Chapitre 51
Le soleil d’automne baignait la petite maison de Sophie d’une lumière douce, presque triste. L’air était chargé d’une odeur mêlée de vieux bois et de linge propre. Élina poussa la porte grinçante avec précaution. Chaque pas soulevait une poussière légère qui dansait dans les rayons du soleil filtrant à travers les rideaux jaunis. Le silence pesait lourd, ponctué uniquement par le bruit feutré des pages qu’elle tournait.
Dans le salon, une vieille boîte en carton usé reposait sous la table basse. Élina s’agenouilla lentement, ouvrant le couvercle qui grinça. À l’intérieur, parmi des papiers chiffonnés et des photos jaunies, elle aperçut un carnet à la couverture délavée. Elle le prit délicatement, sentant le cuir craquer sous ses doigts.
La première page était griffonnée d’une écriture fine et tremblante, celle de Sophie. Élina lut les mots comme s’ils étaient des poignards : « Aujourd’hui encore, Stella m’a traitée de ratée... » Au fil des pages, elle découvrit les douleurs, les humiliations quotidiennes, les insultes lancées par Stella. La solitude profonde de Sophie éclatait en mots noirs, des poèmes tristes, des dessins qui témoignaient d’une détresse muette.
Un frisson glacial parcourut le dos d’Élina. Elle s’effondra doucement sur le vieux tapis élimé, serrant le carnet contre elle. La pièce, enveloppée de l’odeur familière de la lavande séchée que Sophie aimait, semblait pleurer avec elle. Le poids du silence se fit presque palpable. Elle comprit alors que cette découverte n’était pas un hasard : c’était un appel, un serment silencieux qu’elle se faisait à elle-même.
« Tu ne resteras pas seule, Sophie, » murmura Élina, la voix brisée par l’émotion. La rage monta en elle, froide, implacable. Elle savait maintenant ce qu’elle devait faire. Elle ne laisserait pas cette douleur s’éteindre dans l’oubli. C’était le début d’une vengeance méthodique, une justice qu’elle voulait pure, implacable, pour que la mémoire de Sophie ne soit plus piétinée.
Les rues de la ville se paraient des teintes chaudes et orangées du crépuscule. Une lumière douce filtrait à travers les feuillages des arbres qui bordaient la rue pavée. L’air frais portait avec lui une légère odeur de terre humide mêlée à celle des feuilles tombantes. Élina s’était installée dans sa voiture sombre, garée à bonne distance de la maison de Stella, un imposant bâtiment ancien aux volets blancs encore illuminés des derniers rayons du soleil.
Autour d’elle, la vie de quartier battait son plein : les enfants couraient en riant, une vieille dame promenait son chien aux allures fatiguées, et un couple d’amoureux se tenait la main en chuchotant. Tout semblait si calme, si ordonné, et pourtant, Élina sentait le poids de ses pensées peser lourd dans ce décor presque idyllique. Le vrombissement lointain d’une voiture, le claquement sec d’une porte, les bribes de conversations lointaines se mêlaient au bruit de la nature s’endormant doucement.
À travers le pare-brise embué, elle observait Stella qui sortait enfin de la maison. Sa silhouette se détachait sur le fond doré des arbres. Stella portait un tailleur bleu marine parfaitement ajusté, ses cheveux soigneusement coiffés. Son sourire éclatant illuminait son visage, un masque immuable qui semblait cacher tout ce que Élina connaissait pourtant si bien. Stella s’agenouilla pour accueillir ses enfants avec tendresse, leurs rires cristallins résonnant dans la rue silencieuse. La scène aurait pu être parfaite, si seulement elle ne réveillait pas en Élina cette colère sourde.
Les mains d’Élina, crispées sur le volant, trahissaient son trouble intérieur. Son cœur battait avec un mélange d’amertume et de détermination. Elle détaillait chaque geste de Stella, chaque mouvement. L’heure exacte où elle allait à la boulangerie, le temps qu’elle passait à préparer le dîner, la façon dont elle vérifiait son téléphone à plusieurs reprises, toujours préoccupée. Élina s’imaginait des secrets enfouis derrière cette façade de perfection.
À mesure que la lumière déclinait, les ombres s’allongeaient, glissant silencieusement sur les murs et les trottoirs. Une légère brise fit frissonner Élina, soulevant quelques feuilles mortes qui dansaient au vent. Elle se sentait à la fois spectatrice et actrice de ce théâtre silencieux, où chaque détail pouvait devenir une arme. Dans la pénombre grandissante, les lumières de la maison s’éteignaient une à une, plongeant l’intérieur dans une obscurité douce et inquiétante.
