Chapitre 11
Les néons blancs de l’ambulance clignotaient dans la nuit alors qu’Elina, pâle et tremblante, était allongée sur le brancard. Lila tenait sa main avec douceur, tandis qu’Eva lui caressait les cheveux.
— Tout va bien se passer, d’accord ? souffla Lila. On est là.
— Tu vas être entre de bonnes mains, ajouta Eva. Reste avec nous.
Elina se contenta d’acquiescer faiblement, son visage crispé de douleur. Ses yeux humides regardaient le plafond de l’ambulance, mais au fond d’eux brillait une lueur de satisfaction glacée.
Elles arrivèrent aux urgences. Les infirmiers la prirent rapidement en charge, l’emmenant dans une salle de soin tandis qu’Eva et Lila restaient dans la salle d’attente.
— On va devoir poser quelques questions, mademoiselle, dit un soignant.
— Je... c’est Jeanne, murmura Elina en tremblant. Elle m’a poussée. Il y avait un objet... pointu, je crois. J’ai essayé de lui parler, elle m’a crié dessus. J’avais peur. Et heureusement que mes amies sont arrivées.
Les soignants notèrent les informations, l’air grave. Ils désinfectèrent la plaie à la jambe, vérifièrent qu’aucune fracture n’était présente. Par précaution, ils décidèrent de lui donner des béquilles.
Une heure plus tard, Elina, sa jambe bandée, boitait légèrement en s’appuyant sur ses béquilles. Eva et Lila coururent vers elle.
— Comment tu te sens ? demanda Lila, inquiète.
— Fatiguée... et toujours un peu choquée, murmura Elina d’une voix tremblante.
— Tu aurais dû nous parler de tout ça plus tôt, ajouta Eva. Pourquoi tu nous as rien dit ?
Elina baissa les yeux.
— Je pensais pas que Jeanne préparait tout ça en douce... Je croyais qu’elle avait changé. Je... j’ai eu peur d’elle. Et je me sens plus en sécurité maintenant.
Elle éclata en sanglots, dissimulant ses yeux derrière ses mains. Des larmes fausses, parfaitement maîtrisées, mais convaincantes.
Lila et Eva l'entourèrent de leurs bras.
— Chez nous aussi y’a eu des trucs, dit Eva. Ce qui nous a réveillées, c’est l’odeur de gaz. Le four était allumé, tous les robinets coulaient... la poignée de la porte était arrachée.
Elina écarquilla les yeux.
— Oh mon dieu... souffla-t-elle en fondant de nouveau en larmes. C’est... c’est trop.
Elle tremblait, mais au fond, elle savourait le déroulement de son plan. Tout se mettait en place.
Une fois sorties de l’hôpital, Lila et Eva la raccompagnèrent chez elle. Une fois seule, Elina attrapa son téléphone et envoya un message à Damian :
« Dépose les affaires volées chez Jeanne. Dans son garage, cache-les dans un carton sous un drap. »
Le lendemain matin, Jeanne Sorel était assise dans le minuscule salon de son appartement, les stores encore fermés. Elle n’avait pas fermé l’œil de la nuit. Ses doigts tremblaient autour de sa tasse de café froid, intacte. Sur la table, les documents de police étaient restés là, comme une preuve irréfutable de sa descente.
Elle se leva d’un bond, enfilant un manteau sans réfléchir, les cheveux encore en bataille. Elle sortit marcher, comme pour fuir sa propre tête. Les murmures qu’elle imaginait dans la rue, les regards, tout la ramenait à une seule chose : Elina.
Elle parlait toute seule, dans un souffle tremblant.
— Ce n’est pas moi. C’est… C’est pas moi qui ai fait ça. Je sais ce que j’ai vu… Mais… Elle saignait. Et la lettre… Ma… mon écriture ? Non, j’ai pas pu… J’ai pas pu faire ça…
Une femme passa à côté d’elle avec son enfant. Jeanne recula brusquement, prise de panique. Elle avait l'impression qu'on la reconnaissait, qu’on savait. Elle accéléra le pas, rattrapée par sa propre respiration saccadée.
Elle revint chez elle au bout de deux heures. Les volets toujours clos, la lumière absente. Elle s’assit sur le canapé et commença à se gratter la nuque. Encore. Encore. Jusqu’à ce que la peau s’ouvre. Du sang perla, sans qu’elle ne s’en rende compte.
Depuis qu’Elina était revenue, depuis ce rendez-vous chez le psy… Sa vie s'était effondrée.
Puis, un bruit à la porte. Trois coups nets. Jeanne sursauta, le cœur au bord des lèvres.
— Police. Ouvrez.
Son monde bascula une nouvelle fois.
Elle fut embarquée, incapable de formuler autre chose que des phrases brisées. Dans la voiture de patrouille, elle serrait ses bras contre sa poitrine.
— C’est un piège… murmura-t-elle. C’est elle… C’est elle qui fait tout ça…
Elle avait l’air folle. Même elle, elle le savait.
Au commissariat, Jeanne fut placée en cellule pendant deux heures. Le néon clignotait, grinçant comme pour la torturer. Elle se balançait d’avant en arrière sur le banc.
Quand on l’appela pour l’interrogatoire, elle entra accompagnée d’un avocat commis d’office. Un homme sec, au regard neutre, qui lui demanda d’essayer de respirer calmement.
Face au policier, l’entretien fut brutal. Les preuves furent déposées sur la table :
– Une lettre. Ton écriture.
– Une poupée vaudou. Avec une épingle dans la jambe gauche, là où Elina a été blessée.
– Un paquet d’allumettes.
– Une brosse à dents tachée de sang.
– Et maintenant, des objets volés retrouvés dans ton garage.
Jeanne secoua la tête, de plus en plus vite.
— Non, je… j’ai rien volé ! Ce n’est pas à moi, ces trucs. Je… Je comprends pas… J’ai pas laissé la porte du garage ouverte…
— Madame Sorel, reprit le policier plus sèchement, en plus de ces faits, vous êtes également suspectée d’avoir pénétré par effraction dans le domicile de Lila et Eva. Gaz allumé. Robinet ouverts. Poignée démontée. Vous réalisez que cela aurait pu les tuer ?
Elle éclata en sanglots, serrant son front dans ses mains.
— J’ai rien fait… J’vous jure que j’ai rien fait… Je suis pas un monstre…
— Et pourtant, dit calmement le policier, les preuves racontent une autre histoire.
L’avocat demanda une pause. Jeanne fut reconduite dans sa cellule.
Elle se mit à pleurer, la respiration hachée, les sanglots bruyants, désespérés. Les larmes creusaient ses joues comme si elles voulaient la dissoudre.
— C’est elle… souffla-t-elle une dernière fois. C’est Elina qui me tue…
Annotations
Versions