Chapitre 58 (Flashback)
Le soleil déclinait doucement derrière les grands arbres qui bordaient la cour du collège. L’odeur mêlée de poussière, de craie et d’herbe fraîche emplissait l’air, une atmosphère presque paisible à première vue. Pourtant, au milieu des rires et des cris d’enfants qui jouaient, une tension palpable flottait, invisible mais lourde.
Ravi avançait lentement, son sac trop lourd ballottant contre son dos, les semelles de ses baskets crissant légèrement sur le gravier sec. Autour de lui, des groupes d’élèves se formaient, certains échangeant des plaisanteries, d’autres lançant des regards méprisants. Les voix s’entremêlaient : des éclats de rire stridents, des murmures inquiétants, le bruit sourd d’un ballon rebondissant.
Il savait que ses propres persécuteurs rôdaient quelque part, cherchant la moindre occasion de le dénigrer ou de le pousser à bout. Maxime, Thomas, et leurs complices étaient souvent là, ricanant derrière leur arrogance juvénile, prêts à déclencher une nouvelle humiliation.
Mais ce jour-là, ce qui attira son attention fut un cri étouffé, aigu et désespéré. Il venait d’un groupe plus loin, près du vieux bâtiment en briques rouges, là où la lumière semblait toujours plus faible, comme si elle refusait de s’y attarder.
Ravi détourna les yeux, le cœur serré. Il connaissait cette douleur. Il n’avait jamais été témoin direct des humiliations d’Elina, mais les rumeurs couraient, suffocantes comme une odeur de renfermé. Des insultes, des violences verbales, des gestes cruels. Il la savait isolée, rongée par la peur et la honte.
C’est alors que Capucine apparut, légère comme une brise dans ce chaos, une lumière d’assurance dans ses yeux verts.
— Tu ne peux pas continuer à faire semblant de rien, souffla-t-elle à Ravi, posant une main ferme sur son bras. Ce n’est pas seulement son combat. C’est aussi le tien.
Il la regarda, hésitant. Mais il sentit cette force en elle, une sorte d’étoile qui brillait même dans la nuit la plus noire.
— Pourquoi moi ? murmura-t-il.
— Parce que tu sais ce que c’est, répondit-elle. Et parce que tu n’es pas seul.
Ce jour-là, Capucine emmena Ravi vers Elina. Ils s’étaient retrouvés sous un chêne centenaire, ses branches épaisses jetant des ombres dansantes sur le sol jonché de feuilles mortes. Elina, petite silhouette fragile, était recroquevillée, le visage caché derrière ses longs cheveux bruns.
Autour d’elle, Jeanne et Luka ricanaient, leurs voix glaciales perçant le silence.
— Regarde qui voilà, la pauvre petite orpheline, lança Jeanne avec mépris.
— Personne ne veut de toi, s’amusa Luka.
Ravi sentit la colère monter en lui, mais il resta immobile, serrant les poings.
— Laissez-la tranquille, lança Capucine, la voix tremblante mais ferme.
Les harceleurs se tournèrent vers eux, surpris, puis éclatèrent de rire.
— Et toi, la petite bonne samaritain, tu vas faire quoi ? demanda Pablo, le plus gros de la bande, un sourire cruel aux lèvres.
Les jours suivants furent un enfer. Pendant que Ravi subissait les insultes, les moqueries et les coups sournois de Maxime et sa bande, Elina vivait des humiliations pires encore. Elle était forcée de manger des vers de terre, humiliée publiquement par Pablo et ses complices qui la déshabillaient de force, la filmant et partageant ces vidéos dans leur groupe fermé.
Un matin, Ravi croisa Capucine dans les couloirs, le souffle court.
— Ils ont posté une autre photo, dit-elle, la voix tremblante. Elina n’en peut plus. Il faut qu’on fasse quelque chose.
Ravi hocha la tête, sentant l’urgence. Ensemble, ils formèrent un cercle fragile, un rempart contre la violence. Puis Damien arriva, un garçon calme au regard doux, qui les accueillit sans jugement.
— Vous n’êtes pas seuls, dit-il un jour en les rejoignant sous le vieux chêne.
Leur petit groupe devint une famille improvisée, chacun apportant sa force, son soutien, unis contre un monde qui voulait les briser.
Le feu crépitait doucement, jetant des ombres dansantes sur les troncs des pins hauts autour d’eux. La nuit enveloppait la clairière d’un voile étoilé, tandis que l’air frais portait l’odeur âcre de la résine et la douceur humide de la terre.
Ravi serrait ses genoux contre sa poitrine, assis sur une couverture trouée, un peu éloigné du cercle que formaient Elina, Capucine et Damien autour du feu. Leurs visages baignés d’or semblaient paisibles, mais dans leurs yeux brillait une même lumière fragile — celle de l’espoir, celle de la survie.
Elina, d’une voix douce et rauque, racontait comment elle avait appris à repérer les constellations, trouvant un peu de magie dans les nuits sombres. Capucine souriait, posant une main rassurante sur son épaule. Damien, à côté, triturait distraitement un morceau de bois, tandis que Ravi, lui, écoutait en silence, buvant chaque mot comme une promesse de jours meilleurs.
— Tu sais, lança Capucine en tournant la tête vers Ravi, parfois je me dis que si on s’en sort tous les quatre, ce sera parce qu’on aura réussi à rester ensemble. Comme une vraie famille.
Ravi tourna le visage vers elle, surpris par la douceur de ses mots.
— Tu as raison, répondit-il doucement. C’est la première fois que je me sens protégé depuis longtemps.
Un silence confortable s’installa, seulement troublé par le chant des grillons et le souffle régulier du vent dans les feuilles.
