Chapitre 43
La nuit avait enveloppé la ville d’un voile dense, le ciel noir semblait s’écraser sur les toits en une masse compacte. La lumière blafarde des lampadaires créait des cercles jaunâtres sur le trottoir, éclatant dans les flaques d’eau laissées par une pluie récente. L’air était lourd, chargé d’humidité et d’une odeur persistante de goudron chauffé. Jeanne avançait lentement, les mains enfoncées dans les poches de son manteau, le regard fixé sur le sol. Son esprit était tourmenté, un tourbillon d’angoisses, de doutes et de colère sourde.
Elle ne pouvait pas s’empêcher de penser à Ravi, à ses paroles qui tournaient en boucle dans sa tête, telles des lames tranchantes. « Le jeu ne se termine pas comme on l’avait prévu... » Cette phrase résonnait comme un sinistre présage. Mais elle ne voulait pas se laisser abattre. Pas cette fois. Non. Elle avait trop perdu, trop souffert.
Elle rejoignit un petit parc désert, éclairé uniquement par quelques lampadaires tremblotants. Le vent faisait bruisser les feuilles mortes, et ses pas résonnaient sur le gravier sec. Le silence était profond, presque assourdissant. Elle s’assit sur un banc froid, tentant de calmer son souffle, le cœur battant à tout rompre.
Soudain, son téléphone vibra. Un message. Elle leva les yeux, cherchant l’écran dans la pénombre. C’était un numéro inconnu. La curiosité mêlée à la peur la poussa à ouvrir.
Le message était simple, mais glaçant : « Ils savent où tu es. Tu n’es plus seule. »
Un frisson glacé lui parcourut l’échine. Elle sentit une présence oppressante derrière elle, un souffle dans son cou, le poids d’un regard invisible. Elle se leva précipitamment, le cœur au bord des lèvres, et se mit à courir, ses talons claquant sur les dalles humides.
Dans sa fuite effrénée, elle heurta un lampadaire, son front explosant en douleur. Le goût du fer dans sa bouche, la douleur vive la ramenaient brutalement à la réalité. Elle ne pouvait plus fuir. Pas cette fois. C’était un piège. Une traque.
Elle entendit des pas derrière elle, rapides, déterminés. Des voix murmuraient dans l’ombre, des rires étouffés, sinistres. La peur l’enserrait comme une cage. Son souffle se faisait court, son corps tremblait. Elle sentait la haine, la colère, le désespoir monter en elle, une rage prête à exploser.
Mais au fond, une part d’elle-même acceptait enfin la vérité : elle n’était plus la maîtresse du jeu. Elle était devenue la proie.
La nuit entière semblait s’étirer en une attente insupportable, une promesse de chaos imminent. Jeanne, seule, blessée, se préparait à affronter l’inévitable.
L’horloge murale de l’immeuble indiquait 2h14 du matin. La ville dormait d’un sommeil sale et agité, et seule la lune trouait les nuages lourds, projetant sur les rues désertes une lumière laiteuse et instable. Le silence n’était pas complet : quelques bruits lointains de moteurs, un chien qui aboyait sans conviction, une gouttière qui fuyait avec obstination. Mais dans l’appartement de Jeanne, au sixième étage, l’ambiance était plus étrange encore. Le calme y était clinique, presque mortuaire. Comme si l’endroit avait cessé de respirer avec elle.
Ravi entra doucement, sans bruit. Il n’avait pas besoin de forcer la serrure : Elina lui avait confié un double. L’odeur du renfermé et du parfum trop sucré qui s’accrochait aux rideaux l’agressa dès l’entrée. Une bougie avait dû brûler trop longtemps. Des papiers traînaient au sol. Des livres sans couverture. Des photos raturées. Le chaos des jours passés.
Il ferma la porte derrière lui et resta un instant immobile dans le vestibule. L’obscurité était presque totale, à peine percée par la lumière vacillante d’un lampadaire extérieur. Un frisson lui remonta le long du dos. Il n’avait jamais aimé cet appartement. Il l’associait à Jeanne, à son rire nerveux, à ses phrases toujours au bord de la rupture. Il savait qu’il n’avait que quelques minutes.
