Chapitre 56

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Ravi avançait dans le couloir du tribunal avec une détermination froide. Le jugement de Jeanne était dans une semaine, et lui, il devait s’assurer que rien ne vienne faire obstacle à la condamnation qu’Elina espérait. Pourtant, à chaque pas, un poids grandissait dans sa poitrine — une voix qui lui murmurait qu’il était peut-être en train de franchir une ligne qu’il ne pourrait jamais effacer.

Capucine l’attendait un peu plus loin, les bras croisés, le regard chargé de reproche. Depuis quelques semaines, elle avait tenté de le faire changer d’avis, de lui montrer qu’il ne jouait pas la justice, mais une vengeance aveugle et destructrice.

« Ravi... » commença-t-elle d’une voix douce, presque suppliante.

Il se figea un instant, mais ne détourna pas le regard. Elle connaissait sa mission, et rien ne semblait pouvoir l’en détourner. Pourtant, elle reprit :

« Tu sais ce que ça signifie pour Jeanne ? Pour elle, ce procès est une question de survie, pas seulement de justice. Tu ne peux pas l’écraser comme ça, sans penser à ce qu’elle traverse. »

Ravi la dévisagea, impassible.

« Jeanne a fait du tort. Tu sais très bien pourquoi on en est là. »

Capucine haussa un sourcil, les lèvres pincées.

« Non, ce que je sais, c’est que c’est toi qui manipules tout ça. Tu fais le jeu d’Elina, aveuglément, même si tu sais que ce n’est pas juste. »

La colère montait en Ravi, mais au lieu de répliquer avec virulence, il s’arrêta, cherchant les mots. « Je fais ça pour Elina. Elle a souffert, elle mérite qu’on la protège. »

Capucine s’avança un pas, fixant son regard avec intensité. « Protéger ? Ravi, ce n’est pas de la protection, c’est une guerre. Une guerre qui détruit tout autour d’elle. Jeanne n’a rien fait depuis des mois, elle subit juste vos attaques. Tu ne peux pas ignorer ça. Tu penses qu’en la brisant, Elina guérira ? »

Un silence pesant s’installa. Ravi détourna les yeux, la mâchoire serrée. Il savait au fond de lui que Capucine avait raison, mais il ne pouvait pas faire marche arrière maintenant. Pas quand tout semblait sur le point de basculer.

« Je n’ai pas le choix, » murmura-t-il finalement. « Si je lâche, tout sera perdu. »

« Non, » répondit-elle avec douceur, « tu as toujours le choix. Tu peux choisir la compassion. Tu peux choisir d’arrêter de détruire une vie juste parce que tu ne supportes pas ce que tu ressens. Ce n’est pas de la faiblesse, c’est du courage. »

Ravi la regarda à nouveau, une lueur d’hésitation dans le regard. Il se rappela les nuits blanches à ruminer, les conflits intérieurs, cette sensation d’être coincé entre ce qu’il voulait être et ce qu’il devenait.

« Et toi, Capucine ? » demanda-t-il soudain. « Si c’était toi, à ma place, que ferais-tu ? »

Elle prit une profonde inspiration. « Je chercherais à comprendre. Pas à punir aveuglément. Je regarderais au-delà de la colère, au-delà de la douleur. Parce que derrière toute cette histoire, il y a des êtres humains qui souffrent. »

Ravi sentit une boule se former dans sa gorge. Ce n’était pas facile d’admettre qu’il était peut-être du mauvais côté, que ses actes pouvaient faire plus de mal que de bien. Mais il ne voulait pas perdre la face devant Capucine, ni montrer sa faiblesse.

« Tu ne sais rien de ce que j’ai traversé, » lança-t-il brusquement. « Tu n’as aucune idée de ce que ça fait, de cette colère qui te consume, de la rancune qui te dévore. »

Elle s’approcha doucement, posant une main sur son bras. « Je sais que tu souffres. Mais ce n’est pas une excuse pour devenir ce que tu combats. »

Le regard de Ravi se fit dur à nouveau, mais un poids invisible semblait s’alléger. Peut-être était-ce la première fois qu’il se sentait écouté, compris, sans jugement.

« Je vais réfléchir, » murmura-t-il, presque inaudible.

Capucine esquissa un sourire. Ce n’était qu’un début, mais c’était un début.

Alors que Ravi s’éloignait, le cœur un peu plus léger, Capucine regarda dans sa direction, sachant que le chemin serait encore long, semé d’embûches, mais qu’il n’était pas impossible de le ramener vers la lumière.

