Chapitre 26

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L’air était lourd dans la chambre aseptisée où Jeanne passait ses journées. Le parfum métallique des médicaments se mêlait à celui de la peinture fraîche sur les murs, une odeur froide, clinique, qui piquait le nez et donnait une sensation de malaise. Les rideaux, d’un blanc jauni, bougeaient faiblement sous l’effet d’un courant d’air venu des couloirs. Chaque bruit, même le plus infime — le cliquetis d’une clé, le murmure lointain d’une infirmière — lui paraissait un coup porté à son calme déjà fragile.

Allongée sur un lit étroit, recouvert d’une couverture trop fine, Jeanne regardait le plafond taché d’ombres mouvantes. Ses pensées tournaient en boucle, prisonnières d’un labyrinthe mental où rage et solitude s’entremêlaient. Elle sentait son cœur se serrer à chaque visite manquée, à chaque absence de ceux qu’elle aimait. La maison familiale lui manquait, avec ses odeurs de pain frais, de feu de bois, et surtout la voix rassurante de Luka.

« On dirait que je ne suis plus qu’un fantôme pour eux… Un poids à oublier. » pensa-t-elle, la gorge nouée.

Sa main se crispa sur le drap rugueux, les ongles creusant la peau. Elle aurait voulu hurler, mais la cage de l’hôpital lui interdisait toute échappatoire. Le silence pesait lourd, ponctué seulement par les échos lointains de pas et de voix étouffées dans les couloirs.



Soudain, la porte grinça, brisant la monotonie du jour. Jeanne sursauta, son cœur tambourinant dans sa poitrine. Le docteur Morel entra, son visage impassible encadré par une blouse blanche immaculée. Son regard froid, presque analytique, s’arrêta sur elle avec une précision chirurgicale.

« Bonjour Jeanne, comment vous sentez-vous aujourd’hui ? » demanda-t-il d’une voix douce, presque trop douce, comme s’il jouait un rôle.

Jeanne détourna le regard, ses lèvres tremblantes laissant échapper une réponse sèche, presque un défi :
« Mal, évidemment. Vous ne comprenez rien à ce que je vis. »

Le silence s’installa, lourd de non-dits. Le médecin sortit un stylo et un carnet, griffonnant quelques notes en jetant des coups d’œil furtifs. Jeanne avait l’impression d’être disséquée par ses yeux perçants, comme un insecte sous une loupe.

« Ils veulent me réduire à un symptôme, à un diagnostic. Mais ils ne voient pas la Jeanne derrière le malade. » pensa-t-elle, un amer dégoût mêlé à une lueur d’espoir ténue.

Elle se mordit la lèvre pour empêcher ses émotions de déborder. Parler de ses peurs serait s’exposer à plus de souffrance. Alors elle garda tout pour elle, serrant les poings sous la couverture, comme pour s’ancrer dans la réalité.



Quand la nuit tombait, la clinique se transformait en un théâtre d’ombres et de murmures. Jeanne revivait sans cesse cette journée fatale, son corps projeté contre le sol glacé de la maison de sa mère. L’odeur âcre d’huile de cuisine renversée lui revenait en mémoire, mêlée au bruit sourd du choc de sa tête contre le parquet.

Elle sentait encore la douleur vive de l’impact, la chaleur qui montait dans ses tempes, et ce moment où tout s’était figé, suspendu entre vie et mort. Le regard de Luka, plein de déception et de colère, lui hantait l’esprit.

« Comment ai-je pu tout gâcher ainsi ? » se répétait-elle, enroulée dans une couverture, grelottante malgré la température tiède de la chambre.

Le parfum de la lavande — médicament censé apaiser — flottait autour d’elle, mais rien ne pouvait calmer cette tempête intérieure. Les murmures de sa mère, ses pleurs étouffés, la voix douce de Luka qui essayait de masquer sa tristesse… Tout se mêlait dans une cacophonie obsédante.



