça ne servirait à rien de tirer sur la corde.
- Tu crois qu'ils se doutent qu'on va se casser ?
- Après ce coup-là, j'pense que s'ils sont pas trop cons, ils vont vraiment le comprendre.
- Vous n'avez encore rien laissé filtrer ? demandai-je tout en suivant avec intérêt leur échange.
Je devais bien reconnaître que même si Stair s'était montré rassurant, j'avais aussi beaucoup repensé à l'enregistrement de Dark Death et à l'atmosphère pesante dans laquelle le groupe avait travaillé.
- Rien, dit Lynn. Mais plus ça va, plus on y pense sérieusement. On en reparlera dans quelques temps. D'ici là, il y a autre chose à faire et à vivre.
Il avait ajouté cela en me regardant avec un léger sourire. Oui, bien sûr, nous avions autre chose à vivre... Lui, Jenna et Thilia. Stair, moi et... Steve. Nous n'avions pas voulu révéler le choix du prénom de notre petit bonhomme, comme nos amis nous avaient eux aussi caché celui de Thilia. C'était de bonne guerre. En revanche, ils savaient tous que ce serait un garçon. J'avais été incapable de garder le secret, tant vis-à-vis de notre famille que de nos amis.
- Et après, ça fera du bien de se poser aussi, dit Stair. Quand j'vois ta tête certains matins, j'm'attends à faire la même dans quelques semaines.
- Jenna m'a dit que ça allait. Thilia dort mieux, maintenant, fis-je.
- Ouais, sauf quand elle fait ses dents. Vivement que ça s'termine. En plus, pour chacune, elle est enrhumée, je te dis pas le tableau... M'enfin, à côté, elle est toute belle.
Lynn avait dit cela avec un grand sourire. Mouais. Il n'y avait pas que Snoog à être gaga de Thilia : lui aussi, et c'était franchement craquant. Le surnom de "gros nounours" dont Snoog l'affublait parfois lui allait vraiment très bien.

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