Ravi était resté là, assis face à Jeanne, dans cette pièce où les murs semblaient garder les échos du passé. Le silence pesait lourd entre eux, chargé de non-dits et de souvenirs trop cruels pour être évoqués facilement. Le jugement de Jeanne était prévu dans moins d’une semaine, et chaque minute rapprochait ce moment fatidique.

Jeanne croisa les bras, évitant le regard de Ravi, comme pour rassembler le courage d’évoquer ce qui n’avait jamais été dit à voix haute.

« Tu veux savoir pourquoi Elina est comme ça, » commença-t-elle lentement, « pourquoi elle souffre autant ? »

Ravi hocha la tête, son regard intense fixé sur elle.

« Elina a été adoptée à sept ans. Nos parents l’ont prise chez eux, pensant lui offrir une famille. Mais ce n’était que le début d’un enfer pour elle. »

Jeanne prit une profonde inspiration, la gorge serrée par les émotions qui menaçaient de l’étouffer.

« Dès le début, la maison n’a pas été un refuge. Notre mère… elle était impitoyable. Elle la punissait sans raison, souvent jusqu’à la faire saigner. Tu sais, j’ai vu des bleus sur ses bras, sur son dos. Des fois, elle refusait même de lui donner à manger. »

Ravi sentit un poids sur sa poitrine. « Et ton père ? » demanda-t-il d’une voix rauque.

« Lui, » répondit Jeanne, « il voulait bien faire, mais il était faible. Il ne pouvait pas s’opposer à maman. Il regardait, parfois avec tristesse, mais jamais il n’a levé la main pour la protéger. »

Elle détourna le regard, une larme perlant au coin de son œil.

« Et puis, il y avait nous… Luka et moi. »

Ravi sentit un frisson parcourir son dos.

« Je sais que ça paraît fou, » continua Jeanne, « mais on était aussi prisonniers de ce climat. On a fini par se joindre à ce cercle vicieux. Luka et moi avons harcelé Elina. Pas juste un peu. On a été cruels. »

Jeanne baissa la voix, comme pour ne pas réveiller les fantômes du passé.

« Et puis il y avait Lila, Eva, Pablo… ce groupe. Ils l’ont humiliée encore plus. Un jour, Pablo l’a forcée à manger des vers de terre, devant tout le monde. Elle était terrorisée, tremblante, et lui, il riait. »

Elle secoua la tête, les souvenirs revenant comme des coups de poing.

« Puis ce fut le pire : ils l’ont déshabillée de force, Pablo l’a embrassée sans qu’elle ne puisse rien faire, et ils ont pris des photos qu’ils ont publiées dans le groupe de la classe. Elle était détruite, complètement brisée. »

Ravi ne savait plus où poser son regard.

« Et ça, » souffla Jeanne, « ce n’est rien comparé à ce que Luka et Pablo ont fait un autre jour… »

Elle se tut un instant, puis reprit, la voix chargée de colère et de douleur.

« Ils ont maintenu sa tête dans les toilettes pendant qu’ils pissaient dessus, en rigolant comme des monstres. Elle criait, suppliant qu’on la laisse, mais personne n’est intervenu.

Il ferma les yeux un instant, laissant le poids de ses regrets l’envahir.

Puis Jeanne reprit, plus calme.

« Je ne cherche pas à me justifier. Je sais que j’ai été terrible avec Elina. Mais tout ce qu’elle a subi… ça ne s’efface pas. Et elle ne pourra jamais m’oublier. »

Elle se leva lentement.

« Elle me hait. Elle hait Luka. Elle hait nos parents. Mais personne ne semble comprendre ce que nous avons vécu. Comment la douleur peut déformer les gens. »

Ravi resta là, immobile, essayant de digérer ce flot d’émotions contradictoires.

Ravi était assis en face de Jeanne, dans cette pièce où l’air semblait chargé de tension, lourd des non-dits et des rancunes anciennes. Le compte à rebours avant le jugement ne faisait qu’ajouter à la pression. Ils étaient tous deux des témoins d’un passé qu’ils n’osaient parfois même plus évoquer à voix haute.

Pourtant, c’était lui qui brisa le silence, le regard sombre, presque dur.

« Je n’ai jamais été témoin de ce que tu as fait à Elina, » avoua-t-il, « parce que je n’étais pas là. Pas quand elle a souffert. »

Jeanne releva la tête, surprise par cette franchise inattendue.

« Mais… » continua Ravi, « je sais ce qu’elle a fait pour moi. Pour Damien. Pour Capucine. »

Un silence s’installa, et il sentit que ses mots allaient surprendre Jeanne, peut-être même la déstabiliser.