Il s’avança lentement vers le salon, en effleurant les murs du bout des doigts. Dans la pénombre, le mobilier semblait hostile. Les coussins étaient au sol, une lampe était renversée. Il y avait du verre brisé sous la table basse. Et là, posée sur un guéridon, une pile de documents. Ravi s’en approcha.
Son regard se posa sur une photo d’Elina. Découpée, raturée, froissée. Le sourire d’Elina semblait se moquer de lui depuis le papier. À côté, un carnet. Il l’ouvrit. Ce qu’il lut le fit presque reculer. Jeanne y avait griffonné des phrases décousues, des dates, des morceaux de dialogues qu’elle se répétait sans doute à elle-même. Certaines pages étaient pleines de rage. D’autres... d’une confusion inquiétante. Une mention revint plusieurs fois : “Je ne suis pas la mauvaise.”
Ravi soupira, puis referma le carnet. Il fouilla les tiroirs rapidement, silencieusement, ramassa quelques papiers, prit discrètement une vieille clé USB qu’il avait repérée. Puis il se releva. Il resta un instant là, debout dans le salon, le regard tourné vers la chambre, où il savait que Jeanne dormait à présent — ou du moins, qu’elle tentait de le faire.
Il ne devait pas la réveiller. Ce n’était pas le but. Ce soir, il n’était pas un bourreau. Il était un avertissement.
Il prit un stylo qu’il avait amené. Et sur un coin de nappe, à l’encre bleue, il écrivit simplement :
Tu t’approches trop du feu, Jeanne. Et le feu, cette fois, ne te fera pas de cadeau.
Puis il reposa le stylo, tourna les talons, et repartit comme il était venu, en silence, sans un regard en arrière.
Dans la rue, l’air était plus frais. Une voiture passa à toute vitesse. Il remonta la capuche de son sweat, s’enfonçant dans les ombres. Ce n’était qu’une nuit parmi tant d’autres. Mais pour Jeanne, cette nuit marquerait peut-être le début d’une lente chute.
La pluie tombait en filaments luisants, tirant des reflets troubles sur les trottoirs encore chauds de la journée. L’odeur d’asphalte mouillé se mêlait à celle du mazout, du vieux café renversé, et de la rouille d’un grillage tordu. C'était un de ces soirs où tout semble figé, mais où l'air trahit une tension souterraine. Comme si la ville retenait son souffle.
Ravi n’avait pas prévu de sortir. Mais une boule d’angoisse lui avait rongé l’estomac toute la journée. Trop d’heures à ruminer, trop de silences mal placés dans les derniers échanges avec Elina. Il avait marché sans direction, juste pour s’éloigner du poids de ses murs, de son propre reflet dans les vitres. Il avait fini par errer dans un quartier presque oublié, là où les fenêtres restent closes même à la tombée de la nuit.
Il s’arrêta un instant à un feu rouge sans voiture. Et c’est là qu’il la vit.
Jeanne.
Debout sous l’auvent décrépit d’un ancien bar, dont l’enseigne clignotait par à-coups, comme si elle expirait sa dernière énergie. Elle portait un long manteau beige, détrempé, qui pendait sur ses épaules comme une armure trop lourde. Sa chevelure collait à son visage, dégoulinante, trempée, ses cernes semblaient avoir dévoré ses yeux. Elle ne bougeait presque pas. Ses mains s’agitaient à peine, tenant un petit rectangle de papier qu’elle repliait, dépliait, pliait de nouveau. Une lettre, pensa Ravi.
Il se faufila à l’angle d’un immeuble, dans l’ombre d’un container à moitié éventré. Il ne savait pas pourquoi il faisait ça. Peut-être parce qu’il ne croyait pas en la folie complète de Jeanne. Peut-être parce qu’une part de lui voulait comprendre jusqu’où elle pourrait aller. Jusqu’où il avait, lui-même, contribué à la pousser.
Un bruit de serrure attira son attention. Juste en face de Jeanne, la porte d’un immeuble s’ouvrit en grinçant. Un homme en sortit. Grand, voûté, en peignoir gris, les traits tirés par la fatigue. Il s’arrêta net en la voyant. Ravi crut lire dans son regard de la peur mêlée à une sorte de lassitude familière.
