Chapitre 62

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La porte métallique se referma derrière elle avec un claquement sec, un bruit dur, qui résonna dans tout son corps comme une sentence irrévocable. Jeanne retint son souffle, regardant une dernière fois le couloir qu’elle avait emprunté. Derrière ce mur, c’était un monde nouveau, un monde froid, brutal, sans échappatoire. La lumière blafarde au-dessus d’elle, l’air chargé d’une odeur de désinfectant mêlée à celle de la sueur, tout la plongeait dans un état de sidération. Elle n’était plus libre. Plus jamais.

La geôle sentait le renfermé, un mélange âcre d’humidité et de métal rouillé. Son cœur battait fort, la gorge serrée, tandis que les surveillantes l’entraînaient sans un mot. Ses jambes avaient du mal à la porter, engourdies par la peur et la fatigue. Le poids des menottes, la froideur des barreaux, tout cela lui donnait l’impression qu’elle allait disparaître, se dissoudre dans cette cellule minuscule.

On lui montra l’espace qu’elle allait désormais habiter : à peine assez grand pour un lit métallique, un petit lavabo, un minuscule placard où pendre ses maigres vêtements. Le mur était peint d’un gris sale, tâché ici et là par le temps. Une fine couche de poussière sur le sol, une petite fenêtre grillagée qui laissait filtrer une lumière crue mais insuffisante pour réchauffer l’atmosphère.

Jeanne s’assit sur le lit, le métal grinçant sous son poids. Elle sentit une boule se former dans sa gorge, une tension sourde qui ne voulait pas se dissiper. Son esprit, d’habitude vif et combatif, semblait s’engourdir. Elle n’avait plus d’armes, plus d’alliés, plus rien que ce silence oppressant.

Les premières heures furent un cauchemar éveillé. Le claquement des portes à intervalles réguliers, les voix étouffées des autres détenues, le bruit des pas des surveillantes qui arpentaient le couloir. Elle ferma les yeux, mais le sommeil la fuyait. Chaque son devenait un cri dans son esprit.

L’isolement, elle ne l’avait jamais connu. Avant, la maison d’accueil d’Elina était une prison à sa manière, une cage dorée peut-être, mais une cage quand même. Ici, c’était un gouffre noir, un gouffre sans fond. Pas de câlins, pas de sourires, pas de main tendue. Rien que des murs, du silence et sa propre pensée qui tournait en boucle.

Elle se souvenait des visages d’Elina, de Manon. De leurs regards chargés d’inquiétude et de reproche. De la froideur de la mère adoptive d’Elina, qui n’avait jamais vraiment caché sa méfiance à son égard. Tout ça lui revenait en flashs rapides, douloureux. Elle ne méritait pas leur confiance. Elle n’avait fait que semer le chaos.

Le premier repas fut une épreuve. Une assiette en plastique posée sur une table en métal, remplie d’un mélange informe. Elle n’avait pas faim, le cœur trop lourd, l’estomac noué. Autour d’elle, les autres détenues la regardaient de travers, chuchotaient dans leur coin, échangeaient des regards méfiants. Elle comprenait qu’elle était l’intruse, celle qu’on évitait, celle dont on parlait sans la regarder.

Dans ce nouveau monde, il fallait apprendre vite. Comprendre les règles non écrites, les alliances tacites, les pièges cachés. Jeanne se promit de ne pas baisser la tête, de ne pas laisser cette solitude la briser. Mais au fond, elle se sentait terriblement vulnérable.

Le soir venu, seule dans la cellule, elle se surprit à pleurer, une première fois. Pas un sanglot bruyant, mais un soupir long, un relâchement après tant de tension. Ces larmes étaient une reconnaissance muette de sa défaite, un aveu qu’elle n’était pas invincible.

Puis elle se redressa, épousseta ses genoux, prit une grande inspiration. Demain serait un autre jour. Un autre combat.

Mais dans le silence glacé de cette prison, Jeanne comprit qu’elle venait de perdre une bataille essentielle : celle contre elle-même.

Les jours qui suivirent furent une lente descente dans un univers de tensions invisibles et de regards pesants. Jeanne, enfermée dans sa cellule, sentait le poids du silence devenu lourd, presque suffocant. Chaque bruit, chaque pas dans le couloir semblait porter un message codé qu’elle devait déchiffrer.

