Chapitre 49

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La porte d’entrée claqua avec violence.

Jeanne sursauta, manquant de renverser la tasse de café qu’elle tenait entre ses mains. Elle se retourna, le souffle suspendu, juste à temps pour voir Pablo surgir dans le couloir de son immeuble, le visage déformé par une colère brute, presque animale. Il avançait d’un pas sec, la mâchoire contractée, les yeux injectés de rouge. Elle ne l’avait pas vu depuis des semaines — depuis que tout s’était écroulé entre eux, depuis qu’il s’était muré dans le silence. Et là, il était là, devant elle. Brûlant.

« T’as vraiment osé faire ça ?! » hurla-t-il, agitant une feuille de papier tremblante entre ses doigts.

Jeanne, abasourdie, recula d’un pas.
« Pablo ? Qu’est-ce que tu racontes ? »

« Tu joues encore la comédie ?! » Il éclata d’un rire sec, presque douloureux. « T’as vraiment cru que tu pourrais détruire ma vie et t’en sortir tranquille ? Regarde ça. »

Il jeta la lettre sur la table basse avec violence. Le papier froissé trembla quelques secondes avant de se stabiliser. Jeanne s’en approcha, les doigts hésitants. Le courrier était tapé à l’ordinateur, mais signé à la main… de son prénom.

« Je ne t’oublierai jamais. Tu es le pire homme que j’ai rencontré, et tu mérites de tout perdre. Je t’ai puni. »
Le tout signé : Jeanne D.

Son cœur fit un bond.
« Mais… ce n’est pas moi. Je n’ai jamais écrit ça. Je n’ai même pas ton adresse postale. »

Mais Pablo ne l’écoutait pas. Il jeta sur la table une série de photos imprimées – des clichés flous, granuleux, mais reconnaissables. Lui, en train d’embrasser une fille aux cheveux blonds, perruque visiblement, taches de rousseur fausses, dans ce qui ressemblait à l’arrière-salle d’un bar.

« Et ça ? Tu vas me dire que t’as rien à voir avec ça non plus ? Ma copine a tout vu. Elle a reçu ces photos par mail… et deux jours plus tard, elle me larguait. Merci Jeanne. Merci pour tout. »

Jeanne sentit son estomac se tordre. Un vertige la saisit. Elle reconnaissait les manipulations, les signes… C’était un piège. Quelqu’un avait tout orchestré. Et ce quelqu’un… savait comment appuyer là où ça ferait mal.

Elle releva les yeux vers Pablo. « Je te jure que je n’ai rien envoyé. Je ne t’ai pas tendu de piège. Je ne sais même pas qui est cette fille. Tu sais très bien que je n’aurais jamais fait ça. »

Mais il secouait la tête, hermétique, les lèvres serrées. « C’est fou à quel point tu peux manipuler les gens. Je me suis vraiment fait avoir. T’es une folle, Jeanne. Tu m’as toujours fait flipper, maintenant je comprends pourquoi. »

Ses mots étaient des coups. Elle recula, comme frappée dans la poitrine. Il n’y avait plus d’écoute. Plus de possibilité de le raisonner. Il était déjà perdu pour la vérité.

Il tourna les talons sans ajouter un mot, et claqua la porte en partant, laissant dans l’air un goût de rage et d’abandon.

Jeanne resta là, figée, le cœur au bord des lèvres. Elle se sentit soudain comme étrangère à sa propre vie. Les photos, la lettre, la rage de Pablo — tout sonnait comme une machination. Une mise en scène minutieuse. Quelqu’un voulait la briser. Et maintenant, même Pablo — celui qu’elle avait aimé, malgré tout — était devenu une pièce sur l’échiquier contre elle.

Elle prit lentement la lettre entre ses doigts. Les lettres étaient nettes, glaciales. Mais la signature... elle ne l’avait jamais tracée. Et pourtant, elle ressemblait trait pour trait à la sienne.

Une seule pensée traversa alors son esprit, implacable :

« On essaie de me faire passer pour folle. »

Jeanne marchait d’un pas lent dans la vieille rue pavée, ses chaussures résonnant doucement sur les pierres usées par le temps. L’air était frais, chargé d’une légère odeur de pain chaud qui s’échappait d’une boulangerie proche. Autour d’elle, le va-et-vient des passants formait un murmure ininterrompu. Pourtant, certains mots, portés par le vent, parvenaient distinctement à ses oreilles.

« Tu as entendu ? Pablo, il a coupé les ponts avec elle. » Une femme à la démarche pressée glissait cette phrase comme un venin, le ton chargé de reproche.
« Oui, c’est plus qu’une histoire d’amitié maintenant. Il a confié qu’elle l’a trahi, » répondit un homme au regard inquiet.
Jeanne sentit un nœud douloureux se former dans sa gorge. Chaque phrase était une lame invisible, un poids qui l’écrasait un peu plus.

