Chapitre 36
La valise claqua, pleine à craquer. Manon gigotait dans son transat au milieu du salon, agrippant un hochet avec maladresse. Luka passa dans le couloir, une serviette sur l’épaule, la voix tranquille :
— On a tout ? Son lait, les couches, les pyjamas, la crème pour l’érythème ?
— Tout est là, sourit Elina.
Elle rayonnait. Légèrement maquillée, juste ce qu’il fallait pour effacer les cernes, Elina savourait ce moment. Enfin, une semaine à l’écart. Loin des soupçons. Loin de Jeanne.
Elle s’approcha de Manon, lui caressa doucement les cheveux. La petite gazouilla, indifférente au chaos que sa mère semait dans l’ombre.
Une fois Luka occupé à préparer les sandwiches dans la cuisine, Elina prétexta une sortie rapide — "Je vais voir si le colis est arrivé dans la boîte aux lettres."
Elle fila jusqu’au jardin.
Derrière le composteur vide, comme prévu, le petit sac noir l’attendait.
Ravi avait fait vite.
Tout était revenu entre ses mains. Les anciennes cartes SIM, des clés USB, quelques documents que Jeanne lui avait volés. Elle vérifia le contenu à toute vitesse, les mains tremblantes de satisfaction.
Elle pianota un message.
Merci. T’as été parfait.
Je te revaudrai ça. Camille va tomber, c’est promis.
Un frisson de jubilation lui traversa l’échine.
Elle planqua les affaires dans une boîte qu’elle glissa sous le siège passager dans la voiture. Personne ne remarquerait. Et surtout pas Luka.
En remontant, elle croisa son reflet dans la vitre.
Son sourire avait quelque chose de trop grand, presque irréel.
Dans la maison, Luka l’attendait avec un biberon tiède et Manon dans les bras. Il semblait calme, concentré, absorbé par sa petite fille qui tétouillait déjà en fermant les yeux.
Tout allait bien.
Ils embarquèrent. Manon somnolait dans son cosy, son doudou contre la joue. Luka réglait le GPS. Elina ferma les yeux quelques secondes. Elle allait enfin pouvoir respirer. Elle allait pouvoir…
Vibration.
Elle rouvrit les yeux.
Un message. Numéro inconnu.
Elle fronça les sourcils.
"Tu crois vraiment avoir gagné ? Tout ce que tu caches peut encore exploser. Il ne manque qu’une étincelle."
Son cœur se mit à cogner.
Elle répondit aussitôt.
Qui êtes-vous ?
Nouvelle vibration. Réponse rapide.
"Tu devrais savoir. C’est ton numéro, après tout."
Elle blêmit.
Un de ses anciens numéros. Un que Jeanne avait volé. Et qui servait maintenant à la menacer.
Elle serra les dents. La panique monta d’un coup, glaciale.
— Jeanne… souffla-t-elle à mi-voix.
Elle envoya un message en urgence à Ravi :
Urgent. Jeanne a fait une copie. Elle m’écrit depuis une de mes SIM.
Faut la retrouver. Faut la faire taire.
Elina inspira. Mais rien n’y faisait. Elle avait l’impression que l’air se raréfiait dans la voiture.
Elle composa un autre numéro.
— Allô ? Lila ?
— Hmm… t’es où ? Je t’entends mal.
— Jeanne… Jeanne a volé mes affaires. Les trucs que j’avais cachés. Mes SIM. Mes dossiers. Ravi les a récupérés mais… elle a eu le temps de copier.
— Mais t’es sérieuse ? Attends, t’as dit ça à Luka ?
Et c’est là, comme un réflexe, qu’Elina répondit à voix haute.
— Jeanne a volé mes affaires.
La voiture pila d’un coup.
Manon se mit à pleurer violemment.
Luka frappa le volant du plat de la main, les yeux rivés sur la route.
— Quoi ?
Elina raccrocha, tétanisée.
