Chapitre 42

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La nuit était tombée depuis longtemps, enveloppant la ville dans une obscurité feutrée. Ravi sortit de l’ombre d’une ruelle étroite et se retrouva devant un immeuble ancien, dont la façade décrépie contrastait avec les lumières tamisées filtrant derrière ses grandes fenêtres. L’air sentait le mélange lourd de fumée, d’alcool et de parfums sucrés, un cocktail presque entêtant qui le fit frissonner malgré lui. Il jeta un coup d’œil autour de lui, ses sens en alerte. La musique sourde et les éclats de voix flottaient depuis l’intérieur. Ce lieu était un repaire discret où les alliés d’Elina échangeaient des informations cruciales, souvent dans des murmures.

Ravi resserra sa veste, tentant de masquer son malaise sous une posture assurée. La pièce principale était un grand salon avec des plafonds hauts ornés de moulures anciennes, aux couleurs chaudes et patinées par le temps. Des canapés en velours bordeaux faisaient face à un bar en bois sombre où plusieurs bouteilles de whisky trônaient. Le parquet craquait légèrement sous les pas feutrés des invités, et l’éclairage doux, tamisé par des lampes à abat-jour, créait une atmosphère intime, presque conspiratrice. L’odeur du tabac mêlée à celle du bois ciré emplissait l’air, mêlant passé et présent.

En entrant, Ravi jaugea rapidement la pièce, notant les visages connus, certains souriants, d’autres tendus, et d’autres encore dissimulés derrière un masque d’indifférence. Plusieurs regards se posèrent sur lui, et il sentit un frisson d’appréhension. Il n’était pas un habitué, et pourtant ici il devait paraître crédible, confiant, partie prenante du réseau d’Elina. Il croisa les bras et chercha la silhouette familière de son contact, un homme au regard perçant nommé Sacha, dont la réputation pour la discrétion était proverbiale.

En s’approchant, il écouta distraitement les conversations. Des murmures parlaient de failles dans la sécurité, d’un possible retour de bâton, de risques à prendre avec prudence. Chaque mot, chaque phrase semblait pesé, comme si la moindre erreur pouvait tout compromettre. Ravi tâcha de ne pas paraître trop curieux, se concentrant sur l’ambiance pesante, l’impression d’une toile invisible où chaque acteur jouait sa partition avec précaution. Le parquet grinçait à ses pas, presque comme un avertissement silencieux.

Il tendit l’oreille vers un petit groupe près du bar, entendant des noms et des lieux qui confirmaient la portée du réseau d’Elina, mais aussi la fragilité des alliances. Un léger courant d’air fit vaciller les bougies sur les tables basses, et une odeur de cire brûlée vint se mêler à celle du tabac. Ravi se demanda combien de ces alliances tiendraient le choc lorsque tout éclaterait au grand jour. Il sentit un poids sur ses épaules, un mélange d’excitation et de peur, conscient que chaque mouvement pouvait sceller le destin de ceux qu’il protégeait.

Alors qu’il s’éloignait discrètement pour éviter d’attirer l’attention, son regard croisa celui d’une femme qu’il ne connaissait pas, mais dont le sourire énigmatique semblait deviner ses doutes. Le poids du secret, de la trahison, et de l’espérance formait un cocktail amer. La soirée avançait, les murmures se faisaient plus insistants, et Ravi savait qu’il devait rester vigilant. Une erreur, et tout serait perdu.

Le matin s’était levé sur la ville encore endormie, la lumière douce d’un soleil pâle filtrait à travers les stores entrouverts d’un petit appartement modeste où Ravi avait passé une partie de son enfance. Les murs jaunis portaient les traces d’un temps passé, des fissures dans le plâtre semblaient respirer avec lui, et une légère odeur de café brûlé flottait dans la cuisine à moitié vide. C’était un endroit loin des néons et des bruits de la ville, un refuge où les souvenirs s’égrenaient avec une nostalgie presque douloureuse.

