Chapitre 4

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Le vent glacial s’engouffrait entre les vieilles fenêtres aux cadres écaillés de la maison.
Une bâtisse ancienne, perdue au bout d’une ruelle étroite, bordée de pavés irréguliers recouverts d’un tapis brun et jaune de feuilles mortes. Le parfum âcre de la fumée de cheminée se mêlait au moisi du bois pourri, flottant dans l’air humide du soir.

À l’intérieur, la lumière était faible, tamisée par des rideaux lourds et décolorés. L’horloge à balancier résonnait d’un tic-tac lent et pesant, comme le battement d’un cœur oppressé. Les meubles, sombres et anciens, semblaient absorber chaque bruit, chaque soupir.

Élina, à sept ans, était recroquevillée dans un coin du salon. Sa petite silhouette tremblait, serrée dans un pull trop grand, élimé, taché de terre séchée. Ses yeux verts, pourtant brillants d’une étrange lucidité, fuyaient les regards. Le silence pesant était brisé par les éclats de voix de ses frères et sœurs adoptifs.


« T’as rien à faire ici ! » hurla Jeanne, la voix chargée de haine. Elle attrapa Élina par le bras, tirant avec brutalité la fillette vers elle.
— Sale petite peste, tu pues la peur et la misère. Tu ne mérites pas cette maison.
Les autres se joignirent aux insultes, leur moquerie ricaneuse emplissant la pièce.

Un coup, puis un autre, des gifles claquèrent contre le visage d’Élina. Elle essaya de se protéger, en vain. Jeanne la repoussa violemment contre le mur, où un tableau poussiéreux tomba avec un bruit sourd. Un filet de sang perla à la commissure de ses lèvres tremblantes.

Un crachat, humide et amer, vint s’écraser sur sa joue.
— Regarde-toi, misérable.


À l’école, les moqueries ne cessaient pas. Deux camarades, sous les rires étouffés des autres, la traînèrent vers les toilettes. Sans un mot, ils l’enfermèrent dans une cabine et l’y maintinrent la tête plongée dans la cuvette froide, un goût métallique et nauséabond envahissant sa bouche.
Elle toussa, luttant contre la panique et la suffocation, sentant ses cheveux trempés se coller à son visage. Lorsqu’ils la relâchèrent enfin, elle tituba, son corps frissonnant, une honte cuisante l’écrasant.


De retour à la maison, la violence continuait. Ses frères et sœurs s’acharnaient sur elle avec des mots et des coups, un chœur de haine incessant. Ils la bousculaient dans les escaliers, lui arrachaient ses vêtements, la laissaient seule dans le noir.

— Tu ne vaux rien, Élina. Tu ne seras jamais aimée.

Seul le père, parfois, levait la voix contre eux. Sa silhouette massive et ombragée apparaissait alors, une main puissante se posant sur l’épaule de la petite fille, la tirant hors des griffes de la cruauté.
— Laissez-la tranquille. Sa voix était grave, mais fatiguée, comme celle d’un homme battu par la vie.

La mère, quant à elle, s’enfermait dans un silence lourd de dépression. Son regard vide errait dans la maison, détaché, perdu dans un abîme d’oubli. Parfois, elle sanglotait doucement dans sa chambre, une odeur fade de médicaments flottant autour d’elle.


La chambre d’Élina était un réduit froid et étroit. Le papier peint déchiré laissait apparaître un mur grisâtre, rugueux. Une vieille poupée, cassée, traînait sur le sol poussiéreux. Le matelas mince semblait à peine plus confortable qu’une pierre. Chaque soir, elle se glissait sous une couverture râpée, serrant fort contre elle le peu de chaleur qu’elle pouvait trouver.

Les nuits étaient longues, hantées par des cauchemars d’abandon et de cris, réveillée parfois par des bruits étouffés dans le couloir. Elle écoutait alors, le souffle court, espérant que cette fois serait la dernière.


Le présent — Vingt ans plus tard, dans son bureau aux murs couverts de diplômes et de livres, Élina observait une nouvelle patiente. Derrière ses lunettes, son regard était froid, calculateur, mais une ombre d’anciennes blessures passait furtivement dans ses yeux.

L’odeur de café fort et de cire d’abeille flottait dans la pièce, mêlée au tic-tac régulier de l’horloge murale. Le calme apparent dissimulait la tempête intérieure qui l’animait.

— Je veux qu’ils souffrent comme moi j’ai souffert, murmurait-elle souvent, sans que personne ne l’entende vraiment.

Elle feuilletait un vieux carnet usé, où chaque page racontait un souvenir de douleur, de peur, mais aussi de promesses de vengeance.


Un soir, sous la pluie fine, Élina se tenait seule dans le jardin de la maison d’enfance. L’odeur de terre mouillée et de feuilles en décomposition emplissait l’air, tandis qu’une lumière blafarde filtrait à travers les branches d’un vieux chêne.

Les cris de la maison s’étaient tus, remplacés par le murmure du vent. Elle essuya une larme, silencieuse, et fit une promesse : plus jamais elle ne serait victime.

Elle serait celle qui ferait payer.


La nuit tombait sur la ville.
Dans le silence, Élina préparait, pas à pas, le froid mécanisme de sa revanche.


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