Malgré le calme apparent, Élina était consciente que cette première phase n’était qu’une étape. Elle devait encore percer les secrets cachés derrière cette vie soignée, trouver les fissures dans le vernis, pour frapper là où ça ferait le plus mal. La pensée de Sophie revenait sans cesse, alimentant son feu intérieur. Elle savait qu’elle ne pourrait avancer sans une patience glaciale, un calcul précis, et cette froide certitude que la vengeance serait sa seule justice.
Le vent glacial de fin d’automne balayait les feuilles mortes sur le trottoir, leur bruissement s'ajoutant au murmure distant des passants. Dans le petit appartement au troisième étage d’un immeuble ancien, Stella ouvrait nerveusement son téléphone. Une nouvelle notification s’affichait : un message anonyme, court, tranchant, qui la figea sur place. « T’as vu ta gueule ? Même ton ombre a honte. » Les mots la ramenèrent brusquement aux années de collège, quand Sophie, la fragile Sophie, subissait ses moqueries cruelles. Un goût métallique envahit sa bouche, mélange d’angoisse et de colère rentrée.
Elle tenta de secouer cette sensation oppressante, croyant d’abord à une mauvaise blague. Mais les messages continuaient à pleuvoir, chaque notification allongeant une liste silencieuse de reproches. « Un jour, tu disparaîtras, et personne ne s’en souciera. » Et toujours, la signature glaciale : « S. » Sur les réseaux sociaux, les commentaires anonymes faisaient lentement le tour de ses publications, invisibles pour certains, visibles pour d’autres, mais qui creusaient en elle une peur sourde, impossible à ignorer.
Le café du coin, avec son odeur de pain chaud et d’arômes torréfiés, contrastait violemment avec ce tumulte intérieur. Élina, confortablement installée dans un fauteuil près de la fenêtre, observait son écran d’un air satisfait. Le sourire de Stella, capturé dans ses stories Instagram, se transformait peu à peu en crispation. Élina sentait ce frisson dans son dos, cette panique rampante, la peur distincte qui sentait le fer et la chair brûlante. « Ce n’est que le début », pensa-t-elle, ravie de voir la justice commencer à frapper.
Elle se souvenait des jours où elle avait elle-même été réduite au silence, des heures passées à ruminer sa douleur et sa rage, avant que tout éclate. Maintenant, elle orchestrerait la revanche avec une précision chirurgicale. Chaque message était choisi, chaque mot calculé pour faire renaître le poids de la culpabilité. Et tandis que Stella levait les yeux vers les passants pressés dans la rue, elle réalisa que son monde, jadis si sûr, commençait à se fissurer.
Dans la nuit qui tombait, Stella reçut un nouveau message, cette fois plus direct : « Tu n’échapperas pas à ce que tu as fait subir. » La lumière blafarde des lampadaires filtrait à travers ses rideaux, projetant des ombres mouvantes sur ses murs. Son cœur battait fort, la sueur perlait sur ses tempes. Elle tentait de se convaincre que ce n’était qu’une manœuvre, mais ses mains tremblaient et sa respiration s’accélérait.
Élina, de son côté, posa son téléphone et ferma les yeux un instant, laissant le calme envahir son esprit. Elle savait que ce retour du passé ne ferait que commencer à bouleverser Stella, que la peur allait grandir, que la colère enfouie allait exploser. Mais elle savourait cette patience, cette lente montée en tension. La vengeance, pour elle, était une symphonie à jouer lentement, note après note.
Alors que les premières étoiles apparaissaient dans le ciel, Élina se leva, prit son manteau, et sortit dans l’air frais. Le bruissement des feuilles mortes accompagnait ses pas. Elle s’éloignait, certaine que bientôt, Stella ne serait plus la même. Que l’ombre de Sophie planerait sur chacune de ses journées. Et qu’Elina, silencieuse et invisible, serait la seule à en récolter le fruit.
Élina avait cherché longtemps avant de retrouver Naëlle, une ancienne camarade que Stella avait aussi humiliée, notamment à cause de son poids. Pour l’approcher sans éveiller de soupçons, elle se fit passer pour une journaliste réalisant un reportage sur le harcèlement scolaire. Elle proposa un rendez-vous sous couvert d’anonymat. Naëlle, hésitante, finit par accepter.
Dans le petit appartement au parfum doux de thé aux fruits rouges, Naëlle servit la boisson en tremblant légèrement. Élina observa les gestes hésitants, puis brisa le silence :
— « Tu… tu veux vraiment parler de tout ça ? »
Naëlle baissa les yeux, un souffle coupé :
— « Je n’en ai jamais parlé à personne. Pas vraiment. »
Puis, lentement, elle sortit une vieille boîte en carton. Elle en tira des photos jaunies, des lettres froissées, des dessins moqués. Sa voix se fit cassée, fragile :
— « Regarde ça… Des années à se moquer de moi. De mon corps, de mes vêtements. J’entendais encore ses mots, chaque jour : ‘T’es grosse, personne t’aimera jamais.’ »
Élina, serrant les poings dans sa poche, répondit doucement :
— « Et toi, ça t’a détruite. »
Naëlle hocha la tête, une larme glissa sur sa joue.