Ravi s’était installé près de la fenêtre, regardant la rue silencieuse en dessous, où quelques passants matinaux avançaient d’un pas pressé. Il pouvait presque entendre le souffle calme de la ville, interrompu seulement par le cliquetis lointain d’un tramway. C’était là, dans cette lumière tamisée, que remontait le souvenir de sa sœur, bien plus jeune, souriante et insouciante, un éclat de vie dans son monde souvent gris. Elle s’appelait Anya, et malgré la rudesse de leur quotidien, elle avait ce regard lumineux qui transformait tout autour d’elle.

Ravi ferma les yeux un instant, revivant la scène comme si elle se déroulait sous ses paupières closes. Ils étaient dans un petit parc, non loin de cet appartement, où les arbres déployaient leurs branches au-dessus d’un banc fatigué. Anya riait aux éclats, tenant entre ses mains une vieille poupée usée. Le vent faisait danser les feuilles mortes, et un parfum doux et terreux montait du sol humide. C’était un après-midi simple, mais chargé de cette chaleur que seuls les moments d’enfance savent offrir.

Il se souvenait comment, malgré les difficultés, Anya lui avait toujours offert un soutien sans faille. Elle avait été sa lumière, sa raison de croire que les choses pouvaient s’améliorer. Ce souvenir le tiraillait à la fois par sa douceur et par la douleur de ce qui avait suivi, de la distance qui s’était creusée entre eux avec les années, des choix faits, des chemins qui s’étaient séparés. Ravi serra les poings, ressentant la morsure du regret mais aussi la détermination de ne pas laisser ce passé le définir.

Cette matinée silencieuse devenait un moment d’introspection, une pause dans la course effrénée où il s’autorisait à être vulnérable. Les rayons du soleil avaient maintenant gagné en intensité, illuminant la poussière flottant dans l’air, révélant les petites imperfections de ce lieu qui avait pourtant été son refuge. Une bouffée de café brûlé vint à nouveau titiller ses narines, le ramenant doucement au présent. Avec un soupir, il se redressa, prêt à affronter les combats à venir, porté par la mémoire de sa sœur et la force qu’elle lui avait donnée.

Le soir tombait sur la ville, étendant un voile orangé sur les façades des immeubles et glissant doucement vers les ruelles sombres où l’écho de pas se perdait. Dans un modeste appartement au dernier étage d’un immeuble fatigué, Ravi s’installait face à sa table de travail, où s’étalaient cartes, notes et quelques affaires personnelles. Le poids de l’attente pesait lourd sur ses épaules. Les faux passeports étaient entre ses mains depuis plusieurs jours maintenant, impeccables, prêts à effacer toute trace de leur existence passée. Pourtant, la peur ne le quittait pas.

La pièce était plongée dans une semi-obscurité, uniquement éclairée par la lumière jaune d’une vieille lampe à abat-jour, qui projetait des ombres dansantes sur les murs défraîchis. L’odeur de la vieille moquette, mêlée à celle du café noir refroidi, emplissait l’air. Ravi caressait distraitement le contour d’une photo déchirée qu’il gardait précieusement : celle de Manon, douce et innocente, endormie dans ses bras, ignorant le danger qui les guettait.

Il releva la tête vers la fenêtre où les lumières de la ville brillaient comme un ciel étoilé miniature. Chaque lampe, chaque bruit de voiture, chaque voix étouffée au loin lui rappelait que la liberté n’était qu’à portée de main, mais qu’il fallait encore tenir bon. Dans sa poitrine, un mélange étrange d’espoir et d’angoisse battait à tout rompre. Il savait que dans un mois, tout changerait. Il pourrait enfin fuir ce passé toxique, emmener Manon loin de cette spirale infernale.

Il s’assit, les mains serrées sur le bois usé de la table, le regard fixe sur les plans étalés devant lui. Les itinéraires possibles, les contacts sûrs, les points de rendez-vous minutieusement préparés. Il était méthodique, chaque détail avait été prévu pour minimiser les risques. Mais il y avait cette inconnue, ce poids invisible qui ne cessait de l’assaillir : Jeanne. La peur qu’elle ne découvre la vérité, qu’elle ne fasse tout capoter.

Une vibration sur son téléphone le fit sursauter. C’était un message de son complice, calme et rassurant : « Tout est en place. Pas un faux pas. Tu es prêt. » Ravi laissa échapper un soupir, se sentant un peu plus léger. Il posa son téléphone et ferma les yeux, laissant les bruits étouffés de la ville l’envelopper. L’attente était cruelle, mais nécessaire.