— Jeanne. Elle est entrée chez nous. Elle a volé mes affaires. Mes cartes, mon contenu privé…
Luka grogna entre ses dents, fit demi-tour en pleine route.
— Elle va m’entendre. C’est pas possible, pas encore.
— Luka, attends, c’est pas…
Mais il ne l’écoutait plus. Il fonçait.
Vers la maison de Jeanne.
Elina, elle, se contenta de fixer la route. Son cœur battait à tout rompre.
Elle savait déjà ce qu’elle allait faire.
Et elle allait pleurer encore plus fort qu’avant.
Ils venaient d’arriver. Elina tenait Manon contre elle comme un bouclier, le visage refermé, calculé. Luka, quant à lui, avançait avec une fureur qu’elle n’avait plus vue depuis des mois. Une colère glaciale et protectrice.
La porte s’ouvrit avant même qu’ils ne frappent.
Et Jeanne était là.
Sourire étalé sur le visage. Regard tranquille, presque satisfait.
— Tu veux des preuves ? demanda-t-elle en brandissant un téléphone. Regarde ça. Des échanges entre Elina et son complice. Ravi. Elle fait tomber tout le monde, Luka. Et tu fais partie des prochains.
Elina ne bougea pas.
Elle n’avait pas besoin de jouer cette fois-ci : son cœur battait fort, mais pas à cause de la peur.
Luka fronça les sourcils, s’approcha.
— Donne-moi ce téléphone.
Jeanne hésita. Juste une seconde.
Et Luka tenta de le lui arracher.
Mais elle recula vivement, se dégagea, et sans un mot, tourna les talons avant de s’enfuir en courant dans la rue.
— Putain ! pesta Luka avant de la suivre en trombe.
Elina resta figée sur le perron.
Manon gigotait légèrement dans ses bras, sans comprendre ce qui se jouait.
Elle vit Luka disparaître au coin de la rue. Elle ne courut pas. Elle ne cria pas.
Elle entra lentement dans la maison.
Tout son corps vibrait de tension.
Ses doigts se crispèrent autour de l’enfant. Ses mâchoires se serraient à s’en faire mal.
Dix longues minutes s’écoulèrent.
Puis son téléphone vibra.
Un message, envoyé depuis un numéro qu’elle reconnut immédiatement. L’un des anciens siens. L’un de ceux qu’elle avait utilisés pour coordonner les pièges, manipuler à distance, contrôler les versions.
La carte SIM qu’elle croyait perdue.
Et qu’elle savait désormais entre les mains de Jeanne.
Elle ouvrit le message.
"Tu peux sourire devant tout le monde, Elina. Moi je vais m’assurer que ce sourire t’étouffe. Je vais tout faire sauter. Et tu regarderas ton monde brûler."
Le monde se figea.
Elle relut. Encore. Une, deux, trois fois. Sa gorge se noua. Pas de panique.
Pas encore.
Mais la rage… La rage monta en elle comme un torrent.
Elle savait maintenant.
Elle avait été volée. Trahie. Et peut-être… démasquée.
Ses mains tremblaient. Elle se leva lentement.
Puis elle aperçut le vase en porcelaine, juste à côté du buffet. Un cadeau de Luka. Il tenait à cet objet.
Elle n’hésita pas.
BOUM.
Son pied partit tout seul. Le vase éclata contre le sol dans un vacarme étouffé, brisé en une centaine d’éclats tranchants.
Elle haletait, les yeux grands ouverts, tremblante, incapable de se calmer.
Manon s’était mise à pleurer, effrayée par le bruit.
Mais Elina n'entendait plus rien. Juste ce mot résonnant en boucle dans sa tête :
"Jeanne."
Elle sortit aussitôt son téléphone et tapa un message furieux à Ravi.
"Elle a utilisé une de mes cartes. Elle menace de tout cramer. Je veux qu’elle se taise. À n’importe quel prix."
Et cette fois, il n’y aurait pas de pitié.
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