Elle croisa le regard d’un vieil homme, qui fronça les sourcils en la voyant. Son expression mêlait surprise et jugement. Elle baissa les yeux, les joues brûlantes de honte et de colère, se sentant soudain étrangère au monde autour d’elle.

Le vent jouait avec ses cheveux, tandis qu’un chien aboyait au loin, mais Jeanne n’entendait plus que ces paroles lancinantes qui faisaient grandir la rumeur comme une ombre menaçante.

Son cœur battait fort, presque douloureusement, alors qu’elle se remémorait les jours passés avec Pablo, leur amitié sincère désormais piétinée par de fausses accusations.

Elle accéléra le pas, le visage crispé, luttant contre l’envie de crier que tout cela était un mensonge. Mais la voix de la foule, même vague, semblait décider de sa culpabilité.

Le poids de l’injustice l’écrasait, lui faisant presque perdre l’équilibre. Elle serra les poings, déterminée à ne pas se laisser dévorer par la rumeur.

Assise seule à une petite table en terrasse, Jeanne tentait de calmer les battements désordonnés de son cœur. L’odeur âcre du café fraîchement moulu flottait dans l’air, mêlée aux effluves sucrés des viennoiseries exposées derrière la vitre. Le soleil caressait doucement sa peau, mais elle ne sentait plus rien d’autre que la tension qui l’étreignait.

Deux femmes à la table voisine parlaient à voix basse, mais pas assez pour qu’elle ne puisse pas entendre. Leurs mots coupaient l’air comme des flèches acérées.
« Tu as entendu pour Jeanne ? » demanda l’une, sa voix douce teintée de commérage.
« Oui, Pablo ne lui parle plus, il paraît qu’elle a fait quelque chose de grave. »
Jeanne sentit ses mains se crisper autour de sa tasse, la chaleur du liquide lui brûlant presque les doigts.

« On raconte qu’elle a envoyé des choses fausses pour lui nuire, » poursuivit l’autre, un sourire mauvais aux lèvres.
Les syllabes résonnaient dans sa tête, lourdes d’accusations. Elle voulut se lever, crier, mais une boule se forma dans sa gorge.

Elle tourna lentement la tête, croisant leurs regards. L’un était froid, l’autre presque triomphant. Jeanne détourna le regard, le visage brûlant de honte. Autour d’elle, les conversations semblaient s’être arrêtées, comme si le temps lui-même retenait son souffle.

Un léger frisson parcourut son dos. Elle avait l’impression d’être observée, jugée, condamnée sans procès. La ville semblait soudain plus hostile, plus étrangère.

Elle prit une profonde inspiration, essayant de faire taire le tumulte dans son esprit. Mais à chaque seconde, le poids de leurs paroles la poussait un peu plus vers le désespoir.

Jeanne s’était réfugiée dans un bar, espérant trouver un peu de répit dans le brouhaha familier des conversations et de la musique douce. L’odeur du malt et du bois ciré emplissait la pièce, mélangée à celle du tabac froid. Elle chercha une place près de l’écran de télévision, attirée malgré elle par ce qui allait passer.

Le présentateur apparut à l’écran, visage sérieux, annonçant un reportage local sur les accusations qui circulaient à son sujet.
« Jeanne D., ancienne amie proche de Pablo, fait face à des accusations graves… »
Les images s’enchaînèrent, montrant des photos floues, des extraits de messages anonymes, et des témoignages à charge.

Jeanne sentit son ventre se nouer. Les regards des clients du bar se posèrent sur elle, lourds de sous-entendus. Un homme à la table voisine murmura à son compagnon :
« Je ne comprends pas comment Pablo a pu lui faire confiance… »
Un autre hocha la tête avec dédain.

Elle serra sa mâchoire, le cœur battant la chamade. La lumière bleue de l’écran accentuait la pâleur de son visage, son isolement.

Elle tenta de détourner les yeux, mais les mots continuaient de tourner dans sa tête. « Manipulatrice », « trahison », « tricherie »… Des étiquettes collées à son nom comme des chaînes.

Son souffle se fit court, une nausée lui monta. Le tumulte de la foule semblait se refermer autour d’elle, étouffant toute possibilité de défense.

Le vent s’engouffrait dans les ruelles, faisant voler les feuilles mortes aux pieds de Jeanne. L’air avait ce parfum humide et terreux propre aux matinées d’automne, et le ciel gris semblait peser sur la ville. Chaque pas qu’elle faisait résonnait entre les murs étroits, mais ce qui retentissait plus fort, c’était les voix qu’elle entendait tout autour.

