Chapitre 24
Le téléphone de Luka vibra doucement sur la table de nuit. Il cligna des yeux, encore à moitié endormi, lorsqu’il reconnut le numéro de l’hôpital s’affichant à l’écran. Son cœur se serra. Il décrocha aussitôt, la voix rauque :
— Allô ?
— Bonjour, monsieur Dael. Je suis le docteur Renaud, de l’hôpital Sainte-Ophélie. Votre mère, madame Dael, a été admise ce matin aux urgences après une chute importante dans ses escaliers. Elle présente plusieurs blessures sérieuses : côte fêlée, fracture de la jambe gauche et un traumatisme crânien. Elle est actuellement en observation.
Luka se redressa d’un coup, réveillant Elina à ses côtés. Elle l’observa, les yeux lourds de sommeil, mais le regard inquiet.
— Elle est consciente ?
— Partiellement. Elle est désorientée pour le moment. Nous vous conseillons de venir rapidement.
— Merci, j’arrive.
Il raccrocha et passa ses mains sur son visage. Elina s’assit dans le lit, posant une main douce sur son bras.
— Qu’est-ce qui se passe ?
— Ma mère est à l’hôpital. Elle a chuté dans ses escaliers. Plusieurs blessures graves. Je dois y aller.
Elina hocha la tête, concernée.
— Je viens avec toi.
Luka se changea rapidement, une boule au ventre. Sur la route, le silence s’installa, pesant. Arrivés à l’hôpital, ils furent guidés vers les urgences. Luka reconnut la silhouette frêle de sa mère à travers une vitre, son visage tuméfié, un bandage autour de la tête.
Alors qu’il s’apprêtait à entrer, une agitation attira son attention. Des voix fortes. Il se tourna et vit Jeanne, les cheveux en bataille, en pleine crise de nerfs, retenue par deux infirmiers.
— C’est elle ! C’est ELLE qui a fait ça ! hurla-t-elle, le doigt tendu vers Elina. Elle m’a volé ma vie, ma famille, et maintenant elle tente de tuer notre mère !
— Jeanne, arrête ! cria Luka. Tu deviens folle !
— Je ne suis pas folle ! Elle ment, elle manipule tout le monde !
Elina recula d’un pas, se réfugiant contre le mur, ses traits figés dans une expression de douleur et d’effroi feinte.
— Luka… je… je n’ai jamais voulu de tout ça, souffla-t-elle. Je veux juste qu’on soit heureux. Elle me fait peur…
Jeanne continuait de hurler, les larmes coulant sur ses joues, le visage déformé par la rage et l’incompréhension. Un médecin arriva en courant.
— Qu’est-ce qu’il se passe ici ?
— Elle délire, répondit Luka. Elle a été instable ces dernières semaines. Elle m’a menacé, elle est partie en claquant la porte. Je pense qu’elle a besoin d’aide, vraiment.
— Nous allons la faire évaluer immédiatement, dit le médecin en hochant la tête.
Jeanne hurla à la trahison, tandis que les infirmiers la faisaient reculer dans le couloir.
— Tu fais une erreur, Luka ! Tu comprendras trop tard ! Ce n’est pas moi la folle, c’est ELLE !
Mais déjà, on l’éloignait. Luka resta figé, le cœur battant à tout rompre. Elina s’approcha lentement, posant une main réconfortante sur son bras.
— Tu as fait ce qu’il fallait, murmura-t-elle.
— J’en sais rien… C’est ma sœur.
— Et pourtant, elle t’a mis en danger. Ta mère aussi. Tu as été courageux.
Il hocha lentement la tête. Le médecin revint vers lui.
— Nous avons contacté une clinique psychiatrique spécialisée. Vu son état et son comportement, une observation de trois semaines est recommandée.
— Faites-le, dit Luka d’une voix basse.
Elina le serra contre elle.
— Viens, allons voir ta mère.
Ils entrèrent dans la chambre. Sa mère dormait, un souffle faible mais régulier. Luka s’assit à ses côtés, prenant sa main.
Plus tard, dans le couloir, Elina lui murmura :
— Tout ira bien maintenant. On est ensemble, et on s’occupera d’elle, de Manon… de tout.
Luka la regarda, le regard embué de fatigue et d’émotions contradictoires. Il hocha la tête sans mot dire.
Elle sourit, mais son regard s’attarda un instant vers le fond du couloir, là où Jeanne avait disparu.
Un sourire à peine perceptible se dessina sur ses lèvres.
Quand Luka poussa la porte de la chambre, le silence lui parut assourdissant. Elina était assise sur le lit, ses mains entrelacées sur ses genoux, le dos droit, tendu. Elle leva les yeux vers lui, aussitôt.
— Jeanne… ?
Il ferma la porte derrière lui et hocha la tête, lentement.
