Chapitre 64

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Le téléphone vibra sur la table basse en bois usé, résonnant doucement dans la pièce silencieuse. Lila sentit son cœur se serrer tandis qu’elle ramassait l’appareil. Autour d’elle, la lumière blafarde d’une fin d’après-midi d’automne filtrait à travers les rideaux à moitié tirés, projetant des ombres mouvantes sur les murs couverts de posters un peu fanés. L’odeur mêlée du café froid sur la table et d’un vieux parfum de fleur séchée flottait dans l’air.

Sa main tremblait légèrement quand elle décrocha.

« Elina ? » Sa voix était faible, presque brisée.

Un silence. Puis la voix d’Elina, douce et lointaine, vint à l’autre bout du fil.

« Salut Lila… »

Lila avala difficilement sa salive, les yeux humides. Le léger grésillement du téléphone amplifiait ce sentiment d’éloignement.

« Tu sais… Eva m’a dit des choses… » La voix de Lila s’érailla, un sanglot s’infiltra dans ses mots. « Des choses que je comprends pas. Elle… elle dit que je la déçois. Que je suis plus la même. »

Un hoquet secoua sa poitrine. Elle regarda autour d’elle, la pièce semblait s’être refermée sur elle, la lumière avait faibli, et les bruits étouffés de la rue, un murmure de voitures au loin, accentuaient la solitude.

« Je sais plus quoi faire, Elina. » Elle murmura presque, les larmes roulant sur ses joues.

Elina tenta de répondre, mais Lila n’écoutait plus vraiment, son esprit noyé dans la douleur.

Puis elle finit par poser la question qui lui brûlait les lèvres, la voix brisée :

« Et toi… Toi, tu pars ? Tu m’as dit deux jours. Juste deux jours, hein ? »

Un long silence s’installa. Un silence lourd, comme un nuage noir suspendu dans l’air vicié de la pièce.

« Oui… deux jours. » La voix d’Elina était à peine audible.

Lila sentit un poids terrible lui écraser la poitrine. La pièce semblait soudain plus froide, l’air plus dense. Elle serra les poings, voulant crier, mais ce fut un souffle qui sortit, fragile.

« Tu me laisses seule. Avec Eva, avec tout ce que je ressens. »

Sa voix se brisa complètement, les sanglots se firent violents, et le téléphone vibra faiblement contre son oreille.

« J’y crois plus, Elina. Pas cette fois. »

La voix d’Elina, douce, tenta de la rassurer.

« Lila… »

Mais Lila coupa, le souffle court, les mots déchirants :

« Prends soin de toi. C’est tout ce que je peux te dire. »

Un dernier murmure d’Elina, un souffle presque inaudible :

« Toi aussi. »

Et la ligne tomba.

Lila resta immobile, le téléphone froid dans la main, son souffle désordonné résonnant dans la pièce désormais plongée dans une obscurité presque complète. Dehors, le vent fit bruisser les feuilles mortes, un râle triste qui semblait venir de l’autre bout du monde.

Elle essuya ses joues trempées, s’affaissa sur le canapé, et se laissa envahir par un vide glacial.

Lila resta là, le corps affaissé sur le canapé, ses mains serrant encore le téléphone comme pour ne pas lâcher ce lien fragile qu’elle venait de couper. Le silence s’était fait plus lourd, presque palpable. Le crépuscule avait étendu son voile sombre à travers les fenêtres, et la lumière des lampadaires au loin projetait des reflets orangés sur les murs défraîchis.

Elle ferma les yeux, laissant les bruits étouffés de la ville s’infiltrer à travers le verre : un moteur qui tousse, le pas précipité d’un passant, le claquement d’une porte au loin. Tout semblait si banal, si étranger à la tempête qui faisait rage en elle.