Jeanne leva lentement les yeux vers lui. Son regard transperça la nuit comme un éclat d’obsidienne. Elle avança d’un pas, puis deux, vers l’homme. Elle ne cria pas. Sa voix, pourtant, portait étrangement dans la pluie.
— Tu croyais que j’allais disparaître ? lança-t-elle, d’un ton presque doux. Que j’allais m’évaporer, comme elles ?
L’homme recula d’un pas, la main sur la poignée de la porte.
— Tu les as vues ? Moi, je les vois. Tout le temps. Elles sont là, dans chaque miroir, dans chaque silence. Tu crois qu’elles se sont tues ?
Il tenta de refermer la porte, mais Jeanne s’en approcha d’un pas sec, la pluie battant ses épaules.
— Je t’avais dit que je reviendrais.
Ses mots n’étaient ni des menaces, ni des prières. Ils étaient quelque chose d’autre. Une sentence. Une malédiction intime.
Ravi sentit un frisson lui traverser l’échine. Il se colla contre le mur pour ne pas être vu.
Soudain, Jeanne s’effondra à genoux. Sans prévenir. Sous la pluie, sur les pavés. Elle laissa tomber la lettre, ses mains se posant sur ses cuisses comme si elles avaient cessé d’exister.
Et elle rit.
Un rire brisé, d’abord discret, puis déchirant. Grave, rauque, presque grotesque. Il vibrait dans les vitres, glissait entre les gouttes comme une plainte ancienne, un rire qu'on n'entend que dans les rêves qu'on préfère oublier.
L’homme referma la porte. Il avait fui. Ou refusé de rester témoin.
Ravi, figé, la regarda longtemps. Elle restait là, à genoux, le regard vide. Puis elle se leva, lentement, tremblante, et disparut dans l’obscurité, marchant comme un automate.
Il attendit. Il ne savait pas pourquoi. Peut-être parce qu’il n’arrivait pas à bouger. Puis il s’avança jusqu’à la flaque où elle s’était tenue.
Le papier était toujours là. Trempé, collé au sol.
Il se baissa, le ramassa. La lettre était à moitié illisible. L’encre avait coulé, formant des arabesques tristes. Mais au bas de la page, une phrase, écrite plus fort, résistait encore :
Vous ne savez pas ce que vous avez déclenché.
Ravi plia le papier avec soin, comme on plie un talisman, puis le glissa dans la poche intérieure de sa veste.
Il ne pleuvait plus.
Mais l’air semblait plus lourd encore qu’avant l’averse.
La chambre d’hôpital était silencieuse, presque trop propre. Un parfum de désinfectant flottait dans l’air, se mêlant à la fadeur des rideaux beiges et à la lumière froide qui traversait les vitres. Jeanne, toujours faible, reposait sur son lit. Ses doigts pâles jouaient distraitement avec le bord d’un drap, songeuse, son regard perdu sur un point fixe du plafond. L’atmosphère était cotonneuse, pleine de ces instants suspendus où rien ne semble réel. Elle avait demandé à ne recevoir aucune visite. Mais Ravi s'était présenté quand même.
Il entra sans frapper, un petit sac à la main. Il avait l’air calme, presque affable, vêtu d’un long manteau noir dégoulinant d’eau de pluie. Il posa le sac sur la table d’appoint, s’approcha d’elle lentement, ses chaussures mouillant à chaque pas le carrelage. Jeanne tourna la tête vers lui, les yeux plissés par la méfiance.
— Qu’est-ce que tu fais là ? murmura-t-elle.
Ravi lui offrit un petit sourire, calme, presque compatissant.
— On dit que le silence devient lourd quand il n’est pas partagé. Je me suis dit que tu aurais besoin de quelqu’un qui ne pose pas de questions.
Elle le fixa un instant. Puis baissa les yeux. Il s'assit dans le fauteuil à côté du lit, sans attendre d'y être invité. Le cuir craqua doucement sous son poids. Pendant quelques minutes, il ne dit rien. Il l'observait, et elle le savait. Elle détestait ça. Elle détestait ce regard trop doux, trop compréhensif. Ça cachait quelque chose. Et elle n’avait pas l’énergie de deviner quoi.
