Chapitre 18
Le matin était encore frais lorsque Luka, en sortant de chez lui pour aller relever le courrier, remarqua immédiatement quelque chose d’inhabituel. Sa boîte aux lettres était maculée de glue séchée, dégoulinant comme un avertissement gluant. Il fronça les sourcils, déglutit en découvrant, collée de travers à l’ouverture, une enveloppe. Elle était froissée, trempée par la rosée, mais intacte. Il l’arracha avec difficulté et découvrit à l’intérieur une lettre griffonnée à l’encre noire :
« Si elle continue à pleurnicher chez toi, je viendrai la faire taire moi-même. Elle me connaît, elle sait que je le ferai. Dis-lui de se calmer. — J.S. »
Luka resta figé, la mâchoire contractée. Son cœur battait plus fort. Sans attendre, il prit une photo de la boîte aux lettres et de la lettre. Son estomac se serra.
Il fonça sans réfléchir vers la maison de sa mère, les pneus crissant sur l’asphalte. Il savait qui était derrière ça.
Chez leur mère, Jeanne était déjà là, assise à table, jouant nerveusement avec sa cuillère, la peau pâle et les traits tirés. Luka entra sans un mot, s’avança et jeta la photo sur la table.
— C’est quoi ça, Jeanne ? demanda-t-il d’une voix glaciale.
Jeanne haussa les sourcils, mal à l’aise, puis se mit à se gratter frénétiquement la nuque.
— Quoi ? Je… J’en sais rien. C’est pas moi.
— Tu crois que j’suis stupide ? C’est ton écriture, Jeanne. C’est toi qui as écrit cette lettre, qui as foutu de la glue partout !
La mère se leva lentement, inquiète. — Qu’est-ce qu’il se passe ? De quoi vous parlez ?
— Maman, Jeanne recommence. Elle harcèle Elina.
— C’est pas vrai ! s’écria Jeanne, en se levant à son tour. C’est elle, cette folle ! Elle monte tout le monde contre moi !
— Arrête. Tu l’as blessée, Jeanne. Physiquement. Tu l’as terrorisée pendant des années. Et tu recommences maintenant ?!
— C’est elle qui manipule tout le monde ! Je… j’ai juste essayé de me défendre !
— Assez !
Luka, hors de lui, lui donna une gifle sèche. Un silence de plomb s’abattit dans la pièce. Jeanne recula, tremblante, le regard écarquillé.
— Tu vas arrêter maintenant, Jeanne. C’est fini.
La mère, choquée, porta la main à sa poitrine. — Elina… Comment va Elina ? Je veux la voir. Tout de suite.
Luka souffla longuement.
— Viens. Je t’emmène. Jade n’est pas là, je te le promets.
Le trajet fut silencieux au début. Luka conduisait d’une main ferme, jetant parfois un regard vers sa mère, qui gardait les bras croisés sur ses genoux.
— J’aurais dû voir les signes… dit-elle, presque pour elle-même. Elle a toujours été fragile, Elina. Mais aussi courageuse…
— Elle n’a jamais cessé de l’être, murmura Luka.
Le paysage défilait lentement. Les arbres bordaient la route, le soleil filtrait à travers les branches, jetant des ombres mouvantes sur le tableau de bord.
— Tu sais, reprit la mère, j’ai parfois senti qu’elle cachait quelque chose… mais je n’ai jamais su à quel point ça allait mal.
— Elle ne voulait pas te faire de peine. Elle t’a toujours protégée, même quand toi, tu ne la protégeais pas.
Ils arrivèrent. Elina, dans le salon, jouait calmement avec Manon. En voyant Luka et leur mère entrer, elle se figea, un peu surprise, mais sourit timidement.
— Bonjour, murmura-t-elle.
— Mon Dieu… Elina, ma chérie…
La mère s’avança, émue. Elles s’enlacèrent, longuement. Puis la mère recula légèrement et baissa les yeux sur le bras d’Elina.
— Cette cicatrice… murmura-t-elle.
Un silence tendu s’installa. Elina inspira profondément, cherchant ses mots. Luka s’assit à côté d’elle.
— Elle a recommencé, murmura-t-elle. Ça a commencé par des appels anonymes. Des objets déplacés devant la maison. Puis elle m’a suivie, insultée. La dernière fois… elle m’a poussée dans les escaliers.
— Oh mon Dieu… sanglota la mère. Depuis combien de temps ?
— Des semaines. Je ne voulais pas t’inquiéter. Luka a insisté pour que je reste ici.
— Tu as bien fait, dit la mère en se tenant la tête. Je suis désolée, Elina… Je ne t’ai pas crue, je ne t’ai pas défendue. Je n’ai pas su te protéger. Mais je ne referai plus cette erreur.
Luka posa une main sur l’épaule de sa mère. — On ne la laissera plus seule.
Soudain, la mère vacilla. Elina la retint, affolée.
— Maman ! Luka, aide-moi !
Ils l’installèrent précautionneusement sur le canapé. Elina courut lui préparer une infusion, puis revint avec un coussin et une couverture.
— Reste calme, maman. Respire lentement.
La mère prit la tasse, tremblante.
— Merci, Elina… Merci de ne pas m’en vouloir.
— Je t’en veux un peu, souffla-t-elle. Mais je veux qu’on aille de l’avant. J’ai besoin d’une mère. Et Manon aussi.
Un long silence chargé d’émotion s’installa. Puis, après plusieurs heures de discussion, Luka reconduisit leur mère.
Au moment de partir, elle embrassa tendrement Elina.
— Je suis fière de toi.
Dans la voiture, Luka garda le silence. Mais lorsqu’ils arrivèrent chez leur mère, il croisa le regard de Jeanne, qui les attendait dans l’entrée. Son regard à lui était glacial.
Et pour la première fois, Jeanne détourna les yeux.
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