Chapitre 13

6 minutes de lecture


Minuit passé.

Un silence dense enveloppe la petite rue où habite Elina. La pluie tambourine doucement contre les vitres de son appartement, à peine éclairé par la lumière blafarde d’un lampadaire extérieur. Elle est assise sur le canapé, un plaid sur les épaules, le regard vide. Son téléphone tremble entre ses doigts moites.

Elle compose un numéro.
Celui de Luca Morel.
Le frère de Jeanne.

L’appel part.

— « … Allô ? » dit une voix encore ensommeillée, légèrement rauque.
— « J… je suis désolée, j’ai pas fait exprès, je voulais appeler Eva, je… je vais raccrocher… »

Mais elle ne raccroche pas.

Sa voix est tremblante. On entend un sanglot qu’elle ne contient pas totalement. De l’autre côté, Luca se redresse dans son lit.

— « Elina ? Il se passe quelque chose ? Tu pleures ? »
— « C’est rien. Je voulais pas… Je vais m’en sortir toute seule. »

Un silence. Puis un souffle. Et un sanglot plus fort.

— « Dis-moi où tu es. J’arrive. »



Une odeur de cannelle froide et d’humidité flotte dans l’air. La lumière jaune de la cuisine éclaire à peine l’entrée du salon. Elina ouvre la porte, enroulée dans son plaid. Ses yeux sont rougis — un peu de collyre avant que Luca arrive, un petit frottement pour les faire gonfler.

— « J’suis désolée, je devrais pas te mêler à ça… »

— « Tu m’as appelé, Elina. Je suis là. Qu’est-ce qui se passe ? »

Elle recule, le laisse entrer. L’appartement est rangé, mais pas trop — un coussin est au sol, une tasse renversée sur la table basse. Mise en scène calculée.

Elle s’effondre sur le canapé, tire le plaid contre elle, les mains tremblantes.

— « Depuis… ce qu’elle m’a fait… je fais des cauchemars. J’ai l’impression qu’elle est partout. Que même en prison elle pourra encore me nuire. C’est idiot, hein ? »

— « Ce n’est pas idiot. Pas du tout. Tu veux que je reste un peu ? »

Elle hoche la tête sans répondre. Luca s’installe sur le fauteuil, la regarde, inquiet. Il semble touché, sincèrement. Elle serre le plaid contre elle, puis se lève doucement, comme si elle venait de se rappeler quelque chose.

— « Attends. J’ai… j’ai écrit un truc. J’suis trop honteuse pour le dire à voix haute. Je l’ai écrit pour essayer de tout sortir. Mais… c’est horrible. Tu ne me verras plus pareil si tu lis ça. »

Elle ouvre un tiroir, sort un carnet beige. Dans une des pages, pliée en deux, se trouve une lettre, volontairement laissée là pour être “découverte”.

Elle la tend à Luca.

Il hésite, puis l’ouvre.


Lettre (écrite par Elina, mais présentée comme une confession personnelle)

> « Jeanne est revenue dans ma vie comme une ombre qui ne part jamais. Elle me suit. Elle murmure des choses que personne n’entend. Elle a dit qu’elle me briserait lentement. Que personne ne me croirait. Elle a laissé une poupée avec une mèche de mes cheveux, j’en suis sûre. Je ne dors plus. Je ne mange plus. Elle a souri quand j’ai saigné. »



— « Elina… », souffle Luca, les yeux écarquillés.
Il serre la feuille, bouleversé.
— « C’est… c’est ce qu’elle t’a dit ? Tu as vécu tout ça ? »

Elina s’approche, baisse les yeux, puis lève son regard humide vers lui.

— « J’avais peur de t’en parler. Tu es son frère… Et je me suis dit que tu ne me croirais jamais. »

Elle s’assoit à côté de lui, ses genoux frôlant les siens. Sa main tremble contre sa cuisse. Elle murmure :

— « Mais tu es là. Tu m’as écoutée. T’es resté. »

Luca pose doucement sa main sur la sienne. Son regard cherche à la rassurer, mais un trouble naît en lui. Entre compassion… et trouble plus intime. Elina baisse les yeux, rougit à peine, puis dit d’une voix brisée :

— « Je crois que… t’es le seul à vraiment voir ce que je vis. »

Elle se penche, pose sa tête contre son épaule. Il ne bouge pas. Son cœur bat plus vite. Elle le sent.

Et elle sourit discrètement.

Son plan fonctionne.



Un ding dong métallique fend le silence.

Luca se tourne lentement vers la porte. Le film vient à peine de démarrer, les premières notes d’une comédie dramatique s’échappent de la télévision. Elina, pelotonnée contre lui, se fige d’un coup. Son souffle devient plus court, plus rapide.

— « Non… non, s’il te plaît, ne va pas ouvrir… » murmure-t-elle, les mains tremblantes.

— « T’inquiète, je gère. » dit Luca en posant brièvement sa main sur la sienne.