« Pablo lui a retiré son amitié, c’est clair que ça ne s’invente pas, » dit un jeune homme en fumant une cigarette, ses yeux scrutant les alentours comme s’il attendait de la croiser.
« Ouais, et Elina a bien fait en sorte que tout le monde la voie comme une manipulatrice. »
Une fille à ses côtés haussa les épaules, l’air de ne pas vouloir s’en mêler.

Jeanne passa à côté d’eux, sentant leurs regards lourds comme des chaînes sur sa nuque. Son cœur se serra et une boule amère monta dans sa gorge.

Elle ralentit, un frisson courant le long de ses bras. « Personne ne veut plus s’approcher d’elle, » entendit-elle comme un verdict cruel.

Le bruit des voitures au loin, le cri d’un enfant, tout cela formait une cacophonie à laquelle elle ne voulait plus appartenir.

Les battements de son cœur martelaient ses tempes. Elle voulait hurler, prouver son innocence, mais les mots restaient coincés.

Elle reprit sa marche, chaque pas plus lourd que le précédent, sous le poids de la solitude.

La lumière blafarde des néons éclairait froidement le hall de la mairie. Jeanne sentit la morsure de l’air climatisé sur sa peau, mélange de métal et d’odeur de papier vieilli. Le va-et-vient des employés semblait indifférent à sa présence, pourtant elle était au centre d’une attention silencieuse.

En ouvrant sa boîte aux lettres, elle découvrit un dossier soigneusement caché entre des factures. Le papier était épais, rempli de photos retouchées, de faux documents et de lettres anonymes destinées à la discréditer.

Elle sentit ses doigts trembler, le froid lui remontant jusqu’aux os. Quelqu’un voulait la faire tomber, la détruire aux yeux de tous, et cette fois-ci, ce n’était plus seulement des rumeurs dans la rue.

Un employé municipal passa à côté d’elle, chuchotant à un collègue : « On nous a demandé de la surveiller de près… »
Jeanne sentit un frisson glacé la parcourir, l’impression d’être traquée.

Elle serra le dossier contre elle, déterminée. Plus que jamais, elle devait trouver la vérité et contrer cette injustice.

Le poids de la menace s’alourdissait, mais il réveillait aussi en elle une force insoupçonnée.

L’air était lourd ce soir-là, chargé d’une odeur de pluie imminente et de feuilles mouillées, quand Jeanne aperçut Elina au bout de la ruelle étroite, éclairée faiblement par un réverbère vacillant. Autour d’elles, le murmure lointain de la ville s’estompait, remplacé par le bruissement des feuilles mortes et le claquement occasionnel d’un passant pressé. Elina s’avança, le visage calme, mais ses yeux brillaient d’une froide détermination.

« Tu pensais t’en sortir comme ça ? » lança-t-elle, la voix basse, venimeuse. « Tu vas récolter tout ce que tu as semé, Jeanne. Je te l’ai déjà dit : ça ne s’arrête pas à moi. Tous ceux à qui tu as fait du mal vont payer. » Son sourire était amer, presque cruel, comme une promesse de vengeance.

Sans réfléchir, la colère de Jeanne explosa. Elle leva la main et claqua une gifle nette sur la joue d’Elina. Le claquement résonna contre les murs étroits, brisant le silence. Elina cligna des yeux, surprise, puis son sourire s’élargit, presque amusé.

  • « Tu es toujours aussi pathétique, » murmura-t-elle, puis sans prévenir, elle frappa Jeanne d’un coup sec au bras. La douleur piqua vivement, mais Jeanne ne recula pas, le souffle court, le cœur battant à tout rompre.

Soudain, des pas lourds retentirent dans la ruelle. Luka déboula, le visage fermé, son regard lançant des éclairs vers Jeanne. Il s’approcha d’Elina et posa une main protectrice sur son épaule, fronçant les sourcils avec colère.

  • « Ça suffit, Elina. » Sa voix était ferme, sans appel. Puis, se tournant vers Jeanne, il ajouta d’un ton sec : « Toi, dégage. Si tu veux pas que ton dossier à la gendarmerie grossisse, tu ferais bien de t’éloigner. »

Jeanne sentit la tension monter en elle, la peur se mêlant à l’injustice de la situation. Elle regarda Luka, son propre frère, en protecteur d’Elina, et son cœur se serra douloureusement. Elina, de son côté, affichait un sourire triomphant, comme si cette scène était une victoire, une humiliation de plus à lui infliger.

Le froid s’infiltrait dans ses vêtements, la pluie commençant à tomber en fines gouttes sur son visage. Pourtant, malgré la douleur et la menace, Jeanne sentit une force silencieuse grandir en elle. Elle recula lentement, le regard fixé sur Elina, consciente que la bataille ne faisait que commencer.

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