Une boule se forma dans sa gorge, remontant lentement jusqu’à sa poitrine. Elle sentit son cœur battre fort, désordonné, comme si chaque pulsation ravivait la douleur. Elle avait l’impression d’étouffer, de se noyer dans cette solitude imposée. Pourtant, ce vide n’était pas qu’absence, c’était un mélange amer de colère, de tristesse, de peur.

Son regard se posa sur la table, où traînait un carnet ouvert, quelques mots griffonnés à la hâte la veille encore. Les souvenirs s’entrechoquaient dans son esprit — les rires d’Elina, leurs promesses muettes, la complicité brisée avec Eva. Tout ce qu’elle avait espéré, tout ce qu’elle avait cru.

Elle inspira profondément, l’air chargé d’une odeur familière de vieux papier et de café renversé, et laissa une larme solitaire couler sur sa joue. Ce n’était pas seulement une rupture entre amies, c’était un basculement, une porte qui se refermait doucement, emportant avec elle une partie d’elle-même.

Lila se leva lentement, les jambes encore fragiles, et marcha jusqu’à la fenêtre. Dehors, le ciel se parait de nuances violettes, le vent jouait avec les feuilles mortes, apportant avec lui un souffle de renouveau — ou peut-être de fin. Elle se demanda combien de temps elle tiendrait encore, combien de cicatrices il lui faudrait avant d’être entière à nouveau.

Un soupir s’échappa de ses lèvres, lourd de regrets et d’espoirs mêlés.

Peut-être que ce silence, cette distance imposée, serait nécessaire. Peut-être que les jours à venir lui offriraient la clarté qu’elle cherchait.

Mais pour l’instant, il ne lui restait que ce poids dans la poitrine, et la solitude qui s’installait, sourde et tenace, dans le creux de son être.

Lila resta appuyée contre la fenêtre, les mains serrées, son regard fixé sur les lumières lointaines qui scintillaient dans la nuit. Son esprit remontait à ce jour d’été, quelques semaines plus tôt, quand Eva l’avait surprise dans le jardin, la tête penchée sur un carnet de croquis, un léger sourire aux lèvres.

Elles avaient ri ensemble, partagé un moment de complicité simple et sincère, oubliant les doutes, les peurs et les silences qui s’étaient accumulés. Eva lui avait parlé de ses rêves, de ses envies d’ailleurs, de ce besoin irrépressible de changer de vie, de s’éloigner de tout ce qui les retenait.

Lila se souvint de la douceur dans sa voix, de la façon dont elle avait posé sa main sur la sienne, comme pour promettre que, quoi qu’il arrive, elles seraient là l’une pour l’autre. Ce souvenir lui serra le cœur. Elle réalisa que cette promesse avait volé en éclats.

Un souffle passa dans la pièce, et Lila ferma les yeux, laissant les larmes glisser librement cette fois. Elle savait qu’elle ne pouvait plus se mentir. La rupture avec Eva n’était pas un accident, ni un malentendu, mais le reflet d’un chemin qui se séparait.

La décision mûrit alors en elle, claire et irrévocable : elle allait prendre du recul, s’éloigner pour se reconstruire. Pour retrouver la paix qu’elle avait perdue, pour apprendre à se pardonner.

Demain, elle commencerait à vider son appartement, à rassembler ses affaires, à effacer doucement les traces d’un passé trop lourd à porter. Elle écrirait à Elina, lui dirait au revoir, sans préciser la profondeur de son départ. Parce que parfois, les mots ne suffisent pas, ou pire, blessent davantage.

Lila tourna le dos à la fenêtre, le poids sur sa poitrine se faisant un peu plus léger, comme si cette décision lui rendait une part de liberté.

Dans le silence retrouvé, elle se promit qu’un jour, peut-être, elle pourrait à nouveau tendre la main — mais pour l’instant, elle devait apprendre à se tenir debout seule.

Le soleil déclinait lentement, teintant le ciel d’un orange chaud et doré, quand Lila et Eva s’étaient retrouvées dans le petit jardin derrière l’appartement. L’air était doux, chargé du parfum léger du jasmin qui grimpait le long du mur en pierre.