« Elina n’est pas qu’une victime. Elle est aussi celle qui m’a tendu la main quand j’en avais le plus besoin. Elle a cru en moi quand personne d’autre ne le faisait. Elle a aidé Damien à se relever quand il sombrait. Elle a donné à Capucine une raison de se battre, de ne pas tout abandonner. »

Jeanne fronça les sourcils, ses lèvres pincées comme pour retenir une réplique.

« Tu parles d’elle comme si elle était une héroïne. Mais tu oublies qu’elle a aussi détruit des vies. »

Ravi secoua la tête, amer.

« Je ne dis pas qu’elle est parfaite. Mais elle a été là, quand personne ne l’a été pour nous. Je lui dois plus que tu ne peux imaginer. »

Il se pencha légèrement, le regard pénétrant.

« Je sais ce que tu penses. Que je suis de son côté aveuglément. Peut-être que tu as raison. Mais je ne peux pas faire comme si tout ce qu’elle a fait n’existait pas. »

Jeanne le regarda longuement, cherchant à percer la vérité derrière ses mots.

« Tu sais que ça ne sera pas facile, » murmura-t-elle.

« Je le sais, » répondit Ravi, « mais si on veut comprendre toute cette histoire, il faut voir au-delà des blessures visibles. »

Il se redressa, la voix plus ferme.

« Elina n’est pas qu’une fille brisée. Elle est aussi une force. Une force qui nous a tous marqués. »

Jeanne, pour la première fois depuis longtemps, sembla touchée. Un voile de tristesse traversa ses yeux.

« Peut-être que le jugement… ce ne sera pas seulement pour elle ou pour moi. Mais pour tout ce qu’on a traversé. Pour ce que nous avons été. »

Ravi hocha la tête.

« Oui. Et pour ce que nous devons encore affronter. »

Ravi avait rejoint Capucine au petit café du quartier, un lieu discret où ils avaient l’habitude de se retrouver quand le poids des événements devenait trop lourd à porter seuls. Le ciel d’automne s’effilochait en grisaille, et la lumière blafarde filtrait à peine à travers les grandes baies vitrées.

Capucine, les mains serrées autour de sa tasse de thé, gardait le silence. Elle n’était pas du genre à se livrer facilement, mais ce soir, Ravi sentait qu’elle avait besoin de parler. Lui-même avait du mal à contenir la tempête qui grondait en lui.

  • « Tu sais, » commença-t-elle enfin, d’une voix basse, « je n’arrive pas à croire que tout ça recommence. »

Ravi hocha la tête, le regard fixé sur le fond sombre de sa tasse.

  • « Le jugement est dans une semaine. Jeanne doit répondre de tout ça, mais… » Il soupira, cherchant ses mots. « Je ne sais plus quoi penser. J’aimerais que ça soit simple, mais c’est comme si tout le passé nous rattrapait sans cesse. »

Capucine fronça les sourcils, les yeux brillants d’une tristesse contenue.

  • « Moi, je pense que Jeanne a déjà assez payé. Tout ce qu’elle a vécu, ce qu’elle endure encore. »

Ravi la regarda, surpris. Ce n’était pas la position qu’il attendait d’elle, surtout après tout ce qu’ils avaient vécu.

  • « Tu veux dire… »
  • « Oui. Je ne dis pas qu’elle est innocente. Mais on ne peut pas effacer des années de douleur et de souvenirs par un simple jugement. »

Un silence s’installa, épais et lourd.

  • « Tu sais, » reprit Capucine en jouant avec une miette sur la table, « Elina n’a jamais eu la vie facile non plus. Elle a souffert, comme Jeanne. Mais elle a réussi à se relever. Elle s’est battue pour nous, pour nous aider à avancer. »

Ravi sentit une boule se former dans sa gorge.

  • « Parfois, » poursuivit-elle, « j’ai l’impression qu’on est tous pris dans un cercle infernal. Que la haine, la rancune, ça ne finit jamais. Mais il faut qu’on trouve un moyen de sortir de ça. Pour nous, pour Damien, pour Lila… et même pour Jeanne. »

Ravi se redressa, le regard dur.

  • « Sortir de ça… » répéta-t-il, « Tu penses que c’est possible ? Que je pourrais un jour lui pardonner ce qu’elle a fait ? »

Capucine secoua la tête avec un petit sourire triste.

