Un Acte Désespéré

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Toujours assis par terre et tout en caressant machinalement la base de son poignet droit, le regard de Cédric bifurque vers le mur de la cuisine. Où sont fièrement présentés ses couteaux japonais, aimantés sur un présentoir accroché sur le mur. Cédric a toujours été fier de ses couteaux qu’il aiguise régulièrement afin qu’ils soient le plus tranchant possible.

Il se souvient de cette soirée récente, seul chez lui durant laquelle il reflétait sur tous ses échecs personnels, professionnels et amoureux. Surtout, il venait de boire plusieurs verres d’un de ses meilleurs cognac : un XO Cigar blend de Cognac Park qu’il gardait pour les bonnes occasions.

Le refus de sa candidature à ce poste tant convoité, dans lequel il s’était projeté avec tant d’espoir, marqua le début d’une descente dans la dépression. Il tenta d’anesthésier son amertume dans l’alcool, cherchant un réconfort illusoire au fond des verres qui se succédaient. Mais plus l’ivresse montait, plus la certitude s’imposait : il n’était qu’un échec ambulant, incapable de réussir quoi que ce soit.

Il y a parfois des moments de désespoir, qui nous envahissent sans prévenir, nous vide de notre résistance, annihile progressivement nos forces, détruisant les faibles remparts de notre propre château. Et puis cette petite voix qui chante cette douce mélodie, comme pour nous persuader qu’il serait tellement plus simple d’en finir. Enfin et une bonne fois pour toute. A quoi bon résister, puisque ne plus vivre permettrait de ne plus souffrir.

Pas étonnant que personne ne veuille de lui après un entretien d’embauche – il n’était pas assez intelligent. Pas étonnant qu’il ait si peu d’amis – il n’était ni drôle, ni sociable. Pas étonnant non plus qu’il se sente si incompris en amour – après tout, comment pourrait-il être digne d’être aimé, lui qui se persuadait d’être incapable de susciter autre chose que l’indifférence ou la lassitude chez les autres ? Enfin, et pour enfoncer le clou, pas étonnant non plus que sa propre famille ne fasse le moindre effort pour entretenir le lien – il ne se sent pas digne du moindre intérêt même dans le cadre des liens du sang.

L’alcool commençait à lui monter à la tête et à brouiller la réalité, sa volonté et les perspectives. Une seule pensée lui restait à l’esprit de manière obsédante : “Est-ce que disparaître ne serait pas la solution ?”. Il ne manquera de toute façon à personne. Et puis, mettre fin à ses jours semble être une douce échappatoire plutôt que de continuer à souffrir dans cette vie qu’il ne supporte plus. Ce n’est pas la première fois qu’il se posait cette question, mais c’est la première fois qu’elle l’envahit avec autant d’intensité.

Le temps et l’espace se confondent, s'entrelacent, au point qu’il a bien du mal à démêler le passé du présent, ni à savoir véritablement où il est...qui il est. Sans s’en rendre compte, il reprend ses esprits en étant dans la cuisine, debout face à ce mur où trônent ses couteaux. Comment est-il arrivé là ? Une tension soudaine au poignet droit le ramène à lui. Il tient dans sa main gauche un couteau d’office dont la pointe de la lame est légèrement enfoncée dans la chaire de son poignet, au niveau des veines. De fines gouttes perlent sur sa peau, dessinant de fragiles rivières rouges le long de sa main.

Il s’imagine face à un précipice, il suffit d’un rien pour en finir une bonne fois pour toute. Jamais il n’a été aussi proche de sauter dans l'abîme et disparaître à jamais. Il suffit d’un geste, accentuer le mouvement et en finir d’un coup net et tranchant.

Les épisodes de dépression, tristesse absolue, solitude et remise en question, il connaît. Au plus profond de ces moments de désespoir, il se demande parfois la méthode ou l’objet qui aura raison de lui. Les roues d’un bus ou d’un métro, une tablette de médicaments ou bien un couteau tranchant les fils de sa vie.

Il pense entrevoir ce qu’il va se passer, quand surgissent en lui des myriades de souvenirs, récents ou lointains : l’amitié naissante avec Zorba, l’espoir que des lendemains meilleurs sont possibles, ce projet d’écriture qui lui tient tant à cœur… et ces accomplissements personnels qui, malgré tout, lui rappellent qu’il existe et qu’il a vécu. Courir un marathon, perfectionner son green curry jusqu’à en faire un plat-signature, se perdre dans la musique, ressentir cette liberté brute en randonnée ou en voyage. Il y a encore tant à voir, tant à découvrir, se dit-il.

Et puis soudainement, le bruit du couteau qu’il vient de lâcher, tombant contre le carrelage de la cuisine, le ramène à la réalité du moment présent. Son cœur bondit. Il est là. Vivant.

Un frisson le parcourt alors qu’il fixe son poignet tremblant. Son souffle est court, saccadé. Il passe son autre main sur son visage, comme pour s’assurer qu’il est bien là, qu’il n’a pas disparu.

Il laisse couler l’eau froide sur la plaie. Le liquide rosé s’échappe dans le siphon, emportant avec lui un vertige fugace. La brûlure métallique du contact le ramène un peu plus dans l’instant. Il presse une serviette contre sa peau, bande rapidement la blessure, car il ne souhaite plus la voir. Tout ce qu’il souhaite dorénavant c’est l’oublier.

Pourtant, sous les pansements, la mémoire se réveille. Ces lignes blanches sur son bras droit qu’il cache depuis des années. La même douleur sourde, froide, métallique. Et surtout, la même honte.

ll n’a jamais cru en Dieu. Pourtant, ce soir-là, il lève les yeux au plafond et murmure un merci. À qui ? Il ne sait pas. Mais il est vivant.

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