Chapitre 7

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Le matin s'étira lentement sur la ville, étouffé sous un ciel gris, à peine strié de lumière. Elina marchait d'un pas net, ordonné, ses bottines résonnant sur les pavés humides. Elle ne portait pas de sac. Un manteau noir ajusté, les cheveux soigneusement lissés, et dans sa main droite, un petit sac opaque contenant six cartes SIM prépayées. Aucune n'était encore activée.

Elle les acheta dans trois boutiques différentes. Une habitude. Ne jamais en prendre deux au même endroit. Ne jamais répéter le même trajet.

« La précision est la clé », pensa-t-elle.

Son cabinet se situait au quatrième étage d'un immeuble haussmannien. Un parquet ciré, des murs taupe, une bibliothèque au bois foncé, un diffuseur d'huiles essentielles aux notes de cèdre et d'orange douce. La lumière naturelle filtrait à travers de longs voilages beiges.

9h00. Premier patient.

Théo, 16 ans, s'assit en face d'elle. Son regard était fuyant, ses mains moites serrant les bretelles de son sac.

— Bonjour Théo, dit-elle doucement. Tu veux qu'on parle de ce qu'il s'est passé au collège ?

Il haussa les épaules, les yeux baissés.

— Ils m'ont... enfermé dans un placard. Trois fois. Ils disaient que j'étais... bizarre. Que je devrais pas exister. Parfois, j'ai peur d'aller à l'école. Mais j'en parle pas chez moi. Ils comprendraient pas.

Elina hocha lentement la tête.

— Tu sais, j'avais ton âge quand j'ai commencé à me sentir seule aussi. C'est pour ça que je suis devenue psy. Parce que personne ne m'avait tendu la main. Mais toi, tu es venu. C'est déjà une force.

Théo releva les yeux. Pour la première fois depuis leur rencontre, il la fixa vraiment.

— Je voudrais... que ça s'arrête.

— Et on va travailler ensemble pour ça.

Elle prit quelques notes, lui proposa un petit carnet pour qu’il puisse y consigner ses émotions. Le garçon repartit avec une ébauche d’espoir.

Ensuite vinrent trois autres patients.

Une femme de 28 ans, la voix cassée, les yeux rouges. Elle venait de se faire quitter après dix ans de relation.

— J’ai perdu tous mes repères... Je dors pas. Je pleure pour un rien. Je ne sais plus qui je suis sans lui.

Elina resta calme, réceptive. « Ce que vous ressentez est légitime. Mais vous êtes toujours quelqu’un. Vous avez juste oublié de vous regarder. »

Puis une adolescente, Anna, 15 ans. Elle venait d'apprendre sa grossesse, trop tard pour interrompre.

— Ma mère va me tuer. Je me sens vide. C'était censé être rien. Un soir. Et maintenant... je suis enceinte.

Elina l'écouta, lui parla de choix, de ressources, de soutien.

Enfin, une mère de 34 ans, en larmes.

— Je ne supporte pas mon bébé. Je le regarde, je pleure. Je me sens monstrueuse.

Elina lui parla d'hormones, de fatigue, de tabous. Elle posa des mots simples. Rassura. « Vous n'êtes pas seule. Vous n'êtes pas folle. Vous êtes humaine. »

Le soir, Elina rentra chez elle. Un grand appartement moderne, froid et ordonné. Les murs sombres. Le parquet noir. Peu de meubles, sinon l’essentiel. Elle alla dans une pièce à part : un bureau sans fenêtre, aux murs matifiés, insonorisés. Trois écrans allumèrent la pénombre.

Sur l’un, les caméras de surveillance placées chez Jeanne. Quatre angles : salon, cuisine, entrée, chambre. Jeanne pleurait sur un vieux canapé lacéré. Ses doigts serraient un coussin déchiré. Elina observa en silence.

Un sourire discret étira ses lèvres.

Elle tapota sur son clavier. Elle fouilla dans les fichiers du dernier piratage. Elle retrouva le profil de Lila. Lila V.. 27 ans. Mariée. Vit à 40 minutes de la ville. Infirmière.

Puis elle fit de même avec le frère de Jeanne. Profil ouvert. Elle s’abonna. Quelques secondes plus tard, il la suivait en retour. Puis un like sur sa dernière photo. Et un message :

"Salut Elina... Je sais pas si tu te souviens de moi. Je voulais m’excuser. J’ai repensé à tout ça. Jeanne déraille un peu en ce moment, je crois. Si t’as envie de discuter, je suis là."

Elle répondit immédiatement :

"Bonjour ! Bien sûr que je me souviens de toi. C’est gentil. Pour moi, le passé est du passé. Mais je m’inquiète un peu aussi pour Jeanne. Elle a toujours été instable, non ?"

Ils échangèrent longuement. Comme de vieux amis. Il se confia, elle l'écouta. Prétendit comprendre.

Puis, elle composa deux SMS anonymes. Elle inséra une des nouvelles cartes SIM dans un vieux téléphone, trafiqua l'adresse d'envoi : elle y fit apparaître celle de Jeanne. Des mots courts, venimeux. Un avertissement. Une menace voilée.

Ensuite, elle prépara un plat simple. Se versa un verre de vin. Elle regarda un feuilleton policier sans le son, les yeux rivés aux sous-titres.

Une notification apparut : "Dorian : Je pars vers 2h. Je prends les outils. Je m’occuperai de Lila. Tu auras ton message."

Elle verrouilla l'écran. La nuit était à elle. Et le passé, enfin, s’effaçait à sa manière.

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