Puis, d’une voix presque murmurée, Ravi glissa :
— Tu sais... parfois, le mensonge ne se trouve pas dans ce qu’on dit. Mais dans ce qu’on choisit d’oublier. Dans ce qu’on enterre. Et qui finit toujours par remonter.
Jeanne releva la tête, les sourcils froncés.
— Tu parles de quoi, là ? Qu’est-ce que tu veux ?
Il haussa les épaules, comme si c'était sans importance.
— Je me disais simplement… Si quelqu’un t’avait fait tout ce que tu dis qu’Elina t’a fait… est-ce que tu ne chercherais pas à te venger aussi, un jour ? Peut-être que tu l’as fait sans t’en rendre compte. Peut-être que tout ce qui t’arrive… c’est une conséquence. Pas une cause.
Ces mots, prononcés avec une neutralité glaçante, laissèrent un vide dans la pièce. Jeanne ouvrit la bouche, mais rien n’en sortit. Une douleur sourde serrait sa poitrine. Quelque chose dans ce qu’il venait de dire l’avait ébranlée — non pas parce que c’était vrai, mais parce que c’était formulé comme une vérité possible.
Ravi se leva lentement, comme s’il avait fini ce qu’il avait à faire. Il se pencha légèrement vers elle, les deux mains dans les poches.
— Prends soin de toi, Jeanne. Les procès… ça casse des gens. Et pas toujours ceux qu’on croit.
Et il sortit, laissant derrière lui le froid, le doute, et l’écho d’une vérité cruelle, distillée avec précision.
Le soir tombait sur la ville comme un rideau de velours humide. Les réverbères s’allumaient les uns après les autres, diffusant une lumière jaune pâle sur les trottoirs brillants de pluie. Ravi marchait sans se presser, les mains dans les poches de sa veste en cuir, son écharpe noire flottant légèrement dans le vent. Il connaissait ce quartier par cœur — ou plutôt, il connaissait les ombres qui y régnaient. Chaque angle, chaque ruelle, chaque bar oublié lui avait servi au moins une fois. Ce soir, il se dirigeait vers un immeuble discret, au fond d’un cul-de-sac, là où personne ne venait jamais sans raison.
Un vieil ascenseur l’emmena au quatrième étage. Il frappa trois fois, distinctement, sur la porte en fer. Celle-ci s’ouvrit sur un homme à l’allure sèche, des lunettes épaisses sur le nez, qui ne dit pas un mot. Il le fit entrer, referma derrière lui, puis le mena à un bureau couvert de papiers, d’imprimantes, de faux tampons, et d’ordinateurs ouverts sur des logiciels à l’apparence illégale.
— C’est prêt ? demanda simplement Ravi.
L’homme hocha la tête, tendant une enveloppe épaisse. À l’intérieur, deux passeports neufs, des billets d’avion, et des faux certificats médicaux. Ravi les parcourut du regard, s’assurant que les identités étaient bien celles convenues : Manon devenait Clara, Elina devenait Léa Rinaldi, une mère célibataire ayant obtenu l’autorisation de quitter le territoire pour raisons humanitaires.
— Rien ne doit remonter, insista Ravi.
— Rien ne remontera, répondit l’homme en rangeant rapidement les copies et en brûlant les premières versions avec une flamme bleue au fond d’un cendrier.
Ravi sortit une liasse de billets de sa veste et la posa sur la table. Il ne rajouta rien. Il n’avait pas besoin. Le regard de l’homme suffisait à comprendre que la transaction était terminée. Une fois dehors, il alluma une cigarette, la première de la journée, et inspira lentement, profitant de la morsure de la nicotine dans sa gorge. Tout était prêt. Le départ d’Elina était désormais une question de temps… et de silence.
Mais Ravi ne se dirigea pas directement vers chez lui. Il prit un détour, une habitude qu’il n’avait jamais perdue. Il s’arrêta à un petit café encore ouvert, presque désert, où il demanda un espresso noir. La serveuse ne lui posa aucune question. Il sortit de sa poche un vieux carnet, à la couverture noire, dans lequel il notait tout. Il ouvrit une page neuve, et y écrivit, de son écriture serrée :
« Jour 237 — Les papiers sont entre mes mains. Dans un mois, elle ne sera plus là. Et l’autre, la grande comédienne, Jeanne, tombera. Ou tombera encore plus bas. Quoi qu’il en soit, on ne la relèvera plus. Elle aura beau crier, pleurer, supplier, plus personne ne voudra entendre sa version. Surtout pas après ce que Lila s’apprête à découvrir. »
Il referma le carnet et le rangea sous sa veste. En sortant du café, le vent avait forci. Il aimait ce genre de nuit : les gens rentraient chez eux, les portes se fermaient, les lumières s’éteignaient. Et pendant ce temps-là, ceux comme lui pouvaient agir. En silence. Sans obstacle.