Elina prit alors la parole, la voix pleine d’émotion :
— Avant, j’étais seule. Je pensais que personne ne pouvait m’aimer ou me comprendre. Mais vous... vous m’avez prouvé que je me trompais. Que je pouvais être plus forte.
Ravi sentit son cœur se serrer. Il savait tout ce qu’elle avait traversé, la peur, la douleur, l’humiliation. Ce moment, autour de ce feu, c’était une trêve, une pause hors du temps.
— On est là, dit-il finalement, les yeux fixant les flammes dansantes. Pour toi. Pour nous.
Capucine hocha la tête, un sourire timide éclairant son visage fatigué.
— Ensemble, on est invincibles.
Damien s’approcha un peu, posant une main légère sur l’épaule de Ravi.
— On ne laissera plus personne vous faire du mal. Jamais.
Le feu continuait de crépiter, emportant avec lui les ombres du passé. Et dans ce cercle d’amis, au milieu de la forêt silencieuse, ils retrouvèrent une force nouvelle, celle de l’amitié, du soutien et de l’amour naissant.
Le feu projetait des lueurs chaudes sur leurs visages, dansant comme les émotions qui bouillonnaient dans le cœur de Ravi. Assis près d’Elina, il sentait son souffle léger mêlé à l’air frais de la nuit, et chaque instant passé près d’elle faisait battre son cœur un peu plus vite. Damien, assis à côté, le regardait avec un petit sourire encourageant, comme s’il connaissait le combat intérieur qui tourmentait Ravi.
Depuis longtemps, Ravi savait que ses sentiments allaient bien au-delà de l’amitié. Mais avouer ça… c’était une autre histoire.
Il inspira profondément, cherchant le courage dans les crépitements du feu.
« Elina… » Sa voix était faible, presque un murmure.
Elle tourna vers lui un regard doux, l’encourageant à continuer.
« Je… je crois que je t’aime. Depuis longtemps. Je ne peux plus le cacher. »
Un silence s’installa, lourd de sens. Capucine, qui préparait des morceaux de bois pour le feu, détourna le regard, respectant cet instant fragile.
Elina baissa les yeux, laissant échapper un soupir à la fois doux et amer.
« Ravi… » dit-elle enfin, « Je ne te rejette pas. Ce que je ressens, c’est compliqué. » Elle posa sa main sur la sienne, frêle mais ferme. « Avant de pouvoir avancer, avant d’être libres… on doit se venger. »
Ravi fronça les sourcils, ne comprenant pas tout de suite.
« Se venger ? »
Elle hocha la tête, les yeux brillants d’une détermination nouvelle.
« Toute cette haine, ce poison… il faut qu’on les élimine. Pas juste pour nous, mais pour tout ce qu’ils ont détruit. »
Damien, assis près d’eux, s’autorisa enfin à parler, sa voix grave emplie d’assurance.
« Elle a raison. On ne peut pas guérir sans affronter notre passé. Mais une fois que ce sera fait… alors, vous pourrez avancer ensemble. »
Ravi sentit une vague d’espoir et de peur monter en lui. Avancer avec Elina, c’était tout ce qu’il avait toujours voulu. Mais la vengeance, ce chemin sombre, était un prix lourd à payer.
Elina lui sourit doucement.
« Pas tout de suite. Pas dans la précipitation. Pas avant qu’on soit prêts. Mais je veux que tu saches que ce que tu ressens est important pour moi. On fera ça à notre rythme. »
Le cœur de Ravi s’allégea, cette acceptation lui donnant la force de croire en un futur meilleur.
« Merci… Elina. Je te promets, on y arrivera. Ensemble. »
Capucine, qui les observait depuis un moment, s’approcha et posa une main sur l’épaule d’Elina.
« Vous êtes forts, tous les deux. Et on est là. Vous n’êtes pas seuls. »
Le feu continuait de danser, illuminant leurs visages d’une lumière nouvelle, symbole d’un espoir fragile mais sincère.
Les jours qui suivirent cette nuit au camping, Ravi, Elina et Damien échangèrent des regards lourds de promesses non dites. Ils parlaient peu de leurs sentiments, mais dans chaque silence, il y avait ce feu brûlant : la soif de justice, la rage de ne pas avoir pu riposter.
Le lycée était leur terrain de bataille, un lieu où la peur se mêlait à l’humiliation, où chaque couloir résonnait des murmures, des regards moqueurs, des rires étouffés. Ils avaient rêvé d’une revanche, d’un moment où ils reprendraient le contrôle, où ils feraient payer ceux qui les avaient brisés.
Mais chaque tentative tournait court.
Un jour, ils avaient préparé un plan : répandre dans les casiers des photos compromettantes que Capucine avait réussi à récupérer sur les harceleurs. Mais au dernier moment, la conseillère principale les avait interceptés, les menaçant de lourdes sanctions.
Un autre jour, ils avaient voulu organiser une confrontation, un face-à-face pour briser la chaîne de la peur. Mais l’intervention rapide de surveillants avait coupé court à l’affrontement, laissant le trio sous le choc, encore plus isolé.
Chaque échec renforçait la cage invisible qui les emprisonnait, et la frustration se muait en un poids lourd sur leurs épaules.
« On n’y arrivera jamais ici, » murmura Elina un soir, les yeux fixés sur le plafond de sa chambre.
Ravi serra les poings, le désir de protéger Elina et de la voir libre brûlant dans sa poitrine.
« Peut-être qu’on doit attendre, » répondit-il doucement. « Trouver un autre moment, un autre endroit. »
Damien hocha la tête, déterminé.
« On ne lâchera pas. Ce poison, on le combattra. Mais pas à leur rythme. »
Cette réalité les poussa à renforcer leur alliance, à se promettre que, même si le lycée était une prison, leur combat n’était pas fini. Ce n’était qu’un début.
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