— Emmenée. La clinique a envoyé une ambulance spéciale. Elle a hurlé qu’elle n’était pas folle, qu’on lui faisait du mal. Elle t’a accusée, encore… Mais le médecin a pris la décision. Ils avaient assez de preuves de comportement instable.
Elina inspira, mais sa voix tremblait en réponse.
— Je suis désolée, Luka. Pour ta mère. Pour tout ça. Je voulais pas que ça finisse comme ça, je te jure…
— Ce n’est pas toi qui as mis de l’huile sur le carrelage, Elina. C’est elle. Et c’est moi qui l’ai laissée trop longtemps aller trop loin.
Il s’approcha, s’assit à côté d’elle. Ses mains vinrent chercher les siennes, instinctivement. Mais au lieu de lui répondre, Elina se plia soudain en deux.
— Ah…
— Quoi ?!
— Mon ventre… J’ai mal, Luka…
— Où ? Comment ?
Elle se tenait le bas du ventre, le visage crispé, les lèvres pâles.
— En bas… ça pique, ça serre… Ça revient par vagues…
Il se leva d’un bond et appuya sur le bouton d’appel. Moins d’une minute plus tard, une infirmière entra, puis un interne. Ils la firent s’allonger, prirent sa tension, la palpèrent prudemment.
— On va faire une échographie et quelques analyses. Il peut s’agir d’un kyste, ou autre chose. On préfère vérifier rapidement.
Luka resta auprès d’elle quand on la transféra en salle d’examen. Elina, malgré la douleur, refusait de paniquer. Mais il voyait bien, dans ses yeux, qu’elle retenait ses larmes à chaque contraction soudaine.
Quand le médecin revint, Luka se leva aussitôt.
— Alors ?
— Elle présente plusieurs kystes ovariens assez volumineux, ce qui explique les douleurs. Ce n’est pas rare, mais cela nécessite un suivi. Et… autre chose.
Il marqua une pause.
— Elina est enceinte.
Luka cligna des yeux.
— Quoi… ?
— D’environ six semaines, d’après l’échographie. Ce n’est pas lié directement aux douleurs, mais c’est une découverte importante.
Il n’entendit presque pas le reste, seulement les recommandations médicales floues — échographie de contrôle, surveillance, éviter le stress. Il remercia d’un hochement de tête vide et rentra dans la chambre.
Elina le regardait déjà. Elle avait compris.
— Il te l’a dit, souffla-t-elle.
Il s’approcha. Elle se redressa légèrement, les larmes au bord des cils.
— C’est pas possible, Luka. Je comprends pas… On a fait attention. C’était pas censé arriver. On l’a fait trois fois, c’est tout. Trois fois. Et je ne prenais rien, c’est vrai. Mais j’étais censée avoir un cycle régulier. Je… Je pensais pas…
— Trois fois, murmura-t-il, comme pour lui-même. Trois fois, et…
Il s’assit à côté d’elle. Elle avait posé ses mains sur son ventre, sans même y penser.
— Je te jure que j’ai rien prémédité, Luka. J’ai pas voulu que ça arrive comme ça.
— Je sais, dit-il aussitôt. Je te crois. Tu n’as jamais menti.
Elle ferma les yeux, des larmes s’échappant malgré elle.
— J’ai peur.
— Moi aussi.
Un silence tendu tomba entre eux. Puis elle reprit :
— Ils m’ont dit que les kystes pouvaient compliquer la grossesse. Qu’il y a un risque si ça grossit. Qu’il faut surveiller l’utérus, et que si j’ai d’autres douleurs, je dois revenir. Et que… qu’on devrait faire une échographie dans dix jours pour voir si tout va bien. Et que je dois me reposer.
Luka l’écoutait sans parler, le regard fixé sur elle. Pas fuyant, pas distant. Juste… absorbé.
— On fait quoi maintenant ? demanda-t-elle, la voix brisée.
Il lui prit la main, la serra fort.
— On rentre. Et on respire. Et ensuite, on prend chaque jour comme il vient.
Elle hocha lentement la tête.
— Tu veux vraiment ?
— Ce bébé, Elina, il est de nous deux. Et on ne l’a pas prévu, c’est vrai. Mais ça ne veut pas dire qu’il ne compte pas. Pas pour moi.
Elle baissa les yeux, une larme coula sur sa joue.
— Tu vas pas me lâcher, alors ?
— Jamais.
En sortant de la chambre, ils croisèrent l’infirmier qui veillait sur la mère de Luka. Elle dormait toujours, mais sa respiration était calme. Le médecin avait confirmé la commotion, les côtes cassées, la jambe fracturée… mais elle s’en sortirait.
Et Luka savait. L’huile versée près du plan de travail n’était pas un accident. Jeanne avait voulu blesser leur mère. Venger son éviction. Elle avait franchi la dernière limite.
Il regarda Elina, fatiguée, mais droite. Et il sut.
Il avait bien fait.
Et maintenant, ils allaient devoir faire face. Ensemble.
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