Chapitre 41

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Le réveil fut brutal. Le plafond, à peine éclairé par les premiers rayons blafards d’un soleil d’automne, semblait s’étendre à l’infini au-dessus de Lila. La pièce, plongée dans une pénombre lourde, ne laissait filtrer qu’une lumière terne, maladive, presque absente. Le souffle froid d’un vent qui s’engouffrait par la moindre fissure faisait frissonner les rideaux de lin, suspendus mollement aux fenêtres. L’odeur humide et terreuse de la pluie de la veille persistait encore dans l’air, un parfum mêlé de feuilles mortes et de bitume.

Lila restait immobile, allongée sous la couette trop grande, trop vide. Le silence qui l’entourait avait le poids d’une pierre, écrasant tout autour d’elle. Ce lit, autrefois refuge des nuits partagées, était devenu un tombeau froid. Son corps semblait vouloir se fondre dans les draps, chercher une disparition éphémère, mais son esprit s’échappait, tourmenté par le vide et l’absence. Ses paupières mi-closes laissaient apercevoir des yeux lourds d’une fatigue qui allait bien au-delà du sommeil.

Autour d’elle, la chambre portait les traces de leur vie commune : un cadre photo posé sur la commode, un t-shirt plié négligemment, un livre aux pages cornées. Chaque objet semblait crier son manque, ravivant les blessures du cœur. Lila inspira profondément, l’air frais et humide emplissant ses poumons, cherchant à chasser l’oppression qui l’étouffait. Mais ce souffle apportait avec lui le souvenir cruel de la solitude, la certitude d’un lendemain à affronter sans l’autre.

Le chant lointain d’un oiseau solitaire brisa ce silence pesant, comme un écho à sa propre isolation. Elle porta la main à son visage, effaçant des larmes invisibles, et se demanda comment elle allait retrouver la force d’avancer, alors que tout semblait s’effondrer autour d’elle.

Plus tard dans la matinée, alors que Lila s’acharnait à ranger quelques vêtements sans vraiment y croire, son téléphone vibra soudain sur la commode. L’écran lumineux, avec le nom d’Eva qui s’affichait en lettres noires, fit bondir son cœur dans sa poitrine, provoquant un mélange d’espoir et d’angoisse presque paralysant. Le temps sembla suspendu.

Ses doigts tremblants effleurèrent l’écran, hésitant. Elle savait que décrocher cet appel serait comme ouvrir une porte sur un monde incertain, où les émotions seraient fortes et les blessures à vif. Elle revit les dernières paroles échangées entre elles, à la fois pleines d’amertume et de tendresse, comme un brouillard dense enveloppant son esprit.

Finalement, incapable de franchir le pas, elle laissa l’appel basculer en messagerie. La sonnerie s’éteignit, laissant place à un silence plus lourd encore. Lila se recroquevilla sur elle-même, les épaules secouées par un sanglot silencieux. La culpabilité la dévorait : avait-elle trahi un espoir, un dernier pont tendu vers Eva ? Était-ce un acte de peur ou de protection ?

Autour d’elle, les bruits de la ville s’éveillaient doucement. Des voix lointaines, le claquement d’une porte, le froissement des feuilles sous les pas des passants venaient comme des rappels du monde extérieur, du temps qui continuait de s’écouler sans elle. La pièce, aux murs neutres, semblait se refermer autour de cette décision figée, tandis que Lila restait là, prisonnière de ses contradictions.

La nuit fut un long supplice. La chambre, plongée dans l’obscurité presque totale, n’était plus qu’un vaste vide où les ombres dansaient aux rythmes de ses pensées. Lila s’était glissée sous la couette, espérant y trouver un refuge, une paix éphémère, mais les ténèbres n’avaient fait que décupler ses tourments.

Les murs, recouverts d’un papier peint aux motifs floraux fanés, semblaient se resserrer sur elle, comme pour emprisonner ses souvenirs et ses peurs. Chaque bruit extérieur – le frémissement des feuilles sur le balcon, le battement régulier d’une goutte d’eau sur le robinet, le souffle léger du vent dans la cheminée – prenait des allures menaçantes, résonnant en échos dans son esprit en pleine tempête.

Les images défilèrent, rapides et crues : les éclats de voix, les silences pesants, les regards fuyants. Elle revit les disputes où la colère masquait une détresse profonde, les instants de tendresse aussi, fragiles comme des papillons. Son corps se tendait, les mains crispées sur les draps, la poitrine haletante, alors que les larmes coulaient en silence sur ses joues mouillées.

