Chapitre 31

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Le matin s’était levé sur un ciel pâle et lumineux, filtrant à travers les rideaux ivoire de la maison que Luka et Elina partageaient désormais. Une odeur légère de lessive flottait dans l’air, mêlée au parfum discret du café que la jeune femme préparait en silence. Manon babillait dans son transat, les mains levées vers une peluche suspendue. Elina, concentrée, pliait du linge encore tiède, le visage serein. Elle s'était glissée dans ce rôle avec une aisance déconcertante : compagne dévouée, mère parfaite, présence rassurante. Elle effleurait les surfaces en les nettoyant, rangeait les biberons avec une délicatesse presque sacrée, tout en jetant de temps à autre un regard tendre vers Manon.

Elle donna le biberon à Manon, berçant la petite contre elle, la voix douce fredonnant un air ancien. Le lait tiède dégageait une senteur sucrée, se mêlant à celle du savon pour bébé. Dans la cuisine, le minuteur cliqueta, la tarte aux légumes dorait dans le four. Luka descendit à ce moment-là, les cheveux en bataille, sourire fatigué au coin des lèvres. Il s’approcha, embrassa sa fille sur le front, puis Elina sur la joue.

— Tout est prêt, murmura-t-elle. Tu n’as plus qu’à te poser.

Ils s’échangèrent un regard complice. Rien ne laissait deviner la tension qui couvait sous cette atmosphère trop calme.

Mais à 9h22, la porte d’entrée s’ouvrit brutalement. Le grincement fit trembler les murs. La voix de la femme de Luka déchira le calme de la maison.

— Où est-elle ?! Donne-moi ma fille !

Elina, stupéfaite, se leva d’un bond, serrant Manon contre elle. Mais déjà, l’autre s’était approchée, lui arrachait l’enfant des bras. Manon gémit, secouée violemment par le geste.

— Arrêtez ! cria Elina. Vous allez lui faire du mal ! Elle pourrait avoir le syndrome du bébé secoué !

Luka, qui avait suivi derrière, se précipita, arrachant Manon à son ex-femme et la confiant à Elina à nouveau.

— Tu es folle, hurla-t-il. Tu l’as secouée ! Tu veux la tuer ?

— C’est ma fille ! Je veux juste la récupérer !

— C’est fini. Tu n’as plus le droit de l’approcher. J’appelle les services sociaux. Tu n’es pas stable.

Elle paniqua, se mit à pleurer, supplier. Luka, impitoyable, lui jeta sa bague de mariage.

— C’est terminé. Je te rends tes affaires. Tu ne remettras plus jamais les pieds ici.

La porte claqua. Le silence retomba d’un coup, si brutal qu’on n’entendait plus que les battements précipités du cœur de Manon, blottie contre Elina. Luka la reprit doucement pour vérifier qu’elle allait bien. Elle ne semblait pas blessée, mais une consultation médicale serait nécessaire.

Elina, fébrile, composa le numéro de Lila. Celle-ci décrocha dans la minute, la voix inquiète, couverte partiellement par un bip électronique et un grésillement de connexion.

— Lila, c’est Elina. Tu ne vas pas croire ce qu’il vient de se passer…

Elina raconta tout, les mots précipités, sa voix tremblante. Lila écoutait en silence, les sons étouffés du tramway passant au loin filtrant dans l’écouteur. Puis elle répondit calmement :

— Tu as bien réagi. Luka aussi. Il a protégé Manon, et toi aussi. Cette femme est instable. Je pense que Pablo et Ben se trompent… Tu es attentive, protectrice, toujours là pour les autres.

Le lendemain, Lila proposa qu’elles se retrouvent pour un dîner. Elles choisirent un petit restaurant aux murs ocres, près de la place. L’air sentait le pain chaud, les tilleuls et la sauce tomate des cuisines voisines. Des passants riaient, des enfants couraient entre les tables. Des sonneries de téléphones vibraient, étouffées dans les sacs à main. Le cliquetis des couverts et le fond de jazz doux rendaient la scène presque irréelle. Le serveur fit tomber un plateau en arrière-plan, ajoutant au ballet sonore une dissonance métallique suivie d’excuses gênées.

Lila arriva avec un large sourire, les bras ouverts. Elina l’accueillit avec une étreinte tendre.

— Tu sais déjà pour l’appartement ? demanda Lila.

— Bien sûr. Eva me l’a dit. Je suis ravie pour vous. C’est une belle étape.

— On l’a signé hier. C’était urgent vu… les circonstances. On espère avoir l’agrément très vite, pour pouvoir adopter.

— Vous serez des mères formidables.

Leur repas fut ponctué de rires. Elles parlèrent de bébé, de nuits blanches, d’allergies alimentaires, puis de voyages. Elles prévoyaient une escapade à cinq, dans une semaine, trois jours après la sortie de Jeanne de l’hôpital.

— Ce sera parfait pour se changer les idées, dit Lila. Et puis, on a tous besoin d’un peu de normalité, pas vrai ?

— Exactement, répondit Elina avec un sourire radieux. On le mérite tous.

En quittant le restaurant, Lila ralentit le pas, un peu soucieuse.

— Tu sais, Ben reste froid… Il ne te croit toujours pas. Et Pablo doute.

Elina inspira profondément. Le vent du soir caressait son visage, parfumé de lilas et d’essence. Elle regarda Lila avec intensité.

— Alors faisons-leur comprendre. Amène-moi le voir.

Quelques heures plus tard, elles retrouvèrent Ben au café des Glycines. Il y avait du monde, un fond sonore de discussions étouffées. Lila entama la conversation, parlant du calme d’Elina, de son implication avec Manon, du soutien qu’elle offrait à tous. Elina resta humble, les mains croisées, ne se défendant pas, se contentant d’un regard droit, honnête. Ben fronça les sourcils, troublé.

— Je t’observe depuis longtemps, Elina. Et je t’ai crue dangereuse. Mais tu es venue. Tu fais front. C’est… pas rien.

Elina hocha doucement la tête. Puis se tourna vers Lila, un éclat de reconnaissance dans les yeux. Elle jouait son rôle à la perfection. Jeanne sortirait dans trois jours. Et tomberait plus bas encore.

Il ne restait plus qu’à convaincre Pablo.

Elina sourit. Tout était en place.

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