Chap 48 : Jamais ou toujours (Victor)
Une semaine c’est long, un temps considérable pour un novice qui fait ses premiers pas sur un bateau. En quelques jours, j’ai appris les joies du vélo au cours d’un voyage de Paris à La Rochelle, j’ai découvert un pan de ma vie, recollé les pièces d'une famille disloquée et qui aujourd'hui se reconstruit à son tour au gré des vents. Je n’ai jamais eu peur de me lancer et j'ai toujours accepté de me relever quelques soient les égratignures. La vie en mer ne doit pas être si compliquée.
La vie de mousse à bord d’un vaisseau pirate s'apparente à une croisière de plaisance. Foutaise, quel bonimenteur, je fais, quel arnaqueur je suis. Je tiens sur le pont en funambule, le moindre écart, je tombe de ma bulle. Jamais, je n'aurai pensé avoir le mal de mer. À la fête foraine, je fanfaronne toujours en grimpant sur le pire des manèges au grand dam de Samy. Tête en bas, pieds dans le vide, je m'éclate et sans conteste j’en abuse sous le regard médusé de mon compagnon. Depuis sept jours, je fais moins le malin sur ce trois mâts. Je me tiens à carreau quand la houle me bouscule et que j'échappe les seaux d’eau. Je suis un vrai lourdeau, un éléphant dans un magasin de porcelaine. À mes côtés, Jules se métamorphose en ouistiti.
Le fils de la capitaine passe de bâbord à tribord de façon déconcertante. Quelque soit les soubresauts de la mer, jamais il ne finit par terre. Encore hier, j'étais prêt à me jeter dans l'océan pensant qu’il allait passer par-dessus bord pour rejoindre les dauphins qui ont croisé notre route. Le petit filou retombe toujours sur ses pattes et moi je manque à chacun de ses exploits de me briser le cou. Pas d'arnica à l’infirmerie pour soulager les bleus, juste un onguent au doux parfum mielleux. Le médecin de bord doit déjà connaître chaque partie de mon corps, jamais je ne me suis autant cogné sous le regard amusé de Anne et de son fils.
En attendant, le spectacle des mammifères marins était somptueux. Leur saut coordonné ressemblait à un balai aquatique, improvisé pour l’admirateur silencieux que je devenais au coucher du soleil.
J'imagine, Samy appuyé sur la rambarde à les observer. En deux coups de crayons, il aurait esquissé plusieurs planches à dessin et une histoire serait née de ses mains agiles et de ses doigts fins. Ses caresses me manquent terriblement. Le contact chaud de sa peau sur la mienne gelée serait un doux plaisir. Pour l'heure, je partage la cabine de Jules. Dans mon hamac, je m’endors avec l’espoir de retrouver mon bien aimé. Jamais il ne m’a tant manqué, il est toujours ce souffle apaisé dans mes nuits agitées.
Chaque soir à la lune naissante, je guette les étoiles et pose dans les filantes, le doux vœu de croiser le regard de celui qui fait tambouriner mon cœur. La nuit dernière, dans un halo de lumière, il m’a semblé apercevoir son sourire. Perdu dans mes pensées, je rêvais au moment où je pourrais l’enlacer. La main ferme sur mon épaule de la maîtresse des lieux m’a ramené à la réalité. Celle qui d'un coup me fait douter.
Pourtant, je ne saurais expliquer ce que je ressens au plus profond de moi, un petit truc qui me rappelle que mon étoile du berger se cache dans le regard du dragon. Il n’y a pas de doute, où qu’il soit ma boussole interne le retrouvera. Quelque soit le temps qui s'écoule, les kilomètres, jamais au grand jamais je n'abandonnerai.
Il ne faut jamais dire jamais, m'a chuchoté à l’oreille Jules en ce petit matin et ajouté toujours sera le plus beau des lendemains en précisant avec la candeur de son âge dans toujours il y a tout ce dont nous rêvons chaque jour. Je l'ai remercié en le serrant dans mes bras avant de lui raconter un début d’histoire que j'avais griffonnée au dos d’un parchemin.
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