Au réfectoire, elle s’assit seule, surveillée par des yeux méfiants et des murmures à peine voilés. Certaines détenues lançaient des regards noirs, d’autres chuchotaient entre elles. Elle comprit vite que, dans cet endroit, la solidarité était une monnaie rare, et que la méfiance régnait en maître.

Une femme grande et trapue s’approcha d’elle, les traits marqués par la vie et un regard dur. « Nouvelle ? » demanda-t-elle d’une voix rauque. Jeanne hocha la tête, essayant de ne pas montrer sa peur. La femme s’appela Mireille, une ancienne condamnée pour vol, respectée ici pour sa capacité à imposer le silence.

Mireille posa une main ferme sur l’épaule de Jeanne. « Écoute, ici, tu te tais, tu observes. Tu ne poses pas de questions. Tu ne cherches pas à te faire des ennemis. Compris ? »

Jeanne acquiesça, serrant les poings pour ne pas trembler. Elle sentait que ses jours de liberté mentale étaient comptés, et que chaque faux pas serait exploité.

Le soir, dans la cellule, elle repensait à Manon, à Elina, à tout ce qu’elle avait laissé derrière. L’isolement prenait une autre forme, plus sourde, plus insidieuse. L’absence de soutien humain faisait naître un vide qu’elle n’avait jamais ressenti.

Un jour, alors qu’elle rentrait d’une promenade obligatoire dans la cour extérieure, un groupe de détenues la coinça près du mur. Elles riaient, une manière de masquer leur hostilité. « T’as intérêt à comprendre vite comment ça marche ici, petite nouvelle », lança une fille au regard perçant. « Sinon, tu finiras dans un sale état. »

Jeanne resta droite, le regard fixé sur le sol, mais son cœur battait la chamade. Elle savait que ce genre d’épreuves allait devenir son quotidien.

Pourtant, au milieu de cette ambiance hostile, elle aperçut parfois des éclairs d’humanité. Une femme plus âgée, prénommée Simone, lui adressa un sourire discret lors d’un repas, une marque de compassion dans ce monde rude.

Petit à petit, Jeanne comprit qu’elle devait se construire une armure. Pas seulement contre les barreaux et les murs, mais contre la solitude, la peur et la violence sourde qui s’insinuaient entre les détenues.

Chaque jour devenait un combat pour ne pas se laisser avaler par cette noirceur. Mais au fond, elle se demandait combien de temps elle pourrait tenir, et surtout, qui elle deviendrait au sortir de ce cauchemar.

Dans la pénombre de sa cellule, la nuit étendait son manteau silencieux sur le monde carcéral. Jeanne, allongée sur son lit de fortune, fixait le plafond fissuré, laissant ses pensées glisser vers un passé qui semblait à la fois proche et irréel.

Les bruits étouffés des autres détenues se mêlaient au battement régulier de son cœur, plus fort que jamais. Elle repensait à chaque décision qui l’avait conduite ici, à chaque instant où son chemin aurait pu bifurquer. Comment avait-elle pu en arriver là ?

L’image d’Elina s’imposait dans son esprit, tendre et forte à la fois, comme une lumière dans l’obscurité. Pourtant, elle avait laissé cette lumière s’éteindre, sacrifiée sur l’autel de ses propres erreurs et de sa colère refoulée.

Le retour dans la vie d’Elina, pensé comme une chance de rédemption, avait dérapé. Jeanne s’était retrouvée prise au piège d’un tourbillon d’émotions qu’elle n’avait su maîtriser. La rancune, le ressentiment, l’orgueil… Autant de chaînes invisibles qui l’avaient entraînée dans une spirale infernale.

Elle revoyait leurs disputes, leurs silences lourds de non-dits, cette froideur qui s’était installée entre elles, creusant un fossé de plus en plus large. Et puis ce jour fatidique, où tout avait basculé. La violence qu’elle n’aurait jamais voulu déchaîner, et les conséquences qui avaient suivi.

Jeanne sentit une boule se former dans sa gorge. Elle savait qu’elle ne pouvait pas effacer le passé, ni rattraper les erreurs commises. Mais elle voulait comprendre, au moins. Trouver une raison, une explication qui lui permettrait d’avancer, même derrière ces murs.

Elle pensa à Manon, à la façon dont elle l’avait repoussée, évitant tout contact, comme si elle avait peur de la contamination de ses propres fautes. Cette enfant qu’elle n’avait jamais vraiment voulu approcher, mais qui représentait un lien, un avenir.