Il se leva, fit les cent pas, essayant de calmer la tempête intérieure qui menaçait de tout emporter. Le plan était là, la chance aussi. Il fallait juste tenir un mois encore, un seul mois. Il pensa à Manon, à ses petits doigts fragiles, à son sourire candide. Cette pensée lui donna la force de continuer, malgré la peur, malgré l’angoisse.

Le vent s’engouffrait par la fenêtre entrouverte, apportant avec lui le parfum humide de la nuit et la promesse d’un nouveau départ. Ravi regarda une dernière fois les documents posés sur la table, se promettant que cette fois, rien ne les arrêterait. Ils partiraient loin, très loin, et cette fois, personne ne pourrait les rattraper.

Le crépuscule s’étendait sur la ville, baignant les ruelles dans une lumière orangée mêlée aux premières ombres de la nuit. Ravi marchait d’un pas calme, presque détaché, sous un ciel lourd chargé de nuages menaçants. Le vent froid portait l’odeur de la pluie à venir, et les bruits sourds d’une circulation lointaine ponctuaient le silence urbain. Il connaissait ce quartier, sinistre et fatigué, presque à l’image de celle qu’il allait voir : Jeanne.

L’immeuble en béton brut, délavé par le temps, semblait peser sur ses fondations, ses fenêtres ternies reflétaient peu la lumière. Ravi monta les escaliers grinçants, la respiration légère, ses pensées déjà à l’affût. Il savait que cette visite serait une pièce de plus dans un jeu dangereux. La porte entrouverte ne laissait aucun doute : Jeanne était là, vulnérable, mais pas encore brisée.

Il entra dans la pièce, plongée dans une semi-obscurité où flottait une odeur âcre de tabac froid et d’alcool bon marché. Les murs jaunis par le temps semblaient se refermer sur elle. Jeanne était affalée dans un vieux fauteuil, la silhouette frêle, les yeux rouges et cernés. Elle tourna la tête vers lui, les traits tirés, le regard dur mais empreint d’une fatigue qui trahissait sa lutte intérieure.

« Tu reviens... » murmura-t-elle, la voix rauque, pleine d’un mélange d’hostilité et de résignation.

Ravi esquissa un sourire froid. « Je ne viens pas en ami, Jeanne. Je viens te parler d’avenir. » Il s’approcha, s’assit doucement sur le bord de la table, sans la quitter des yeux. « Tu sais ce qui t’attend, n’est-ce pas ? Le jugement. Le moment où tout peut basculer. »

Elle déglutit difficilement, serrant ses mains sur ses genoux comme pour retenir la tempête. « Je sais... Mais je n’ai rien fait. »

Il haussa les épaules avec un air de fausse indifférence. « Ça n’a pas d’importance, Jeanne. Ce qui compte, c’est ce que les autres veulent croire. Et ils ont décidé que tu étais la coupable. » Sa voix était basse, presque un murmure, mais chaque mot résonnait comme un coup porté.

Il s’arrêta un instant, laissant le silence s’installer, pesant. Puis, d’un ton plus menaçant, il ajouta : « Les pièces du puzzle sont en place. Les témoins prêts à parler. Même si tu penses tenir le jeu, les règles ont changé. Et tu sais que parfois, on ne peut rien contre la machine. »

Jeanne baissa les yeux, un frisson parcourant son échine. Elle sentait que ses dernières certitudes vacillaient. « Tu veux dire que c’est fini pour moi ? »

Ravi pencha la tête, un sourire froid aux lèvres. « Je ne dis rien de tel. Mais dis-toi que dans quelques semaines, quand tu seras face à eux, ce sera à toi de jouer. Et moi, je serai là pour observer. » Il se leva lentement, prêt à partir, laissant derrière lui cette atmosphère lourde, chargée de non-dits et de menaces.

Alors qu’il franchissait la porte, il lança, presque comme un avertissement : « Prends garde, Jeanne. Parce que parfois, le jeu ne se termine pas comme on l’avait prévu. »

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