Chapitre 30

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Lila se réveilla tôt ce matin-là, le cœur battant à l’idée de ce qui les attendait. Eva dormait encore, paisible, dans le canapé-lit qu’elles partageaient chez leur amie Émilie. Le soleil filtrait à travers les stores mal fermés, éclairant les cartons ouverts contenant leurs maigres affaires. Leur vie entière tenait dans trois valises et deux sacs. Lila soupira doucement, caressa la joue d’Eva, et se leva pour préparer du café.

Une heure plus tard, elles étaient en route pour signer le bail de leur nouvel appartement. L’immeuble était sobre, situé dans une rue tranquille bordée d’arbres. L’agent immobilier les attendait déjà, souriant. Le bureau sentait l’encre et le papier neuf. Le contrat leur sembla interminable, mais enfin, après une dizaine de signatures, les clés étaient à elles. Lila eut un rire nerveux en les secouant dans sa main. « On va enfin pouvoir reconstruire quelque chose. »

De retour chez Émilie, elles déposèrent leurs affaires et s’offrirent un moment de répit dans le salon. Émilie les félicita chaleureusement. « Vous avez fait un pas énorme. Il ne manque plus que votre petit bout maintenant. »

Dans l’après-midi, Lila sortit faire quelques courses pour la première soirée dans leur futur chez elles. C’est là qu’elle croisa Pablo, assis à la terrasse d’un café, un cahier ouvert devant lui. Ils échangèrent quelques politesses, puis Lila s’apprêta à repartir lorsqu’il l’arrêta d’une voix hésitante :

— Lila, je... j’aimerais te parler de Jeanne. Et d’Elina.

Elle fronça les sourcils, décontenancée. Pablo avait l’air troublé, sincèrement. Il lui expliqua que Jeanne, avant son hospitalisation, lui avait montré des dossiers, des images, des extraits de courriels. Notamment sur deux anciens camarades d’université : Damien et Anna. D’après Jeanne, ils avaient été harcelés, humiliés, poussés à l’isolement. Elina aurait pris leur défense… mais ce soutien s’était teinté d’une violence froide. Ils avaient été suspendus deux semaines après une vengeance contre un harceleur — vengeance orchestrée, semble-t-il, par Elina.

— Tu vois, je ne sais plus quoi penser. Jeanne est en miettes. Elle dit que le retour d’Elina dans sa vie, c’est la fin pour elle. Mais… Elina semble si protectrice, si douce avec toi. Je suis perdu.

Lila sentit une tension familière se nouer dans son ventre. Un vertige. Mais elle repoussa cette sensation, avec douceur.

— Jeanne n’est pas stable, Pablo. Et Elina n’a jamais été autre chose qu’un roc pour moi. Je sais ce que tu ressens, mais je pense que tu dois prendre du recul.

Il hocha la tête, mais son regard resta inquiet. Elle le laissa là, pensive, troublée malgré elle.

En rentrant, elle raconta brièvement l’échange à Eva.

— Tu crois que Jeanne aurait pu dire vrai ? murmura Lila, en rangeant les provisions.

Eva lui prit les mains. — Je crois qu’on a le droit d’être heureuses. Et je crois en toi, en nous.

Ce soir-là, elles fêtèrent leur nouveau départ autour d’un dîner improvisé. Émilie avait préparé des lasagnes, et un vieux vin débouché pour l’occasion. Les rires étaient francs, les épaules plus légères. Mais un moment, alors que Lila levait son verre, son regard se perdit un instant. Le doute, furtif, perça. Puis s’éteignit dans la chaleur d’un sourire partagé.

Avant de se coucher, Lila s’isola un moment sur le balcon. Le vent était doux, parfumé de l’été approchant. Elle composa le numéro d’Elina.

— Je voulais juste entendre ta voix. Pour me rassurer un peu.

Elina rit doucement à l’autre bout du fil. — Tu peux m’appeler n’importe quand. Je suis là, tu sais.

