Chapitre 5

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L’appartement de Jeanne était plongé dans un silence lourd, presque étouffant. Les rideaux de velours cramoisi, autrefois somptueux, pendaient désormais en lambeaux, décolorés par les années et les rayons blafards du soleil de l’après-midi. Le papier peint à motifs floraux, craquelé par endroits, semblait mourir sous la poussière qui s’accumulait sur les cadres des photos anciennes. L’odeur entêtante de moisi et de bois vieilli flottait dans l’air, mêlée à un relent fade de café froid que Jeanne avait oublié sur la table.

Un léger grincement de parquet sous ses pieds, un souffle de vent s’engouffrant dans la fenêtre mal fermée, un murmure lointain de voix dans la rue — tout cela amplifiait son sentiment d’enfermement.

Jeanne regarda son téléphone, posé sur la table basse, et sursauta. L’écran s’allumait sans cesse, des dizaines de notifications clignotantes inondaient l’écran : des SMS, des mails, des messages instantanés, tous venus de numéros inconnus.
Elle frissonna. Les messages se succédaient, froids et implacables, comme des poignards invisibles plantés dans son esprit :
« Je n’oublie rien, Jeanne. »
« Tu fuiras, mais je te retrouverai. »
« Ton frère, son bébé... personne ne sera épargné. »

Sa respiration se fit rapide et saccadée. Elle attrapa le téléphone, effaça les messages d’un geste nerveux, mais aussitôt, de nouveaux arrivaient, inlassablement. Le bruit des notifications ressemblait désormais au martèlement insidieux d’une pluie battante contre les vitres, incessante, implacable.


Dans un élan de panique, Jeanne décrocha le combiné et composa le numéro d’Élina.
Sa voix tremblait, chancelante.

— « Élina... s’il te plaît... arrête. Je sais que j’ai été horrible avec toi, mais je ne peux plus supporter ça. Tu dois me laisser tranquille. »

Un silence pesant, ponctué par le souffle régulier de la respiration d’Élina à l’autre bout du fil.

Puis, d’une voix douce mais glaciale :

— « Et ton frère ? Comment va son bébé, Jeanne ? »

Jeanne blêmit, une sueur froide lui coulant dans le dos.

— « Comment tu sais ça ? Je t’en supplie, ne leur fais pas de mal. Frappe-moi uniquement moi. »

Un rire sec, dénué d’émotion.

— « Personne n’échappera, Jeanne. Tous doivent payer. »


La pluie battait les pavés alors que Jeanne s’aventurait dans les rues sombres et glissantes. La ville semblait s’effacer sous le voile grisâtre de la nuit naissante. Les réverbères clignotaient, projetant des halos tremblants sur les murs décrépis des immeubles.

Son manteau collait à sa peau humide tandis qu’elle pressait le pas, un frisson lui creusant l’échine. Elle sentit soudain une présence, un souffle glacé dans son dos.

Sans crier gare, un homme en capuche, le visage dissimulé derrière un masque blanc sans expression, surgit de l’ombre. Il la saisit brutalement, l’entraînant dans une ruelle étroite où l’air stagnait, chargé d’odeurs de déchets en décomposition et de renfermé.

— « Tu ne peux pas fuir, Jeanne... » murmura-t-il.

Il sortit une lame, et d’un geste précis, entailla la paume de sa main gantée. Le sang chaud coula, brûlant sur sa peau glacée. Jeanne sentit sa respiration se bloquer, sa gorge se nouer.

— « Ce n’est qu’un début... »

L’homme disparut aussi vite qu’il était apparu, se fondant dans la nuit comme un spectre.



Tremblante, Jeanne se précipita vers le commissariat le plus proche. Le bâtiment, une vieille bâtisse en pierre grise, exhalait une odeur mêlée de métal froid et de vieux papiers. Le néon défaillant à l’entrée bourdonnait, jetant une lumière blafarde sur le sol carrelé.

À l’intérieur, le brouhaha d’une journée de travail s’était tu. L’atmosphère était chargée de relents de café amer et de sueur nerveuse. Jeanne, le visage blême, expliqua son histoire d’une voix tremblante, enrouée par la peur.

— « Un homme... masqué... il m’a coupé la main... je vous en prie... aidez-moi. »

Les policiers échangèrent des regards sceptiques. Un des agents, un homme au visage buriné, aux yeux perçants, prit la parole.

— « Madame, ce genre d’histoire est sérieuse, mais il n’y a aucun signalement d’agression similaire dans la zone. Vous êtes sûre que ce n’est pas un cauchemar ? Le stress, ça joue des tours. »

Jeanne balbutia, le désespoir se lisant dans ses yeux.
Puis la porte s’ouvrit brusquement, et Élina entra, sa présence coupant l’air comme un glaive.

Son regard froid balaya Jeanne d’un air méprisant.

— « Jeanne, encore en train de créer des drames ? Tu exagères, comme toujours. »

Les policiers, reconnaissant Élina comme l’une des psychologues les plus réputées de la région, lui accordèrent toute leur attention.

— « Élina, vous la connaissez ? » demanda le chef d’équipe.

— « Oui, je l’ai suivie. Elle est très anxieuse, très fragile. Je pense qu’elle confond réalité et paranoïa. »

Jeanne sentit la pièce se refermer autour d’elle. Les regards complices des policiers semblaient la condamner silencieusement.

— « Elle a besoin d’aide, pas d’empathie pour ses fantômes, » conclut Élina d’une voix glaciale.

Une boule d’angoisse monta dans la poitrine de Jeanne. Elle tourna les talons, la gorge serrée, et sortit sous la pluie battante. Le bruit des gouttes martelant le trottoir résonnait comme un glas.


Sur le chemin du retour, Jeanne croisa un jeune homme au visage tendre, enveloppé d’un blouson trop grand. Ses yeux trahissaient l’inquiétude.

— « Madame, vous allez bien ? »

Mais Jeanne, submergée, ne répondit pas. La peur avait creusé un fossé entre elle et le monde entier.

De retour chez elle, elle ferma à double tour les vieilles portes grinçantes, tira les rideaux lourds et s’installa dans l’obscurité, guettant le moindre bruit. Chaque craquement, chaque souffle de vent semblait porter la menace d’un nouveau cauchemar.

Le silence devint un poids, les ombres dansaient aux murs comme des menaces vivantes. Elle se sentait traquée, enfermée dans un piège sans issue, rongée par une peur rampante

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