Chapitre 16

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La maison semblait paisible au premier regard, une bâtisse modeste aux murs couleur crème, avec des rideaux légers qui laissaient filtrer un soleil doux d’automne. Le parquet grinçait sous les pas, les murs sentaient légèrement la cire d’abeille et le bois ancien, mélangé à une odeur subtile de lavande qui flottait dans l’air. Un silence presque irréel régnait, seulement troublé par le léger souffle de Manon, endormie contre Elina.

Elina était assise dans le vieux fauteuil en rotin du salon, enveloppée dans un pull gris clair, les jambes recouvertes d’une couverture en laine douce couleur moutarde. La petite Manon, enveloppée dans un lange blanc, dormait presque, son souffle régulier à peine audible. La peau de la fillette était claire, presque translucide sous la lumière tamisée. Elina posait un doigt sur le front chaud de sa filleule, chantonnant doucement une mélodie qu’elle avait inventée.

« J’étais une graine, perdue sous la pluie,
Le vent m’a bercée, loin des bruits,
Puis j’ai fleuri, douce pivoine de nuit,
Aimée par les arbres, chérie sans bruit... »

La voix d’Elina, douce et presque hypnotique, remplissait la pièce d’une chaleur étrange, qui contrastait avec le froid léger qui s’infiltrait par la fenêtre entrouverte. On entendait au loin le bruissement d’un feuillage sec qui tombait, les quelques rires d’enfants dans la rue, et le léger tic-tac d’une horloge ancienne dans la pièce adjacente.

Luka apparut dans l’embrasure de la porte, ses cheveux bruns en bataille, les yeux cernés par la fatigue. Il portait un vieux sweat usé, et malgré son apparence défaite, ses gestes restaient assurés. Il s’appuya doucement contre le cadre, croisant les bras.

— Elle t’adore, murmura-t-il, la voix rauque.

Elina sourit faiblement, sans relever la tête.

— C’est une petite âme douce… Elle sent tout, elle sait qui veut la protéger.

Luka la regarda longuement, comme s’il cherchait des réponses dans son visage calme. Puis il hocha la tête, les épaules affaissées.

— Et toi, comment tu te sens ? demanda-t-il à voix basse.

Elle laissa échapper un petit rire, amer.

— Moi ? Comme toujours. En mission. Je ne peux pas me permettre autre chose.

Il soupira, détourna le regard vers la fenêtre.

L’après-midi s’écoula lentement, jusqu’à ce que la tension s’installe.

Le salon était devenu étouffant, même si la lumière du jour baignait toujours la pièce. La compagne de Luka, qui n’était pas encore partie malgré la promesse tacite d’un départ prochain, se tenait près de la table basse, le visage rouge de colère et de fatigue. Ses mains tremblaient légèrement.

— Tu la prends trop souvent, Elina. C’est comme si Manon t’aimait plus que moi… tu me voles ma place, lança-t-elle d’une voix cassée.

Elina plissa les yeux, feignant une surprise polie.

— Je la prends quand elle pleure, quand tu es trop fatiguée ou trop tendue. Je ne fais que ce que toi tu ne peux pas faire.

— Je suis sa mère, tu comprends ça ? cria la femme, la voix tremblante. Je suis censée être celle qui la protège.

Luka se leva précipitamment, les mains ouvertes pour apaiser.

— Calmez-vous toutes les deux. Ce n’est pas le moment.

Mais c’était trop tard. Dans un élan de colère incontrôlée, la femme saisit un verre posé sur la table et le lança contre le mur à quelques centimètres d’Elina. Le verre éclata en mille morceaux. Un éclat plus gros qu’elle n’avait prévu vola en direction du berceau. Manon cria aussitôt. La petite avait reçu une coupure fine mais nette sur la joue.

Un silence glacial s’abattit. Le cœur d’Elina battait si fort qu’elle avait l’impression qu’il allait exploser dans sa poitrine. Elle attrapa Manon dans ses bras, les yeux grands ouverts, tandis que la mère de la petite s’effondrait sur le canapé, en sanglots.

— Tu l’as blessée, lança Elina d’un ton sec, un éclat de triomphe à peine voilé.

La mère, terrifiée et coupable, murmurait entre deux sanglots :

— Non, non, je voulais juste... c’était un accident... je ne voulais pas lui faire mal...

Elina pencha la tête sur le côté, l’air compatissant.

— Pourtant, regarde cette blessure... Ce n’est pas un accident, c’est un avertissement. Tu ne peux pas la protéger, tu lui fais du mal.

Luka regardait alternativement la blessure, Elina et sa compagne. Ses mains tremblaient légèrement, son visage se fermait.

— Je… Je vais appeler les services sociaux, annonça Elina doucement.

La mère se redressa d’un coup, effarée.

— Non ! Tu ne peux pas faire ça ! Tu es jalouse de moi, tu veux me voler ma fille ! Tu te prends pour sa vraie mère !

Luka, d’un geste ferme, la coupa.

— Ça suffit. Je veux que tu partes chez ta sœur quelques semaines. Le temps que tout ça se calme.

— Quoi ?! Tu me laisses seule, avec ma fille blessée ?!

— Je ne te laisse pas seule, répondit-il sèchement. Je prends une décision pour Manon.

Elle prit ses affaires, le regard furieux et plein de rancune, tandis qu’Elina observait, satisfaite.

Plus tard, dans la chambre de Manon, la lumière était tamisée, filtrée par les voilages blancs. Luka tenait délicatement la petite contre lui, lui posant une compresse humide sur la joue. La plaie avait déjà commencé à se refermer, mais restait visible.

Elina s’approcha, un sourire doux sur les lèvres, la voix presque caressante.

— Tu devrais réfléchir à qui est vraiment digne de s’occuper d’elle, Luka. Elle est si fragile. Elle mérite mieux que des éclats de colère.

Luka détourna le regard vers elle, puis remarqua une marque bleue sur le bras d’Elina.

— C’est quoi ça ? demanda-t-il, inquiet.

Elle releva la manche et montra le bleu.

— Elle m’a attrapée trop fort ce matin, en me prenant Manon. Je ne disais rien, je pensais que c’était juste la fatigue.

Il fronça les sourcils, une inquiétude sincère dans le regard.

— Tu devrais faire attention à toi aussi, murmura-t-il.

Dans le silence de la nuit, Elina, seule dans sa chambre, glissa son téléphone hors de la poche de son jean. Elle ouvrit une conversation avec Zellie.

« Ne fais rien pour l’instant. Pas de feu chez Lila et Eva. Attends mon signal. »

Elle posa le téléphone sur la table de chevet, un sourire énigmatique aux lèvres.

— Encore un peu de patience, murmura-t-elle dans l’obscurité.

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