Dans un sursaut, elle se redressa, le souffle court, le cœur battant à tout rompre. La sueur perla sur son front, tandis qu’elle tentait de dompter la panique sourde qui la gagnait. Le tic-tac de l’horloge sur le mur rythmait ces heures sans sommeil, chaque seconde creusant un peu plus son isolement. Pourtant, même dans cette nuit d’angoisse, une étincelle fragile de courage subsistait, prête à la guider vers l’aube.

Le jour tant redouté arriva enfin, chargé de promesses et de menaces. Lila s’était levée aux premières lueurs du matin, tandis qu’un brouillard dense enveloppait encore la ville. La lumière blafarde filtrait à peine à travers les fenêtres, donnant au paysage une teinte grise et indistincte.

Elle avait choisi sa tenue avec soin : un chemisier ivoire qui adoucissait les traits fatigués de son visage, un pantalon sombre et élégant qui lui donnait une allure assurée, presque guerrière. Chaque geste devant le miroir semblait renforcer son armure intérieure. Le maquillage discret soulignait ses yeux, leur donnant une profondeur nouvelle, tandis qu’un léger parfum floral enveloppait l’air autour d’elle, un contraste délicat avec la tension qui l’habitait.

En sortant de son appartement, elle sentit la fraîcheur du matin caresser sa peau, les rues encore calmes où les feuilles d’automne tourbillonnaient sous un vent léger. Le bruit feutré de ses pas sur le trottoir humide semblait résonner dans le silence, marquant chaque instant de cette matinée lourde d’enjeux.

Au fil de sa marche, elle croisa quelques passants silencieux, des silhouettes emmitouflées dans leurs manteaux, leurs visages flous sous les écharpes. Lila sentait le poids du regard de l’avenir sur ses épaules, le souffle court, mais déterminée à ne pas laisser la peur la dominer. Cette journée serait un tournant, elle en était consciente.

Pourtant, sous cette façade de courage, les doutes se glissaient en silence, comme des ombres qui s’étiraient à l’aube. Dans un petit parc aux arbres dénudés, Lila s’assit sur un banc froid, ses mains serrant son sac avec une intensité presque douloureuse. Le ciel, chargé de nuages gris et menaçants, semblait refléter ce tumulte intérieur.

Le vent agitait les feuilles mortes, leur froissement léger s’entremêlant aux murmures lointains de la ville qui s’éveillait. Les voix des passants, les éclats de rire d’enfants au loin, formaient une bande-son familière mais étrangement lointaine.

Lila laissa son regard vagabonder, perdu dans le vide, hanté par les questions qui la taraudaient : était-elle à la hauteur de ce rôle qu’elle espérait ? Serait-elle capable de construire un avenir sans Eva à ses côtés ? Chaque pensée creusait un peu plus la faille dans sa confiance.

Un frisson parcourut son échine, et elle passa la main dans ses cheveux, tentant d’éloigner cette tempête de peur et d’incertitude. Pourtant, une petite voix, faible mais persistante, lui rappelait qu’elle n’était pas seule, qu’elle pouvait puiser dans ses propres forces. Ce mince espoir, fragile comme un rayon de lumière dans la grisaille, était désormais son unique refuge.

Quelques jours plus tard, la boîte aux lettres délivra à Lila une enveloppe soigneusement cachetée, à l’en-tête officielle. Ses doigts, encore tremblants, déchirèrent lentement le papier épais. À mesure qu’elle parcourait les lignes du courrier, son souffle se fit court, et un sourire fragile éclaira son visage.

Son dossier d’adoption avait été accepté. Le poids de l’attente et de l’incertitude s’allégeait enfin, laissant place à une promesse tangible d’un nouveau départ. Les mots imprimés sur la page semblaient murmurer un avenir meilleur, une nouvelle chance offerte par la vie.

Elle resta là, immobile, le cœur battant, laissant cette bonne nouvelle pénétrer chaque parcelle de son être. Dans le silence de l’appartement, elle se permit de rêver, d’imaginer les visages qu’elle pourrait enfin serrer dans ses bras, cette famille qu’elle construirait.

Puis, lentement, la réalité s’infiltra à nouveau, mêlant à la joie la crainte de devoir affronter encore des épreuves. Mais cette fois, la lumière l’emportait sur l’ombre, et Lila sentait en elle naître une force nouvelle, prête à embrasser l’avenir.

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