Lila raccrocha avec un sentiment diffus. Le genre qui ne s’explique pas. Demain, elles iraient visiter leur futur appartement vide pour commencer les préparatifs. Peut-être peindre une pièce, ou décider ensemble où irait le berceau.

Mais ce soir, elle se coucha auprès d’Eva avec une pensée obstinée. Elina était parfaite. Trop parfaite peut-être.



La nuit était tombée, paisible en apparence, dans l'appartement d’Emily où Lila et Eva dormaient depuis quelques jours. Le souffle régulier d’Eva berçait la pièce sombre, mais Lila, elle, remuait nerveusement sous les draps. Ses paupières tressaillaient, ses doigts crispés agrippaient le tissu du drap, et bientôt, son esprit bascula dans un cauchemar dont elle ne parviendrait pas à s’extraire si facilement.

Elle se tenait dans un couloir d’hôpital blanc, désert, trop silencieux. L’odeur de désinfectant lui montait au nez, écœurante. Au bout du couloir, une porte battante grinçait doucement, comme si quelqu’un venait de la traverser. Lila s’approcha, chaque pas résonnant dans le vide. Derrière la porte, une chambre : Jeanne était là, assise sur un lit, le regard vide. Quand Lila voulut parler, Jeanne tourna la tête. Son visage se tordit soudain, ses traits se déformèrent pour devenir ceux d’Elina. Froids, distants, ses yeux brillaient d’un éclat métallique. « Tu n’as rien vu, Lila. Tu ne comprends rien. » dit Elina d’une voix glacée, presque mécanique. Puis, en un clignement, son visage redevint celui de Jeanne, déchiré par la douleur et la rage. « Elle m’a volé ma vie… Je la détruirai. Même si ça doit me tuer. » hurla-t-elle. Un cri strident, inhumain, emplit l’air, jusqu’à ce que tout explose dans une gerbe de lumière blanche.

Lila se réveilla en sursaut, le cœur battant à tout rompre. Ses draps étaient trempés de sueur, son souffle saccadé. Eva ouvrit les yeux, encore embrumée par le sommeil. « Chérie… qu’est-ce qui se passe ? » murmura-t-elle en s’asseyant, posant une main apaisante sur l’épaule de Lila. Mais cette dernière secoua la tête, agitée. « J’ai besoin d’appeler Elina… maintenant. » Elle attrapa son téléphone sur la table de nuit, sans attendre la réponse d’Eva, dont le regard trahissait l’inquiétude.

La sonnerie fut brève. Elina décrocha, la voix calme malgré l’heure tardive. « Lila ? Tout va bien ? » Lila hésita, puis raconta brièvement son cauchemar, parlant plus de l’ambiance que du contenu exact. « C’était effrayant… Je sais que c’est idiot, mais… comment tu vas ? Et… comment tu vis le fait que Jeanne sorte dans six jours ? » Silence. Puis Elina répondit d’une voix posée : « Je vais bien, tu sais. Jeanne ne me fait plus peur. Elle a tenté de me détruire une fois, elle n’y arrivera pas deux fois. » Elle marqua une pause. « Et puis, certains monstres, même libérés, ne savent plus comment faire peur à la lumière. » La phrase resta suspendue dans l’air. Lila fronça légèrement les sourcils. Il y avait quelque chose dans cette tournure, une pointe de menace dissimulée derrière une façade rassurante.

Quand elle raccrocha, Lila resta quelques secondes figée. Eva la prit dans ses bras, embrassant sa tempe. « Elle t’a rassurée ? » Lila hocha doucement la tête. Elle voulait croire que tout allait bien. Que Jeanne restait l’instable, la destructrice, et qu’Elina, elle, était cette femme forte et digne qu’elle avait tant admirée. « Oui… Elle est juste un peu… sur la défensive. C’est normal, après tout. Jeanne lui a fait trop de mal. » Elle tenta de chasser le malaise qui avait effleuré sa conscience. Après tout, les cauchemars n’étaient que des cauchemars.


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