Ce jour-là, Jeanne tentait de lire un vieux roman sur un fauteuil en plastique, mais la paix fragile fut brisée par un bruit sourd : la tasse d’une patiente avait chuté sur le sol, éclaboussant le carrelage blanc d’un thé brûlant.

« Faites attention, bordel ! » s’exclama Jeanne, la voix tremblante, entre colère et fatigue.

L’autre femme, une dame à la peau parcheminée, lui lança un regard dur, presque accusateur.
« Ce n’était pas volontaire, calme-toi. »

Les mots étaient comme des lames, chacun piquant un peu plus. Un silence pesant s’installa, ponctué par le souffle haletant de Jeanne.
« Vous ne comprenez rien à ce que je traverse ! » hurla-t-elle presque, le ton brisé par la douleur.

Les infirmiers arrivèrent, apaisants, parlant d’une voix douce :
« Jeanne, respire… ça va aller. »

Mais elle se sentait comme un volcan prêt à exploser, sa colère mêlée à une douleur sourde qui ne voulait pas se taire.



Chaque jour, Jeanne avait cette impression d’être épiée, scrutée par des centaines de regards invisibles. Les pas dans les couloirs résonnaient comme une menace sourde, les voix chuchotées devenaient des complots silencieux.

« Je ne suis pas un animal derrière une vitre. » marmonnait-elle en serrant les poings.

Elle s’adossa au mur froid, cherchant un refuge dans cette prison d’yeux et d’ombres. Le parfum antiseptique lui piquait la gorge, les néons crépitaient faiblement au plafond. Une infirmière passa près d’elle, un sourire poli, mais distant, presque mécanique.

Jeanne sentit les larmes monter, une boule d’angoisse lui serrant la poitrine. Elle savait que si elle montrait la moindre faiblesse, elle serait encore plus isolée.



La nuit, le sommeil fuyait toujours plus loin. Jeanne s’enfonçait dans des cauchemars terrifiants où les visages de ceux qu’elle aimait se métamorphosaient en ombres malveillantes.

Elle entendait leurs voix, des murmures venimeux :
« Tu ne seras jamais libre… Tu es déjà perdue. »

Elle tremblait sous les draps, ses mains crispées. Était-ce la réalité qui la trahissait, ou son esprit qui la détruisait ?

« Je suis piégée. » pensa-t-elle, les yeux grands ouverts dans le noir.

Elle sentit un souffle glacé sur sa nuque, un frisson parcourant son échine. Le silence pesait, chargé d’une menace sourde. Quand l’aube pointa, Jeanne resta immobile, le corps raide, incapable de se lever.



Un après-midi gris, Jeanne atteignit son point de rupture. L’angoisse accumulée éclata en un hurlement sauvage, déchirant l’air confiné de la chambre.

« JE NE SUIS PAS FOLLE ! » cria-t-elle, les larmes coulant librement.
Les murs répercutaient sa douleur brute, un écho tragique.

Les infirmiers arrivèrent rapidement, tentant de la calmer. Elle se débattit, refusant leur aide.
« Vous ne savez rien de moi ! Vous ne voyez que la maladie, pas la femme que je suis ! »

Ils la prirent dans leurs bras avec douceur, l’isolant dans une salle plus vide, où les ombres semblaient danser au rythme de ses sanglots.



Au petit matin, Jeanne s’approcha de la fenêtre grillagée. Le ciel était d’un gris profond, menaçant, comme un miroir de son âme tourmentée. Elle regarda au loin, espérant un signe, une échappatoire.

Le vent froid soufflait doucement, faisant bruisser les feuilles d’un arbre isolé. Un corbeau poussa un croassement rauque, ajoutant à l’ambiance lugubre.

« Un jour, quelqu’un m’écoutera. Quelqu’un verra au-delà de cette cage. » murmura-t-elle, le souffle pris entre espoir et désespoir.


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