La solitude lui pesa soudain avec une intensité nouvelle. Cette prison n’était pas seulement un lieu de privation de liberté physique, mais aussi un espace où l’âme pouvait se perdre, si elle n’y prenait pas garde.

Jeanne ferma les yeux et chercha à faire le silence dans sa tête. Elle s’efforça d’accepter la réalité, d’assumer ce qu’elle était devenue, mais aussi de se projeter au-delà des barreaux, vers un avenir incertain, mais possible.

Elle se demanda si un jour, Elina pourrait lui pardonner. Si Manon pourrait un jour la considérer autrement qu’avec méfiance. Si elle-même serait capable de se pardonner.

Les regrets, les remords, les rancunes… Tout cela semblait à la fois inutile et essentiel. Inutile parce que le passé ne se changeait pas, essentiel parce que c’était là, peut-être, la première étape pour une renaissance.

Dans le silence de la nuit, Jeanne fit une promesse à elle-même. Une promesse qu’elle garderait au fond du cœur, même si personne ne la voyait. Une promesse de lutter, non seulement pour sa liberté, mais pour une paix intérieure qu’elle n’avait jamais connue.

Demain serait un autre jour. Et elle voulait être prête.

L’ambiance dans la prison était loin d’être sereine. Depuis son arrivée, Jeanne avait rapidement compris que l’environnement carcéral était une jungle où la loi du plus fort régnait. Mais ce n’était pas seulement une question de force physique : c’était un jeu d’influences, de luttes sourdes et d’alliances temporaires.

Dès les premiers jours, Jeanne avait tenté de garder la tête basse, éviter les conflits inutiles. Pourtant, sa réputation, même avant son incarcération, la précédait. Elle n’était pas là par hasard, et certains détenus la considéraient comme une menace ou, à tout le moins, un élément perturbateur.

Un matin, alors qu’elle descendait au réfectoire, elle sentit un regard brûlant posé sur elle. C’était Lucie, une détenue aguerrie, respectée voire crainte, qui s’avançait vers elle avec un sourire cruel.

— « Alors, c’est toi, Jeanne ? » lança Lucie d’une voix mielleuse.
Jeanne leva les yeux calmement, sans laisser paraître d’émotion.
— « Oui. »
— « On m’a raconté tes exploits… Tu crois vraiment que tu vas t’en sortir ici sans te faire manger toute crue ? »
Jeanne serra les poings, mais resta silencieuse. Elle savait que répondre serait un piège.

Lucie fit un pas de plus, réduisant la distance entre elles.
— « Ici, c’est moi qui commande. Et toi, tu vas apprendre à respecter ça, sinon… »
Elle ne termina pas sa phrase, mais le sous-entendu était clair.

Jeanne sentit son cœur s’accélérer, mais sa voix resta ferme.
— « Je ne suis pas ici pour faire la guerre. Mais si on me cherche, je répondrai. »
Lucie éclata d’un rire dédaigneux et tourna les talons, suivie par un petit groupe qui la soutenait.

Les jours suivants, Jeanne sentit la tension monter. Des regards hostiles, des chuchotements derrière son dos, des petites provocations. Dans ce milieu clos, chaque mot, chaque geste comptait, et elle devait rester sur ses gardes.

Un soir, alors qu’elle se trouvait dans la cour de promenade, un groupe de détenues s’approcha. Jeanne comprit vite que ce n’était pas une visite amicale. Lucie en tête, elles encerclèrent Jeanne, cherchant à la provoquer.

— « Tu crois pouvoir te faire respecter sans rien faire ? » lança Lucie.
— « On ne fait pas long feu ici quand on est toute seule. Tu ferais mieux de choisir ton camp. »
Jeanne croisa les bras, défiant du regard son interlocutrice.
— « Je ne veux pas de camp. Je veux juste tenir le temps qu’il faut. »

Les autres ricanèrent, mais une voix plus calme se fit entendre au loin.
— « Laissez-la tranquille, Lucie. Ce n’est pas la peine d’envenimer les choses. »
C’était Marie, une détenue plus âgée, connue pour son rôle de médiatrice. Elle s’approcha et posa une main ferme sur l’épaule de Lucie.
— « On peut régler ça autrement. Pas besoin de faire monter la tension. »

Lucie jeta un dernier regard furieux à Jeanne avant de reculer, traînée par ses complices. Jeanne sentit une vague de soulagement, mais savait que ce n’était qu’une accalmie.