— « Il y a eu ce jour… je suis restée enfermée trois heures dans les toilettes. J’ai pleuré comme si ça allait tout changer. Mais ça n’a rien changé. »
Silence. Puis Élina demanda d’une voix ferme :
— « Tu l’as revue, non ? Stella. »
Naëlle frissonna.
— « Oui… Je l’ai croisée en ville. Elle riait avec ses amis, heureuse, comme si rien n’était arrivé. Ça me tue, tu sais. C’est injuste. »
Élina posa sa tasse sur la table, le regard dur :
— « Elle le sera moins bientôt. »
Naëlle leva les yeux, surprise :
— « Comment ça ? »
— « Tu n’as pas idée de ce qui arrive. Ce n’est que le début. »
Naëlle murmura, les doigts serrés autour de sa tasse :
— « J’aimerais tant qu’elle comprenne… qu’elle demande pardon. »
Élina répondit simplement, presque comme une promesse :
— « Elle n’a jamais demandé pardon. Elle ne le fera pas. Mais elle va apprendre. »
Le silence retomba, plus lourd que jamais. Dans ce petit salon, une alliance silencieuse venait de naître, prête à faire tomber le masque de Stella.
Un matin encore embrumé par le sommeil, Stella se dirigea vers la porte de sa maison, un café à la main. Son regard s’arrêta net sur le portail : un graffiti au pochoir, en lettres blanches bien visibles, disait clairement : « Tu n’as jamais demandé pardon. » Elle recula, le cœur battant.
— « Qu’est-ce que… qui a osé faire ça ? » souffla-t-elle, la voix fragile.
Elle approcha, sa main tremblante effleura la peinture fraîche. La colère monta rapidement, mêlée à une peur sourde. Elle regarda autour d’elle, cherchant une trace, un indice. Mais la rue était calme, silencieuse, comme si personne n’avait rien vu.
Stella sortit une bombe de peinture noire de sa remise, et avec une nervosité palpable, elle commença à recouvrir le message. Ses gestes étaient hachés, pressés, presque désespérés.
— « Tu vas pas rester là à flipper, hein ? » s’encouragea-t-elle à voix basse, mais ses mots sonnaient creux.
Le lendemain, un nouveau choc l’attendait. En sortant, elle découvrit un autre graffiti, cette fois sur sa voiture, fraîchement lavée la veille. En grandes lettres blanches : « Sophie n’est pas morte pour rien. »
Le souffle coupé, Stella porta une main à sa bouche, ses yeux s’embuaient. Elle recula jusqu’au mur, s’appuyant lourdement.
— « C’est quoi ce cauchemar ? » murmura-t-elle, tandis que sa voix trahissait une panique naissante.
Elle attrapa son téléphone et composa un numéro familier.
— « Paul, c’est urgent… Je crois que quelqu’un me harcèle. »
— « Encore ? » répondit Paul, d’une voix lasse.
— « Oui. C’est des menaces, je crois. J’ai trouvé ça sur ma porte et sur ma voiture. »
— « Tu as prévenu la police ? »
— « Pas encore. Je veux savoir qui c’est d’abord. Je me sens… observée. »
Ce soir-là, Stella installa une caméra de surveillance dans son jardin, orientée vers le portail et la voiture. Chaque mouvement sur son écran la faisait sursauter. La nuit était longue, les minutes s’étiraient comme des heures.
De son côté, Élina, dans un appartement sombre, regardait le flux en direct.
— « Regarde comme elle a peur. » murmura-t-elle pour elle-même, un sourire froid au coin des lèvres.
Elle porta une tasse de thé à ses lèvres, savourant ce moment.
— « Ce n’est que le début, Stella. Tu n’es pas prête. »
À l’aube, les bruits familiers du quartier reprenaient : tondeuses, conversations de voisins, voitures qui passent. Mais près de la maison de Stella, une tension invisible s’était installée, comme un voile d’orage prêt à éclater.
La nuit enveloppait la ville d’un voile lourd et humide. Les lampadaires dispersaient une lumière jaune et blafarde sur le trottoir glissant, où l’odeur âcre de la pluie mêlée à celle du bitume chaud flottait dans l’air. Stella, emmitouflée dans son manteau, avançait d’un pas rapide, ses chaussures martelant le sol mouillé. Elle sentait la fatigue peser sur ses épaules, et le parfum entêtant du café qu’elle avait bu à la pause s’était déjà estompé.