  • « Ce n’est pas à toi de décider ça. C’est à elle de faire ce qu’elle peut pour réparer, si elle le peut. Et à nous de décider jusqu’où on peut aller dans la colère. »

Le serveur arriva pour déposer une nouvelle tasse de thé devant Capucine, et Ravi se surprit à se sentir un peu apaisé.

  • « Tu sais, » dit-il en buvant une gorgée, « je voulais te dire merci. Pour ce que tu fais, pour ce que tu es. »

Capucine haussa les épaules, un peu gênée.

  • « Tu sais bien que c’est pas toujours facile pour moi non plus. Mais on tient le coup. Parce qu’on doit. »

Ils échangèrent un regard complice, renforcé par les épreuves partagées.

  • « Et après le jugement, » reprit Ravi, « je sais pas comment ça va tourner. Mais je veux qu’on reste unis. Qu’on s’entraide. »

Capucine acquiesça lentement.

  • « On fera ça. Parce que c’est la seule façon d’avancer. »

Le café semblait soudain un peu plus lumineux, et le poids sur leurs épaules, même s’il était encore là, paraissait un peu moins écrasant.

La nuit était tombée sur la ville, et la lumière blafarde des réverbères projetait de longues ombres sur le trottoir où Ravi et Capucine marchaient côte à côte. La tension était palpable, même dans le silence.

Capucine brisa enfin le silence, la voix basse et pleine d’émotion :

  • « Depuis qu’Elina est revenue dans cette ville, je ne la reconnais plus. Ce n’est plus la fille fragile qu’on connaissait. Elle a changé, Ravi. Elle est plus dure, presque froide. »

Ravi la regarda, les sourcils froncés.

  • « Durcissement nécessaire, tu veux dire. Elle n’a plus le droit de flancher. Le jugement est dans une semaine, et elle veut arriver prête. »

Elle soupira, secouant la tête comme pour chasser une pensée pesante.

  • « Oui, prête… mais à quel prix ? Ce n’est plus juste de la détermination, c’est devenu de la rage. Une rage qui la consume. Tu sais ce qu’elle m’a dit l’autre jour ? Que pour elle, ça ne s’arrêtera pas tant que Jeanne ne sera pas détruite. »

Ravi s’arrêta un instant, fixant un point invisible dans la pénombre.

  • « Elle a ses raisons. Jeanne lui a fait du mal, c’est indéniable. Mais je te rappelle que ce n’est pas Elina qui a été adoptée par leurs parents pour subir ça, c’est Jeanne. Elina, elle, a été harcelée, oui, mais ça ne justifie pas tout ce qu’elle fait aujourd’hui. »

Capucine haussa les épaules, son regard s’adoucissant.

  • « Je sais. Mais j’ai l’impression qu’Elina se bat contre ses propres démons autant que contre Jeanne. Elle me confie qu’elle sent qu’elle est en train de perdre ce qu’il lui reste d’humanité. »

Ravi fronça les sourcils, incapable de cacher une pointe d’inquiétude.

  • « Perdre son humanité ? Ce n’est pas une faiblesse, c’est une arme. C’est ce qui lui permet de tenir. »

Capucine secoua la tête, presque en désaccord.

  • « Non, c’est une prison. Elle se referme sur elle-même, ne fait confiance à personne, même pas à nous. Je la connais bien, mais ces derniers temps, elle refuse toute aide. Elle est prête à tout sacrifier, même son propre bien-être. »

Ravi regarda devant lui, sa mâchoire se contractant.

  • « Tant qu’elle reste concentrée sur l’objectif, c’est ce qui compte. »

Capucine le fixa un long moment, puis souffla, la voix tremblante :

  • « J’ai peur que cette obsession la détruise. Et que dans sa chute, elle entraîne tout le monde avec elle. »

Un silence s’installa, lourd et chargé de non-dits. Ravi n’était pas du genre à s’appesantir sur les émotions, mais cette fois, les paroles de Capucine résonnaient plus fort qu’à l’accoutumée.

Finalement, il reprit d’une voix ferme :

  • « Le jugement est dans une semaine. On doit être prêts. Rien ne doit nous détourner de ça. Elina doit gagner, coûte que coûte. »

Capucine hocha lentement la tête, ses yeux brillant d’une inquiétude contenue.

  • « Oui… Mais j’espère juste qu’après tout ça, elle pourra encore retrouver la paix. »

Ravi ne répondit pas, sachant au fond de lui que ce combat n’était qu’un début. Que ce qu’ils allaient affronter ne se limiterait pas à un simple jugement. Et que la vraie bataille serait celle pour l’âme d’Elina.

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