Il s’éloigna, disparaissant dans la brume des phares, comme un spectre sans nom. Il savait qu’il venait de signer la dernière étape. Le sablier était renversé. Et les grains de sable, désormais, tombaient tous du côté d’Elina.
Le lendemain, un voile gris recouvrait le ciel. Pas un rayon de soleil ne perçait. C’était une de ces journées qui paraissent suspendues, où tout semble avancer au ralenti. Ravi, vêtu d’un manteau long anthracite, attendait sur un banc en bois délavé, dans un petit square à moitié vide. Quelques enfants jouaient au loin sous le regard distrait de leurs mères, et un vieux monsieur jetait des miettes de pain à des pigeons grassouillets.
Mais lui, il n’était pas là pour la tendresse du décor. Son regard était fixé sur un adolescent nerveux, qui approchait à pas lents en regardant ses pieds.
— Joris ?
L’adolescent leva la tête. Dix-sept ans, sweat noir trop grand, capuche sur la tête malgré l’absence de pluie. Les cernes sous ses yeux trahissaient des nuits agitées. Il hocha timidement la tête et s’assit sans dire un mot, laissant un petit sac tomber à ses pieds.
Ravi ne perdit pas de temps. Il sortit un dossier manille de sa sacoche, et le posa sur ses genoux. À l’intérieur, quelques photos, des notes manuscrites, et une déposition entièrement rédigée.
— Tu n’auras qu’à lire ça au tribunal, déclara Ravi d’un ton neutre. Tu n’auras pas besoin d’improviser. On t’a vu. Tu étais là. Tu as tout entendu. Tu es l’unique témoin qui n’a rien à gagner.
Joris ouvrit le dossier d’une main tremblante. Son regard se posa sur les phrases. « Jeanne D. tenait Elina par le bras, la secouait violemment. Elle hurlait. Elle parlait de vengeance. Elle a dit “je vais ruiner ta vie”. Elina pleurait, elle essayait de s’enfuir. »
Le garçon referma le dossier sans lire plus loin.
— Je n’ai pas vu ça, murmura-t-il. Je… je ne sais pas si je peux.
Ravi pencha légèrement la tête, comme s’il observait un insecte fascinant.
— Tu sais ce que ta mère risquerait, si on apprenait que c’est elle qui a aidé ton frère à planquer sa voiture après l’agression de cet étudiant ?
Un silence de plomb s’abattit entre eux. Les pigeons s’étaient envolés. Un vélo passa lentement sur le chemin de gravier.
— Je… je veux pas qu’elle ait de problème, souffla Joris.
— Alors lis le dossier. Et quand tu témoigneras, tu t’accrocheras à chaque mot comme si ta vie en dépendait. Parce que c’est le cas, Joris. C’est le cas.
Ravi se leva sans un mot de plus. Il se contenta de poser une main sur l’épaule de l’adolescent, une pression douce mais lourde de sens. Puis il s’éloigna, laissant le garçon seul avec ses décisions.
Sur le chemin du retour, Ravi s’arrêta à un kiosque et acheta un journal local. À la troisième page, un encart discret mentionnait l’audience à venir de Jeanne, fixée dans moins de trois semaines. Tout se mettait en place. Elina serait prête à partir. Manon aussi. Les passeports étaient dans un endroit sûr. Et maintenant, l’arme la plus redoutable : le témoignage d’un “tiers objectif”, qui réduirait les paroles de Jeanne à de la folie, du délire paranoïaque.
Il glissa le journal dans sa sacoche, regarda brièvement son reflet dans la vitre d’un commerce fermé. Le même sourire discret, presque imperceptible, se dessina sur son visage.
Il ne restait plus qu’à attendre que la dernière pièce tombe.
Annotations
Versions