Soudain, une silhouette se détacha de l’ombre, immobile et silencieuse sous un réverbère faiblement éclairé. L’air semblait se figer autour d’elles. Un souffle, léger mais précis, fendit le silence : « Tu ne m’as pas reconnue ? » La voix d’Élina, douce, froide, résonna comme un glas. Le cœur de Stella se serra, ses mains crispèrent ses clés, et un frisson lui parcourut l’échine.
Stella recula d’un pas, ses yeux cherchant une échappatoire, mais elle était prise au piège dans ce décor nocturne où seuls les bruits discrets du vent et des gouttes d’eau persistaient. « Qui êtes-vous ? » balbutia-t-elle, sa voix cassée trahissant sa panique. L’odeur humide de la terre fraîche après la pluie lui parvenait, mêlée à celle plus métallique de la ville endormie.
Élina s’avança lentement, ses pas presque inaudibles sur le sol mouillé. « Tu devrais me reconnaître. » Son regard perçant transperçait Stella, faisant naître une boule de peur dans sa poitrine. « Tu te souviens de Sophie ? » demanda-t-elle, avec une gravité implacable, comme si elle portait le poids du passé tout entier sur ses épaules.
La voix de Stella se brisa alors qu’elle tentait de nier. « Je… j’ai changé. Je ne suis plus cette fille. Je ne mérite pas ça. » Mais Élina, implacable, répliqua d’un ton bas, mais chargé d’une colère contenue : « Changer ? C’est ce que tu crois ? » Autour d’elles, la ville semblait retenir son souffle, comme figée dans cette confrontation.
Élina fit un pas de plus, réduisant la distance, son souffle froid s’entremêlant à l’air nocturne chargé d’odeurs de feuilles mouillées et de bitume. « Tu riais dans les couloirs, tu l’humiliais, tu la laissais seule. Tu ne sais pas ce que c’est, la solitude qu’on ressent quand on est brisée par les mots. » Ses mots étaient comme des poignards, résonnant dans le silence. Stella baissa les yeux, serrant ses clés si fort que ses jointures blanchirent.
Puis, comme un jugement ultime, Élina conclut, sa voix presque un murmure, mais lourde de sens : « Tu vas apprendre. » Elle se détourna, disparaissant lentement dans la nuit, laissant derrière elle l’écho des gouttes tombant sur le trottoir et le silence oppressant. Stella resta là, immobile, les larmes montantes, tandis que la ville reprenait son souffle, comme si rien ne s’était passé.
Le quartier était calme, presque désert à cette heure tardive. Les réverbères diffusaient une lumière jaune et diffuse qui baignait les trottoirs humides, encore tièdes de la pluie du soir. L’odeur âcre de bitume mouillé flottait dans l’air, mêlée à celle, plus douce, du jasmin qui grimpait sur les murs des maisons anciennes. Stella attendait, appuyée contre un mur de briques rouges, serrant son manteau contre elle, ses doigts crispés sur la sangle de son sac. Son souffle formait de petits nuages dans l’air frais du soir.
Au bout de la rue, Élina apparut lentement, son visage tiré, dur, mais marqué par la fatigue et la détermination. « Alors, Stella… » dit-elle d’une voix calme, presque froide, « tu m’attendais ? » La résonance de ses pas sur le pavé ponctuait chaque mot. Stella releva la tête, ses yeux embués d’émotion. « Oui. Je devais te parler. Il faut que tu comprennes. » Sa voix tremblait, à la fois suppliante et rageuse.
Le vent fit bruisser les feuilles mortes éparpillées sur le sol, emportant avec lui quelques pétales de jasmin. Élina s’avança, le regard perçant. « Comprendre quoi ? Que tu étais juste une gamine ? Que tu n’as rien fait de mal ? » Elle haussa les épaules, son ton acide. « Sophie, elle, n’a jamais eu ce luxe. Elle a souffert. Moi aussi. »
Stella ferma les yeux un instant, comme pour retenir ses larmes. « Je sais… Je ne cherche pas à me dérober. Mais je suis désolée. Je regrette ce que j’ai fait, ce que j’ai laissé faire. » Le silence s’installa, seulement troublé par le chant lointain d’un chat errant et le clapotis d’une gouttière. « C’est un peu tard pour ça, tu ne crois pas ? » répliqua Élina, les lèvres pincées.
Puis, soudain, dans un souffle rauque, Élina murmura : « Tu n’as pas tout perdu. » Le ton était grave, chargé de promesses et d’avertissements. Sans un mot de plus, elle fit demi-tour, ses pas rapides s’éloignant dans la nuit. Stella resta là, figée, les sanglots roulant silencieusement sur ses joues, tandis que la ville continuait à respirer autour d’elle, indifférente à leur confrontation.
Au loin, le grondement d’une voiture s’estompa peu à peu, emportant avec lui un peu de ce poids invisible qui pesait sur leurs épaules. Et Élina, disparue dans l’obscurité, se savait prête à aller plus loin pour que justice soit faite.
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