Eva s’était assise près de Lila sur le banc en bois usé, leurs épaules presque touchantes. Lila tenait entre ses mains un carnet de croquis, ses doigts effleurant distraitement les pages remplies de dessins, de notes griffonnées à la hâte.

Eva regarda Lila avec cette douceur inquiète qui la caractérisait. « Tu sais, je rêve encore d’un ailleurs, Lila... » murmura-t-elle, la voix tremblante, comme si avouer ce désir fragile lui coûtait.

Lila leva les yeux vers elle, captant la lumière dorée qui faisait briller les mèches brunes d’Eva. « Un ailleurs ? »

Eva hocha la tête, le regard fuyant un instant vers les fleurs en contrebas. « Oui. Un endroit où on ne se sentirait pas prises au piège, où on pourrait respirer sans se demander ce que les autres pensent, ce qu’ils attendent de nous. »

Un silence s’installa, juste troublé par le chant lointain des oiseaux qui regagnaient leur nid.

Lila posa doucement sa main sur celle d’Eva, comme pour ancrer ce moment, pour transmettre un peu de courage. « Tu n’es pas seule. Je suis là, Eva. Toujours. »

Eva esquissa un sourire triste, mais dans ses yeux, Lila vit la tempête qui grondait. « Je sais... mais j’ai peur que ça ne suffise pas. Que ce soit déjà trop tard. »

Le vent fit bruisser les feuilles, comme un souffle emportant avec lui leurs espoirs fragiles.

À cet instant précis, Lila sentit que leur histoire, leur amitié, leur amour peut-être, était sur le point de basculer. Ce jour-là, entre le parfum des fleurs et la lumière déclinante, les promesses se firent plus incertaines.

Lila serra son téléphone contre son oreille, assise sur le canapé. La pièce était silencieuse, seulement éclairée par la lumière pâle d’une lampe de chevet. Dehors, la pluie fine tambourinait doucement sur les carreaux, emplissant l’air d’une fraîcheur humide et apaisante.

— Allô, Eva ? murmura Lila, la voix tremblante.

Un souffle long, puis la voix d’Eva, faible et hésitante, répondit :

— Lila... je... je suis contente que tu m’appelles.

Lila inspira profondément, les mots se formant malgré la boule au ventre.

— Écoute, Eva... je voulais juste te dire que je vais partir, bientôt. Je sais que ça fait beaucoup de choses d’un coup, mais c’est important. Je vais partir dans le sud, là où je pourrai enfin trouver un peu de paix, mon “ailleurs” à moi.

Un silence s’installa. Eva semblait vouloir parler, mais Lila continua, décidée à finir :

— Je voulais te souhaiter, du fond du cœur, tout le bonheur possible. Que tu trouves ta voie, même si ce n’est plus avec moi. Je te souhaite vraiment le meilleur, Eva.

Cette fois, la voix d’Eva s’éleva, tremblante, pleine d’émotion retenue :

— Lila... attends, je voulais te dire... je sais que c’est dur, pour nous, pour tout ce qu’on a traversé. Mais je t’aime, tu sais. Je ne veux pas que ça se termine comme ça.

Lila hocha la tête, même si Eva ne pouvait pas la voir.

— Je sais. Je t’aime aussi, Eva. Mais parfois, aimer ce n’est pas suffire. Parfois, il faut savoir lâcher prise pour grandir, pour avancer. Je dois faire ça, pour moi. C’est un au revoir, pas un adieu.

La pluie continua à tomber doucement, comme pour accompagner cette fin douce-amère.

— Prends soin de toi, Eva.

— Toi aussi, Lila.

Un dernier soupir, un dernier battement de cœur partagé, puis la ligne se coupa.

Lila resta là, un moment, serrant encore le téléphone, sentant le poids d’une page qui se tourne.

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