Dans cet antre, à l'abri de l’orage, Morgan et notre hôte se lancent dans une partie de cartes. Tellement concentrés, ils n’ont pas réalisé que de mon côté je me suis jeté à corps perdu dans mon activité préférée, le dessin. Comment pourraient-ils le savoir ? Après tout, je ne me suis pas épanché sur le sujet. Au vue des derniers jours, nous avions eu bien mieux à faire avec mon ami que confier un peu de nos passions. Notre survie était notre priorité.

Dans ce phare, nous pouvons enfin souffler et vaquer à des occupations plus légères. J'ai bien conscience que nous ne pouvons pas rester là ad viternam. Je n’ai plus de nouvelles de Victor et cette situation me pèse. J'erre depuis trop longtemps dans ce monde parallèle, qu’en est-il pour lui ? Peut-être que j’affabule ? Tout semble pourtant si réel.

J'attrape sur la table un morceau de papier et la plume qui se trouve juste à sa droite dans l’encrier. Je n’ai jamais utilisé cette technique, cette idée me plaît. Des milliers d'idées me traversent l'esprit, tant d'images me reviennent en tête. Du moment où j’ai mis les pieds sur le Pearl jusqu’à l'instant où nous avons échoué sur cette île pour finir notre course à l’abri dans ce phare.

Si Morgan doit prendre forme dans une de mes histoires, il aura les traits d'un dauphin, libre et surfant sur les mers. Le capitaine, derrière sa force et son courage, se métamorphosera en un requin blanc. Pour nos ennemis du jours, sur le papier, ils se transformeront en une bande de méduses. Pour finir, notre gardien de phare devient un grand duc au regard perçant, guettant le moindre danger.

Le temps file à moins qu’une fois de plus je l’ai égaré dans les traces de mon croquis et la voix de Morgan me rappelle à l'ordre.

• Samy, il est l’heure d'aller prendre place dans notre couchette, nous avons bien mérité de profiter d’une nuit sans cauchemars.
• Tu as raison, qui a gagné au final ?
• Notre hôte est bien trop rusé, je me suis incliné à la quatrième manche.
• Mais quelle heure est-il ?
• Une heure du matin. L'orage s'est calmé, le gardien en a profité pour se reposer. D'après lui, nous devrions être au calme pour quelques heures aussi filons trouver la douceur d'une paillasse.

Dans l'étage du dessous, deux pièces encadrent une troisième plus petite pour les commodités, un luxe pour l’époque. Nous poussons la porte et découvrons une chambre avec deux lits superposés, une table et deux chaises. Au dessus, un tableau est accroché au-dessus d'une étagère où des bouquins ont trouvé leur place encadrés par des serres-livres l’un représentant Poséidon et l'autre une sirène. C'est étrange, il me semble avoir déjà vu cette toile il n’y a pas longtemps mais pas moyen de me souvenir où.

• En haut ou en bas ? me demande Morgan.
• Comme tu veux.
• Je choisis le rez-de-chaussée.
• Parfait, la tête dans les nuages me convient.
• Tu penses que nous retrouverons le Pearl, me chuchote-t-il tout à coup inquiet.
• Je ne sais pas, soupiré-je, mais plutôt que de nous faire des nœuds au cerveau, laissons-le souffler.
• Tu es toujours aussi optimiste.
• On va dire que ma mère m’a appris à relativiser et qu’il n'y a que les démons se nourrissent de nos angoisses alors pas la peine de leur offrir ces mets sur un plateau d'argent.
• Tu es bien le fils d’Anne Bonny.
• Si tu le dis, répondis-je en ne voulant pas le contrarié.
• Bonne nuit Sammy.
• Bonne nuit Morgan

Je ferme les yeux, ravis de pouvoir enfin souffler et laisser mes dernières pensées s'envoler vers mon bien aimé.