Chap 54 : Patienter (Victor)

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Assis au chevet de mon dragon, je veille sur son sourire. Depuis nos retrouvailles sur la plage et son sauvetage, mon souffle s’est calé sur les rythmes des battements de son pouls. Le médecin de bord nous a rejoints dans le phare pour prodiguer les soins nécessaires à sa guérison. Selon ses dires, avec un peu de patience et beaucoup d'attention, le moussaillon devrait retrouver du poil de la bête.


J’ai observé le chirurgien œuvrer pour extraire le morceau de sabre dans son épaule. J’ai eu la nausée quand une giclée de sang s'est écrasée sur ma joue là où sa bouche vient déposer des baisers tendres. Puis j’ai constaté avec soulagement qu’il ne faisait pas n’importe quoi dans le seul but de sauver le fils d’Anne Bony mais avant tout mon chéri.


Le pirate prend toutes les précautions pour recoudre le bras meurtri. Jules et Morgan jouent leur rôle d'infirmier avec un grand sérieux. Le plus jeune est chargé de maintenir l'eau bouillante et le second d'attiser les braises dans lesquelles il dépose l'aiguille pour rapiécer le corps de mon cher Samy. Je tremble à l'idée qu’il se réveille d'un coup.


Anne, debout devant la fenêtre, surveille l’horizon, le vaisseau ennemi a été mis à sac après un abordage qui des dires de la capitaine fut sanglant. À présent, le bateau est sien et son équipage à ses ordres. Un message venait ainsi d’être passé. Le prochain qui toucherait un seul cheveux de ses fils serait relégué par les fonds.
Forte et fière, sa carapace se fissure en découvrant le corps de son fils, inconscient. Elle retint ses larmes devant ses hommes et son deuxième garçon. J’admire le courage de cette femme, prête à se saigner pour chaque membre de son équipage et ses enfants bien aimés.


Le chirurgien des mers, ainsi l’ai-je surnommé, pose le dernier point de suture avec un joli fil doré. L’homme me conseille d'être attentif au moindre changement de couleur de son patient. Ce dernier commentaire ne me rassure point.
Après une nuit complète à surveiller le corps de mon cher et tendre, à nettoyer sa plaie et retirer les dernières traces de sang, Anne me somme d'aller me reposer. Elle souhaite prendre le prochain tour de garde. Le moussaillon allongé sur la paillasse est notre trésor et il a besoin de chacun de nous pour lutter. La bataille serait rude.


À contre-coeur, je sors de la pièce après avoir posé mes lèvres sur sa bouche. Un dernier regard sur sa poitrine qui se soulève et je me dirige vers la sortie. Je laisse échapper un soupir quand pour la première fois je découvre Anne les mains enfouies dans son visage. Je suppose qu’elle voulait se trouver seule avec son fils pour abandonner son torrent d'affection sur le coin de l’oreiller.


Je ferme doucement la porte pour laisser ces deux êtres fragiles se retrouver et file retrouver la couchette du bas, celle où Samy a passé la dernière nuit à l’abri.

  • Victor, tout va bien ? murmure Morgan.
  • Oui, il semble que pour l'heure il faille attendre que le dieu des océans prennent soin de son dragon des mers. Et puis Anne m’a ordonné d’aller dormir.
  • Samy est le marin le plus courageux que je connaisse, insiste-t-il. Il m’a sauvé la vie.
  • Comme il a pris soin de sauver la mienne, soufflé-je éreinté.
  • Il m’a tant parlé de toi, poursuis mon compagnon de galère. Dans sa bouche, l'amour devenait magique.

Je remercie l’obscurité qui nous enveloppe et emporte avec elle mes larmes. Mon dragon est mon tout et le savoir au bord du précipice me bouleverse. Il a ouvert ses ailes quand je m'égarais, le perdre serait mon prochain calvaire. Hors de question même un instant d’envisager le pire parce qu'au plus profond de mon être meurtri, je peux sentir son souffle sur mon âme blessée.


J'entends la respiration de mon voisin de chambrée, elle est plus lente et régulière, signe qu’il a rejoint les bras de Morphée. Mes mains saisissent l’oreiller, le ramènent vers ma poitrine. Calé contre mon torse, je le serre fort, à la recherche de réconfort.
Mes pensées s'envolent vers La Rochelle, là où notre histoire est née. Je revois Samy adossé sur le banc.

Mon croqueur d'instantanés observe les goélands dans le sillage d’un bateau en route pour pêcher. Ses doigts s’animent sur le papier et de nouveaux personnages prennent vie.


Mon artiste est tellement beau quand plongé dans son monde de création, il sublime les petits riens du quotidien. Dans son imaginaire, je nourris ma plume. Dans son regard, je m'abreuve de son amour. Aussi le savoir, dans la pièce adjacente, lutter dans un univers où je ne suis pas, aiguise cette colère qu’il est le seul à pouvoir apaiser.

  • Victor, je peux m'allonger à tes côtés pour dormir ? chuchote une petite voix, maman ne veut pas que je reste dans ses pattes à bouger dans tous les sens.
  • Oui Jules, tu peux, le rassuré-je.

Sans le vouloir, il vient de lever un poids bien trop lourd à porter seul. Sa tête se cale sur mon épaule. La lune sortit de derrière les nuages baigne la pièce d’un doux halo.

  • Chante-moi une berceuse, me demande Jules.


La première qui me vient aussitôt est au Clair de la Lune mon ami Pierrot. Après le premier couplet, le petit ouistiti sombre au pays des rêves. À mon tour de l’accompagner, la fatigue a eu raison de moi.

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