Cette confrontation la fit réfléchir. Elle réalisa que, pour survivre, elle devait apprendre à naviguer dans cet univers complexe. La prison n’était pas seulement un lieu de punition, c’était un monde à part, avec ses propres règles, souvent brutales, mais nécessaires à comprendre.

Dans les jours qui suivirent, Jeanne observa, écouta, essaya de se faire discrète tout en tissant des liens fragiles avec certaines détenues moins hostiles. Elle voulait éviter les conflits, mais aussi se faire respecter.

Elle repensa à Manon, à Elina, et à tout ce qu’elle avait laissé derrière elle. La prison lui semblait un gouffre, mais aussi une opportunité de se reconstruire, si elle parvenait à traverser cette épreuve sans perdre ce qui lui restait d’humanité.

Une nuit, alors qu’elle était couchée, elle sentit une présence près de sa cellule. Une voix basse murmura :
— « Jeanne, c’est moi, Claire. Si tu veux parler ou besoin d’aide, je suis là. »
C’était une détenue qu’elle avait croisée plusieurs fois, quelqu’un d’un peu plus ouvert, qui ne la jugeait pas d’emblée.

Ce simple geste lui donna un peu d’espoir. Peut-être que, même dans cet enfer, il était possible de trouver des alliés, de créer des ponts.

Mais Jeanne savait aussi que chaque jour serait un combat. Contre les autres, contre elle-même, contre le poids du passé.

La prison allait lui apprendre bien plus que la privation de liberté. Elle allait lui apprendre à se battre, à se connaître, à ne jamais abandonner.

Les jours en cellule s’étaient succédé sans autre horizon que l’ennui et le silence pesant. Pourtant, un matin, son avocat vint la voir avec une expression que Jeanne ne sut pas tout de suite déchiffrer. Il était grave, presque inquiet.

— « Jeanne… il faut que je te parle. »
Elle releva la tête, déjà anxieuse.
— « Quoi ? »
— « La demande de révision de ta peine… ils ont décidé de réexaminer ton dossier. »

À ces mots, une étincelle d’espoir illumina le regard de Jeanne. Elle voulait croire que tout pouvait changer, qu’elle pourrait enfin réduire sa peine, retrouver un peu de lumière. Mais l’expression de son avocat la fit frémir.

— « Mais… ce n’est pas ce que tu crois. »
Il baissa la voix.
— « Ils ont trouvé des éléments nouveaux, oui, mais qui ne jouent pas en ta faveur. »
— « Quels éléments ? » demanda Jeanne, tremblante.
— « Il y a des témoignages supplémentaires, des preuves qu’ils ont reconsidérées. Ils estiment que les faits sont plus graves que ce qu’on pensait. »

Le poids de ces mots la cloua sur place. La peur se fit plus vive, plus concrète. Son cœur battait à tout rompre.

— « Ça veut dire quoi ? »
— « Ils envisagent d’alourdir ta peine. La cour peut décider d’ajouter plusieurs années, voire modifier ta peine actuelle. »
— « Non… ce n’est pas possible… »

Pendant plusieurs jours, Jeanne vécut dans un état de terreur glacée. Elle se remémorait chaque instant de son procès, se demandant ce qui avait pu échapper à sa défense. L’idée qu’elle puisse perdre encore plus de liberté, qu’elle soit condamnée à une prison plus longue, la déchirait.

Le jour de l’audience arriva. En salle d’audience, Jeanne, les mains tremblantes, écouta la lecture des nouveaux éléments. Les témoins furent appelés, certains avec un ton accusateur, d’autres pour confirmer une image plus sombre qu’avant.

Le juge était sévère. Il rappelait la gravité des faits, les conséquences sur Elina, sur Manon, sur les autres. Il évoquait aussi la nécessité d’un message fort pour dissuader d’autres de commettre les mêmes erreurs.

Quand le verdict tomba, Jeanne sentit le souffle coupé.

— « La cour décide de prolonger la peine initiale de cinq années de prison de trois années supplémentaires. Soit huit ans au total. Une amende supplémentaire sera également appliquée, et un suivi psychologique obligatoire devra être respecté à la sortie. »

La sentence résonna dans la salle, lourde, définitive.

Elle était là, figée, perdue. Son avenir s’assombrissait encore, et l’espoir s’éloignait.

Sur le chemin du retour vers la cellule, Jeanne passait en revue tout ce qui avait mené à cette situation. Elle se sentait plus seule que jamais, avec une peur grandissante de ne jamais revoir Elina, Manon, ni cette vie qu’elle rêvait de reconstruire.

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