Il se lève. L’odeur de pluie et de béton mouillé se glisse par la fenêtre entrouverte. Il franchit le petit couloir et tourne lentement la poignée.

Il ouvre.

Le temps s’arrête.

Jeanne est là.

Les cheveux humides, les joues rouges d’avoir couru. Son regard heurte celui de Luca.

— « Toi ? », souffle-t-elle, incrédule.
— « Jeanne… »

Ils restent silencieux un instant. L’air est tendu, presque suffocant. Le bruit d’un orage lointain gronde doucement.

— « Qu’est-ce que tu fais ici ? », demande-t-elle finalement, haletante.

Luca serre la mâchoire.

— « Je devrais te poser la même question. Tu as changé, Jeanne. T’es plus… toi. Tu es devenue ingérable, dangereuse même. »

— « Quoi ?! Attends, attends, c’est ELLE ! Elina ! Elle… elle joue un rôle, elle ment, elle manipule tout le monde ! »

Mais sa voix tremble, ses mains s’agitent, ses yeux bougent trop vite.

— « Je… je t’assure, elle te retourne la tête, elle veut se venger de nous, de moi ! De ce qu’il s’est passé avec Eva et Lila ! Elle… elle sourit ! »

Elina arrive derrière Luca, doucement. Derrière son dos, elle sourit. L’expression est brève, tranchante, presque carnassière.

— « MAIS REGARDE ! », hurle Jeanne, les yeux en larmes, la voix cassée. « Elle sourit ! Elle te retourne la tête ! Elle… elle va faire du mal à tout le monde ! Elle est folle ! »

— « Ça suffit. »
Luca hausse la voix.
Froide. Définitive.

— « Rentres chez toi, Jeanne. Ou j’appelle la police. »

— « Mais… c’est moi, Luca… ta sœur… »

— « Non. Pas ce soir. Ce soir, je te reconnais plus. »

Il ferme la porte violemment.

CLAC.

Puis verrouille. Un, deux tours de clé.

Derrière, Jeanne tambourine, en larmes :

— « Luca ! LUCA ! Elle te manipule ! Réveille-toi ! »

Mais il ne bouge pas. Il retourne vers Elina, l’entoure de ses bras, et lui caresse tendrement le dos.

— « C’est fini. Je te promets que je vais te protéger. Elle ne t’approchera plus. »

Ils regagnent le salon. La télé continue de tourner, la lumière de l’écran projette des ombres dansantes sur les murs. Elina s’installe de nouveau contre lui. Il lui passe une main dans les cheveux.

— « Je suis là. »

Elle ferme les yeux. Feint un calme. Intérieurement, elle jubile.



Bzzz Bzzz.
Luca sursaute légèrement. Il sort son téléphone. Son visage se fige.

— « C’est ma femme… »

Elina se redresse lentement, s’éloigne, baisse les yeux.

— « Tu devrais répondre… »

Luca la regarde. Un court silence. Il s’approche d’elle, glisse un doigt sous son menton et relève doucement son visage.

— « Même si tu me le demandais, je ne partirais pas. Je suis là pour toi. »

Il se lève, décroche, et va dans le couloir. La voix de sa femme s’élève aussitôt, aiguë, inquiète. Elina n’entend que des bribes, mais le ton monte.

— « C’est pas le moment ! »
— « J’en ai marre que tu me fasses passer pour un salaud ! »
— « Elle a besoin d’aide, tu comprends rien ! »

Elina sourit dans l’ombre du salon. Puis, calmement, elle attrape son petit flacon de collyre, s’instille deux gouttes, et se frotte les yeux jusqu’à ce qu’ils soient humides et rouges.

Quand Luca revient, il a le visage pâle, fermé. Mais à peine croise-t-il les yeux brillants d’Elina, qu’il sourit de nouveau.

— « C’est bon. J’ai tout réglé. »

Il se précipite vers elle, s’agenouille devant le canapé, lui prend les mains.

— « Demain, tu viens chez moi. Tu dormiras dans la chambre de ma fille. J’irai acheter un bon matelas, une couette bien chaude. »

— « Et ta femme… ? » murmure-t-elle, innocente.

— « Elle n’a pas le choix. C’est ça, ou je reste ici jusqu’au jugement de Jeanne. »

Il la prend dans ses bras. Elle ferme les yeux, serre fort.



Ils entrent dans la petite chambre d’Elina. Le lit est fait, des coussins moelleux, une lampe tamisée projette une lumière rose sur les murs. Il regarde autour.

— « Je dors sur le canapé. »

— « Reste… », murmure-t-elle.

— « Tu es sûre ? »

— « J’ai peur de faire un cauchemar. »

Il hoche la tête. Enlève ses chaussures. S’allonge à ses côtés. Elle se colle doucement contre lui, sa main posée sur son torse. Il ne bouge pas, respire fort.

Elle, sourit dans l’obscurité.

Son plan avance.
Parfaitement.




Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Podqueenly ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0