Chapitre 2
Le visage d’Élina hante ses pensées. Pas le visage calme de la psychologue, non. Celui d’autrefois. Celui de la petite qu’elle poussait dans les escaliers, qu’elle accusait de vol, qu’elle enfermait dans le placard à balais. Cette petite bouche toujours muette. Ces yeux qui avalaient tout. Qui enregistraient tout.suite , vengeance . elle
Le Le visage d’Élina hante ses pensées. Pas le visage calme de la psychologue, non. Celui d’autrefois. Celui de la petite qu’elle poussait dans les escaliers, qu’elle accusait de vol, qu’elle enfermait dans le placard à balais. Cette petite bouche toujours muette. Ces yeux qui avalaient tout. Qui enregistraient tout.
Elle croyait qu’Élina était morte dans son silence. Mais non. Elle a survécu. Et elle s’est nourrie.
Désormais, c’est Jeanne qui vit dans la peur.
La première fois, ce n’était qu’un bruit. Des pas dans son appartement alors qu’elle était seule.
La deuxième fois, c’était un message vocal : un silence lourd, étouffé… suivi d’un petit rire d’enfant.
Puis les objets ont commencé à changer de place. Une photo renversée. Un miroir brisé. Des mots écrits à la craie sur le mur de la cuisine :
"Tu crois toujours que les enfants ne cassent pas ?"
Jeanne a crié. Elle a fui l’appartement. Mais ailleurs, c’est pareil. Les cauchemars la suivent. Elle rêve de la pièce où elle enfermait Élina. D’un rire dans l’obscurité. D’une petite fille dont les yeux deviennent noirs comme l’encre.
Elle retourne voir Élina. Supplie pour une nouvelle séance.
Élina l’accueille. Même sourire. Même calme. Rien ne filtre. Elle note, comme avant. Écoute. Hoche la tête. Et parfois, elle glisse une phrase, presque imperceptible :
— Le passé a une mémoire plus longue que les victimes.
Ou bien :
— Les enfants qu’on brise finissent par recoller les morceaux. Tranchants.
Jeanne tremble. Elle s’excuse. Mais ses excuses tombent dans le vide. Ce ne sont que des mots. Elle le sait. Élina veut plus que des mots.
Une nuit, Jeanne se réveille enfermée.
Une pièce sans fenêtres. Une lampe grésillante. Des murs capitonnés.
Un magnétophone joue une comptine. C’est la voix d’une enfant. Élina, à sept ans. Une cassette retrouvée dans les archives de l’orphelinat, où elle récitait un poème pour la fête de fin d’année.
"J’existe pas mais j’suis là.
Je souris quand tu crois que j’ai froid.
J’attends qu’un jour on me voie."
Elle hurle. Elle gratte la porte. Personne ne vient.
Quand elle s’évanouit, la lumière s’éteint.
Quand elle se réveille, elle est chez elle. Le salon est propre. Rien n’a bougé. Sauf le magnétophone.
Elle se demande si elle est folle.
Mais dans sa poche, un petit mot, écrit en lettres d’enfant :
"Tu veux jouer encore, Jeanne ?"
Les jours suivants sont pires.
Chaque miroir reflète un morceau d’elle-même qui se désintègre. Son reflet rit parfois. Autre chose habite ses rêves. Un esprit d’enfant abandonnée, déformé par la souffrance.
Et Élina ? Elle continue de jouer son rôle. Toujours calme. Toujours là.
Mais un soir, elle lui dit :
— Tu sais ce qui est pire que la peur, Jeanne ?
— Quoi ? murmure-t-elle, hagarde.
— L’attente de la peur.
Puis elle referme la porte du cabinet.
Jeanne s’effondre peu à peu. Elle parle seule dans la rue. Perçoit des ombres qui ne sont pas là. Elle commence à griffonner dans des carnets des mots qu’elle ne comprend plus. Parfois même son propre nom lui échappe. Elle rêve qu’elle a sept ans, et qu’elle supplie Élina de la laisser sortir.
Mais Élina, cette fois, ne répond pas.
Elle observe de loin. Elle attend que Jeanne tombe tout à fait. Qu’elle comprenne.
Et alors, seulement alors…
Elle décidera si elle mérite de sortir du placard.
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